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Accueil du site > à propos > La Main > La caresse, l’aile, le poème... Stéphane Mallarmé La caresse, l’aile, le poème... Stéphane Mallarmé 1er mai 2008 par Anne Mounic Stéphane Mallarmé (1842-1898) « Aussi ces affections multiples dont la résultante commune est la vie physique ne se réfléchissent-elles point dans le sens interne. L’espèce de tact immédiat qui les saisit, ou les devient, n’est point la conscience ; car il ne se sait pas, ne s’éclaire pas lui-même, et pendant que ses modifications varient sans cesse, il y a quelqu’un qui reste et qui le sait. Le premier est aux affections immédiates de l’âme sensitive ce que le second est aux idées ou opérations de l’esprit, aux produits de son activité et la différence qui les sépare, et qui ne permet pas à l’observateur réfléchi de les confondre, c’est que celui-ci a la faculté de se replier sur lui-même, et de se conserver présent à une vue intérieure concentrée ; l’autre n’a point de prise pour se saisir sous aucune de ses formes variables et disparaît à l’instant même que le moi veut l’approfondir, comme Eurydice qu’un coup d’œil rejette parmi les ombres. » Maine de Biran, Rapports du physique et du moral de l’homme (pp. 127- 28). « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre Ce lac dur oublié que hante sous le givre Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui ! » Stéphane Mallarmé, « Plusieurs sonnets ». Le poète qui, dans nombre de ses lettres, regrettant leur absence, serre la main de ses proches amis (un seul exemple, à rapprocher de la citation qui suivra : « … je vous presse les mains de tout mon cœur en vous souhaitant une belle et grande année » Lettre à Villiers de l’Isle-Adam, 31 décembre 1865, Œuvres complètes, tome 1, p. 688) et associe encore, dans une autre lettre et de façon plus précise, à Eugène Lefébure, le 27 mai 1867, la main et le cœur : « Depuis, je me suis dit, aux heures de synthèse nécessaire, « Je vais travailler du cœur » et je sens mon cœur (sans doute que toute ma vie s’y porte) ; et, le reste de mon corps oublié, sauf la main qui écrit et ce cœur qui vit, mon ébauche se fait Ŕ se fait. » (Id., p. 720), ce poète prend toute sa place dans notre approche de la signification poétique de la main. N’oublions pas que le passage que je viens de citer était précédé de ces réflexions : « Je crois que pour être bien l’homme, la nature se pensant, il faut penser de tout son corps Ŕ ce qui donne une pensée pleine et à l’unisson comme ces cordes du violon vibrant immédiatement avec sa boîte en bois creux. Les pensées partant du seul cerveau (dont j’ai tant abusé l’été dernier et une partie de cet hiver) me font maintenant l’effet d’airs joués sur la partie aiguë de la chanterelle dont le son ne réconforte pas dans la boîte Ŕ qui passent et s’en vont sans se créer, sans laisser de trace d’elles. En effet, je ne me rappelle plus aucune de ces idées subites de l’an dernier. Ŕ Me sentant un extrême mal au cerveau le jour de Pâques, à force de travailler du seul cerveau (excité par le café, car il ne peut commencer, et, quant à mes nerfs, ils étaient trop fatigués sans doute pour recevoir une impression du dehors) Ŕ j’essayai de ne plus penser de la tête, et, par un effort désespéré, je roidis tous mes nerfs (du pectus) de façon à produire une vibration (en gardant la pensée à laquelle je travaillais alors qui devint le sujet de cette vibration, ou une impression) Ŕ, et j’ébauchai tout un poëme longtemps rêvé, de cette façon. » Le poète répond, en 1898, à Paul Mégnin, qui l’interrogeait sur les chats : « Le chat va de la divinité au lapin ; poursuivi, hors les portes, par le rustre brutalement, il redevient, à l’intérieur, dans des recoins d’ombre, quelque chose comme nos lares, l’idole de l’appartement. J’ajoute et souvent ai dit qu’il satisfait, pour cela doux aux solitaires, le besoin de la caresse, en offrant, sur lui, la place exacte ; y compris, si on parle philosophiquement, l’au-delà, indispensable, par le déroulement ou la fuite de sa queue. » (Œuvres 2, pp. 671-72) Cette contribution fut publiée en 1899, dans un volume ayant pour titre Notre ami le chat, avec un portrait de la chatte de Mallarmé, qui avait pour nom… Lilith. Or, cette réponse amusante vaut ici pour un peu plus que la simple anecdote, puisque la caresse, sur le personnage du chat, glisse vers l’au-delà, ici « indispensable » ; ce qui nous mène, par l’analogie, au démon du même nom, poème en prose publié pour la première fois dans la Revue du monde nouveau en 1874, mais composé antérieurement, un peu avant 1867, nous indique Bertrand Marchal. Ce poème me paraît fournir une clef à la poétique de Mallarmé, pour lequel la prosodie participe du souffle (Divagations, p. 246) ; le poème, du dire et de la parole (Id., p. 252), du chant, de la musique (Id., p. 262) et du rythme (Id., p. 249). Comme le remarque Henri Meschonnic (« Oralité, clarté de Mallarmé », Europe, 1998), Mallarmé n’oppose pas le vers à la prose : « Tandis qu’il y avait, le langage régnant, d’abord à l’accorder selon son origine, pour qu’un sens auguste se produisît : en le Vers, dispensateur, ordonnateur du jeu des pages, maître du livre. Visiblement soit qu’apparaisse son intégralité, parmi les marges et du blanc, ou qu’il se dissimule, nommez le Prose, néanmoins c’est lui si demeure quelque secrète poursuite de musique, dans la réserve du Discours. » (Divagations, p. 262) Le « chant » est une « joie allégée » (Id., p. 248) et s’associe au geste : « Ton acte s’applique à du papier ; car méditer, sans traces, devient évanescent, ni que s’exalte l’instinct en quelque geste véhément et perdu que tu cherches. » (Id., p. 254) C’est ainsi que le poète décrit le « vers dramatique », qu’il recherche (lettre à Eugène Lefébure, 30 juin 1865, Œuvres 1, p. 679) : « A force d’étude, je crois même avoir trouvé un vers dramatique nouveau, en ce que les coupes sont calquées sur le geste, sans exclure une poésie de masses et d’effets, peu connue elle-même. » Il parle de ce même vers, en juillet de la même année, dans une lettre à Henri Cazalis, comme « surtout plus rythmé encore que le vers lyrique parce qu’il doit ravir l’oreille au théâtre » (Id., p. 681) Et il répond à Charles Morice, en 1892, « sur la philosophie dans la poésie » : « Le chant jaillit de source innée, antérieure à un concept, si purement que refléter, au dehors, mille rythmes d’images. Quel génie pour être un poëte ; quelle foudre d’instinct renfermer, simplement la vie, vierge, en sa synthèse et loin illuminant tout. L’armature intellectuelle du poème se dissimule et tient Ŕ a lieu Ŕ dans l’espace qui isole les strophes et parmi le blanc du papier : significatif silence qu’il n’est pas moins beau de composer, que les vers. » (Œuvres 2, p. 659) La « seule tâche spirituelle » se définit ainsi : « La Poésie est l’expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence : elle doue ainsi d’authenticité notre séjour et constitue la seule tâche spirituelle. » (Id., p. 657) Il ressort de ces notations que la poésie est bien la dramatisation de cet état intérieur autrement impalpable, et donc mystérieux, que Michel Henry appelle « vie », suivant en cela Maine de Biran. Ce que ce dernier nomme « tact immédiat de l’âme sensitive » est aussi fluide et fuyant qu’Eurydice qui, sous le regard, s’enfuit « parmi les ombres » (Rapports du physique et du moral de l’homme (p. 128). L’au-delà se situe peut-être en deçà. Cette dramatisation est en tout cas le fruit d’une véritable synesthésie. Le poème en prose, « Le démon de l’analogie » (Œuvres 1, p. 416), débute par l’évocation de « paroles inconnues », dépourvues de lien entre elles, mais chantant avec obstination sur les lèvres et se définissant comme « absurdes », car dégagées de l’emprise du « seul cerveau » et donc « antérieure[s] à un concept ». En cette « disparition élocutoire » (Divagations, p. 248) du moi conscient, la « phrase » demeure néanmoins. Tout, dès lors, a lieu dans un « au-delà » qui se détache à la troisième personne (« que remplaça une voix prononçant les mots sur un ton descendant »), naissant d’un simple geste : « la sensation propre d’une aile glissant sur les cordes d’un instrument, traînante et légère ». L’aile porte avec elle une idée de transcendance. D’ailleurs, uploads/Litterature/ caresse-et-le-poeme.pdf
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- Publié le Jan 05, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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