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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Sylvia L’Écuyer Lacroix Études littéraires, vol. 15, n° 1, 1982, p. 11-31. Pour citer cet article, utiliser l'adresse suivante : http://id.erudit.org/iderudit/500565ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 20 mars 2012 12:58 « Joseph d’Ortigue et la linguistique de la musique » JOSEPH D'ORTIGUE ET LA LINGUISTIQUE DE LA MUSIQUE sylvia l'écuyer lacroix Vers la fin des années 1820, alors que Paris s'affirme de plus en plus comme le centre de la vie musicale européenne, on s'y interroge, dans les milieux littéraires et artistiques, sur le sens et la signification de la musique. L'une des causes de ce phénomène est sans doute l'introduction auprès du public français de la nouvelle musique allemande — en particulier celle de Weber et de Beethoven — dont on sent bien qu'elle marque une rupture avec le siècle précédent. Les abonnés des Concerts du Conservatoire auxquels Habeneck1 fait entendre les sept premières symphonies du maître de Bonn en 1828-1829, et même les habitués du quatuor dirigé par le célèbre violoniste Pierre Baillot2, fervent admirateur de Beethoven, sont pour la plupart choqués et déroutés par ces harmonies «trop compliquées» et «fatigantes». Le témoignage de Berlioz, assistant en 1829 à l'exécution du quatuor en do dièse mineur (op. 131) de Beethoven, est tout à fait éloquent sur ce point : Il y avait dans la salle à peu près deux cents personnes qui toujours écoutaient avec une religieuse attention. Au bout de quelques minutes, une sorte de malaise se manifesta dans l'auditoire, on commença à parler à voix basse, chacun communiquant à son voisin l'ennui qu'il éprouvait; enfin incapables de résister plus long-temps [sic] à une pareille fatigue, les dix-neuf vingtièmes des assistants se levèrent en déclarant hautement que c'était insupportable, incompréhensible, ridicule : « C'est l'œuvre d'un fou, — ça n'a pas le sens commun, etc., etc. »3 Devant la nécessité de rendre accessibles au public ces oeuvres nouvelles qui bouleversent les anciennes règles de la composition, musiciens, philosophes et poètes cherchent la clé de leur nouveau langage. En fait c'est la critique musicale moderne qui naît du choc causé par l'apparition de ces oeuvres rompant avec l'idéologie classique et entraînant les auditeurs dans un monde de sensations musicales inconnues. Cette critique, ainsi qu'une philosophie romantique accordant à l'esthétique une place de choix dans un système global, ÉTUDES LITTÉRAIRES — AVRIL 1982 12 semble être d'abord apparue en Allemagne. Sans nier l'exis- tence d'un romantisme et d'un préromantisme essentiellement français — qu'André Monglond, dans ses remarquables études sur le sujet4, fait remonter à Sénancour (1770-1846), Ramond de Carbonnières (1755-1827), Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814) et même au prédicateur Massillon (1668-1742) — on peut en effet affirmer que les écrivains et les philosophes français n'ont pas cherché à définir rigoureusement l'idéologie romantique avant de la voir s'incarner dans la musique. En Allemagne, au contraire, on observe «une antériorité frappante des idées romantiques sur les réalisations musi- cales5», avec, en particulier, le premier manifeste romantique exprimé dans la revue Athenaeum par les membres du cercle d'Iéna : les frères Schlegel (Wilhelm 1767-1845, et Friedrich 1772-1829), Novalis (1772-1801), Ludwig Tieck (1773-1853) et Karl Ritter (1779-1859). En même temps que les premières vagues beethoveniennes, la littérature romantique d'outre-Rhin se répand en France dans le public, et non plus uniquement dans le cercle étroit où elle était connue jusqu'alors. Bien qu'il demeure un important catalyseur de l'influence allemande sur le romantisme français, l'ouvrage de Germaine de Staël, De l'Allemagne (1810), n'en fut ni le seul, ni même le premier exemple. Dès 1802-1803, l'écrivain et philologue Friedrich von Schlegel avait donné un cours privé de littérature allemande à Paris6; par la suite, plusieurs de ses ouvrages sont traduits et il projette même la fondation d'une Académie allemande en France. Les contes de Tieck paraissent en traduction française à partir des années 1823-1824, puis ce sont les écrits de Jean- Paul à partir de 1829. Enfin les œuvres complètes de ET.A. Hoffmann sont publiées en français dès 1830-1832. À l'exemple de ces poètes et philosophes allemands, pour qui la musique est la « langue du cœur», les écrivains français se préoccupent de plus en plus d'art musical et y cherchent une source d'inspiration7. Lamartine, Musset, Vigny, George Sand, Balzac et Stendhal tentent d'illustrer dans la poésie et le roman cette convergence des arts qui préoccupe d'autre part Berlioz et Delacroix. Vers la fin du XVIIIe siècle, les travaux des philologues sur l'origine des langues indo-européennes conduisent les musi- ciens à s'interroger à leur tour sur l'origine des tonalités et sur JOSEPH D'ORTIGUE ET LA LINGUISTIQUE DE LA MUSIQUE 13 la nature réelle des rapports qui existent entre les deux formes d'expression verbale et musicale. Après l'Essai sur l'origine des langues de Jean-Jacques Rousseau8, Chabanon publie en 1785 De la musique considérée en elle-même et dans ses rapports avec la parole, les langues, la poésie et le théâtre. En 1807, Guillaume-André Villoteau, qui avait participé aux expéditions napoléoniennes en Egypte avec Champollion, fait paraître ses Recherches sur l'analogie de la musique avec les arts qui ont pour objet l'imitation du langage9. À partir de ces travaux, et de ceux du père Amiot sur la musique de l'Inde et de la Chine10, François-Joseph Fétis expose dans son Résumé historique de l'histoire de la musique11 (1835) une théorie de la formation des différentes tonalités. Bien qu'il constate, à l'occasion, l'origine commune de la langue et de la musique d'un pays, Fétis ne se livre pas dans son Résumé à une comparaison systématique des langues et des tonalités; c'est à Joseph d'Ortigue que revient le mérite d'avoir le premier cherché de véritables analogies entre la théorie musicale et la linguistique. Critique, «musicologue» avant la lettre et possédant aussi, comme nous le verrons plus tard, une solide formation philosophique et littéraire, d'Ortigue écrit à propos du Résumé historique de Fétis : [...] ce savant a porté dans son analyse un véritable esprit de critique [...] bien que sa théorie soit loin d'être complète, faute par lui d'avoir rattaché la question des tonalités à celle de la formation des langues et de l'origine des races humaines12. Les travaux de Joseph d'Ortigue n'ont pas reçu jusqu'à présent l'attention qu'ils méritent. Pourtant Emile Haraszti signalait en 1963 l'importance du Dictionnaire liturgique, historique et théorique de plain-chant et de musique d'église au moyen-âge et dans les temps modernes. «C'est une nouvelle encyclopédie», écrit-il, «la première du genre en Europe13. » Haraszti souligne, avec justesse, la pertinence des réflexions sur les problèmes de la parenté, de la genèse et de la classification des arts, consignées dans cet ouvrage. D'Ortigue lui semble à ce point de vue un continuateur de Rousseau, Hoffmann et des autres théoriciens du romantisme. Ce qui fait cependant son originalité lorsqu'il discute de la parenté des arts, c'est l'idée d'appliquer à l'histoire et à l'analyse musicales les découvertes de la linguistique. La précocité d'une telle démarche est particulièrement remarquable ÉTUDES LITTÉRAIRES — AVRIL 1982 14 aujourd'hui, alors que plusieurs musicologues et ethnomusi- cologues, s'inspirant des méthodes linguistiques, cherchent à développer de nouveaux outils d'analyse. Dans son volume intitulé Fondements d'une sémiologie de la musique, Jean- Jacques Nattiez signale d'ailleurs l'apport de Joseph d'Ortigue, tout en précisant que «bien entendu, la linguistique n'avait pas à l'époque, le développement, le caractère de systématicité et de précision qu'on lui connaît aujourd'hui14». La démarche de d'Ortigue, que nous allons examiner ici à travers une sélection chronologique d'articles et d'extraits de volumes dont on trouvera la liste à la fin de cet article, n'est pas plus systématique que la linguistique dont elle s'inspire. Elle est cependant d'un grand intérêt car la musique y est considérée tantôt comme un moyen d'expression de l'homme et de la société, tantôt comme un langage au contenu sémantique plus ou moins précis, tantôt comme une langue régie par un code grammatical et syntaxique. D'Ortigue s'intéresse aux problèmes de l'origine, de l'évolution et de la sociologie des langues, aux lois acoustiques, aux méthodes d'analyse linguis- tique, pour alimenter ses réflexions sur la musique. Ses sources sont aussi variées que, par exemple, les Notions sur l'ouïe (1819) de Fabre d'Olivet, l'Essai sur l'origine unique et hiéroglyphique des chiffres et des lettres de tous les peuples (1826) de Paravey, le Parallèle des langues de l'Europe et de l'Inde (1836) d'Eichoff, la Palingénésie sociale (1833) de Ballanche et les Notions de linguistique (1834) de Charles Nodier. Mais avant de parler des œuvres, nous allons dire quelques mots de l'homme, car les notices de dictionnaires le concernant sont réduites uploads/Litterature/ joseph-d-x27-ortigue-et-la-linguistique-de-la-musique 1 .pdf

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