2 Du même auteur Trabajo, conocimiento y vigilancia 5 ensayos sobre tecnología

2 Du même auteur Trabajo, conocimiento y vigilancia 5 ensayos sobre tecnología Editorial del Estado (La Paz), 2018 Le phénomène « pro-ana » Troubles alimentaires et réseaux sociaux (avec Paola Tubaro) Presses des Mines, 2016 Qu’est-ce que le digital labor ? (avec Dominique Cardon) Éditions de l’INA, 2015 Against the Hypothesis of the « End of Privacy » An Agent-Based Modelling Approach to Social Media (avec Paola Tubaro et Yasaman Sarabi) Springer (New York), 2014 Les Liaisons numériques Vers une nouvelle sociabilité ? Seuil, 2010 Stop mobbing Resistere alla violenza psicologica sul luogo di lavoro DeriveApprodi (Rome), 2000 La fabbrica libertina De Sade e il sistema industriale Manifesto Libri (Rome), 1997 3 Cet ouvrage est publié dans la collection « La couleur des idées » ISBN 978-2-02-140189-9 © Éditions du Seuil, janvier 2019. www.seuil.com Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo. 4 « Je crois que nous nous endormons à l’heure qu’il est sur un volcan. » Alexis de Tocqueville, 27 janvier 1848 5 TABLE DES MATIÈRES Titre Du même auteur Copyright Introduction Simon et l'IAA (intelligence artificielle d'Antananarivo) Appréhender le digital labor : un mode d'emploi Réindexer le travail : un mode d'action Première partie - Quelle automation ? Chapitre 1 - Les humains vont-ils remplacer les robots ? Les machines sont bel et bien des hommes qui calculent Le conte des deux digital labor La tentation automatique Les laissés-pour-compte de la société informatique Robots versus salariés : le match n'aura pas lieu Remplacement ou déplacement ? Automatisation ou digitalisation ? L'automate et le tâcheron L'automation comme spectacle de marionnettes (sans fils) 6 Le nain bossu des conditions matérielles de l'automation La limite toujours repoussée de l'automation Chapitre 2 - De quoi une plateforme numérique est-elle le nom ? Un hybride marché-entreprise Une théologie politique Une structure sans contours Un écosystème coordonné Un système de captation de la valeur produite par les usagers Un paradigme inspirant Il n'y a de plateformes que d'hommes Deuxième partie - Trois types de digital labor Chapitre 3 - Le digital labor à la demande Une généralisation du travail atypique ? L'inflexible flexibilité du travail à la demande Surveiller et datafier Manager ses usagers Qui conduit les véhicules autonomes ? Chapitre 4 - Le microtravail Mechanical Turk, ou l'artifice de l'intelligence artificielle L'armée de réserve de l'intelligence artificielle Ludification et qualification Monétiser les microtâches Le tiers bénéficiaire Les poinçonneurs de l'IA Les Turcs mécaniques des autres géants du numérique Freelances ou galériens du clic ? Réintermédiation et fragmentation : le microtravail au noir La délocalisation à portée de clic 7 Le meilleur des mondes (du travail) Damnés du clic et serviteurs enthousiastes de l'automation Chapitre 5 - Le travail social en réseau L'ère des produsagers Travaillistes et hédonistes Entre YouTube et Youporn, le jardin clos de l'amateurisme Quand les usagers luttent pour se faire payer Hope labor : la contribution en ligne comme ressort de l'employabilité La pénibilité de Facebook Pour en finir avec la « gratuité » L'économie des liens Qualification et monétisation : comment apprécier la valeur d'un like ? Les yeux et les oreilles de l'automation Héros ou nettoyeurs : l'enchaînement productif entre modérateurs rémunérés et bénévoles Les fermes à clics recrutent des travailleurs en réseau comme les autres Qui est un usager organique sur les plateformes sociales ? Troisième partie - Horizons du digital labor Chapitre 6 - Travailler hors travail Le hors-travail du consommateur Travailler par amour Le travail des spectateurs Le playbor à flux tendu Le digital labor est-il immatériel ? Travailler en silence ou travailler dans l'ombre ? Hyperemploi Chapitre 7 - De quel type de travail le digital labor relève-t-il ? Fuir l'emploi pour s'ouvrir au travail ? Makers et doers : un marché du travail dual 8 Quand les sublimes se tâcheronnisent Le retour du marchandage ? La persistance de la subordination Le digital labor comme travail non libre Le panoptique productif Les conditions générales d'utilisation : un enfermement du travail ? Le digital labor : un vrai travail décorrélé de la rémunération Chapitre 8 - Subjectivité au travail, mondialisation et automation Exploitation et aliénation Une capacitation exploitante ? La classe du nouveau : alliés du capital ou prolétaires numériques ? Le vectorialisme, ennemi de classe Colonialisme numérique et i-sclavagisme ? Externalisation et migrations non présentielles La classe ouvrière va à Palo Alto L'intelligence artificielle : une destinée pas si manifeste Sous les robots, l'apprentissage L'automation complète n'aura pas lieu Conclusion - Que faire ? Ramener le digital labor dans le giron de la subordination protégée Une autre plateformisation est possible Un digital labor « en communs » Le nœud gordien de la rémunération Postface Remerciements Notes 9 Introduction Simon et l’IAA (intelligence artificielle d’Antananarivo) C’est en 2017 que j’interviewe Simon. Ce n’est pas son vrai nom, comme par ailleurs SuggEst n’est pas le vrai nom de la start-up qu’il intègre en 2016 en qualité de stagiaire, à la fin de son master Sup de Co. En revanche, l’entreprise existe et se porte bien. C’est une « pépite » du secteur innovant, spécialisée en intelligence artificielle (IA). SuggEst vend une solution automatisée de pointe qui propose des produits de luxe à des clients aisés. Si vous êtes une femme politique, un footballeur, une actrice ou un client étranger – comme l’explique la présentation du site –, en téléchargeant l’application, vous recevez des offres « 100 % personnalisables des marques françaises les plus emblématiques de l’univers du luxe ou de créateurs aux savoir-faire reconnus, dans des conditions privilégiées ». C’est « grâce à un procédé d’apprentissage automatique » que la start-up devine les préférences de ces personnalités et anticipe leurs choix. L’intelligence artificielle est censée collecter automatiquement leurs traces numériques sur des médias sociaux, leurs posts, les comptes rendus d’événements publics auxquels ils ont participé, les photos de leurs amis, fans, parents. Ensuite, elle les agrège, les analyse et suggère un produit. Derrière cette machine qui apprend de manière anonyme, autonome et discrète se cache toutefois une réalité bien différente. Simon s’en rend compte trois jours après le début de son stage, quand, au hasard d’une conversation autour de la machine à café, il demande pour quelles raisons la start-up n’emploie pas un ingénieur en intelligence artificielle ni un data scientist. L’un des fondateurs lui avoue que la technologie proposée à leurs usagers n’existe pas : elle n’a jamais été 10 développée. « Mais l’application offre bien un service personnalisé ? », s’étonne Simon. Et l’entrepreneur de lui répondre que le travail que l’IA aurait dû réaliser est en fait exécuté à l’étranger par des travailleurs indépendants. À la place de l’IA, c’est-à-dire d’un robot intelligent qui collecte sur le Web des informations et restitue un résultat au bout d’un calcul mathématique, les fondateurs de la start-up ont conçu une plateforme numérique, c’est-à-dire un logiciel qui achemine les requêtes des usagers de l’application mobile vers… Antananarivo. C’est, en effet, dans la capitale de Madagascar que se trouvent des personnes disposées à « jouer les intelligences artificielles ». En quoi consiste leur travail ? La plateforme leur envoie une alerte avec le nom d’une personnalité-cible qui se sert de l’application. Ensuite, en fouillant les médias sociaux et les archives du Web, ils collectent à la main un maximum d’informations sur son compte : des textes, des photos, des vidéos, des transactions financières et des journaux de fréquentation de sites… Ils font le travail qu’un bot, un logiciel d’agrégation de données, aurait dû réaliser. Ils suivent cette personnalité sur les réseaux, parfois en créant de faux profils, et rédigent des fiches avec ses préférences à envoyer en France. Ensuite, SuggEst les agrège et les monétise auprès d’entreprises du luxe qui proposent les offres. Combien sont-elles, sur terre, ces petites mains de l’intelligence artificielle ? Personne ne le sait. Des millions, certainement. Et combien sont-elles payées ? À peine quelques centimes par clic, souvent sans contrat et sans stabilité d’emploi. Et d’où travaillent-elles ? Depuis des cybercafés aux Philippines, chez elles en Inde, voire depuis des salles informatiques d’universités au Kenya. Pourquoi acceptent- elles ce job ? La perspective d’une rémunération, sans doute, surtout dans des pays où le salaire moyen d’un travailleur non qualifié ne dépasse pas les quelques dizaines de dollars par mois. Des collègues stagiaires assurent à Simon que c’est chose courante. Au Mozambique ou en Ouganda aussi des quartiers entiers de grandes villes ou des villages ruraux sont désormais mis au travail pour cliquer sur des images ou pour retranscrire des bouts de texte. Cela sert, comprend le stagiaire, à « entraîner les algos », c’est-à-dire à enseigner aux machines à réaliser leurs tâches automatisées. Quand vont-elles apprendre ? Difficile de donner une réponse. Les personnalités qui utilisent l’application SuggEst se renouvellent constamment et veulent de nouvelles offres. La machine doit évoluer. La plateforme continue d’acheminer plus de travail vers plus de travailleurs du clic en Afrique. Les stagiaires aussi travaillent à mi-temps sur les « fiches ». Comme les autres, Simon fait lui aussi « ses petits après-midi » en jouant l’intelligence uploads/Litterature/ casilli-antonio-en-attendant-les-robots.pdf

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