Ce que le patriarcat fait à l’amour Ce texte est la traduction du dialogue entr
Ce que le patriarcat fait à l’amour Ce texte est la traduction du dialogue entre Victoire Tuaillon et son invitée, Carol Gilligan, co-autrice de « Pourquoi le patriarcat ? ». Cette interview a été enregistrée en novembre 2019 pour le podcast « Les Couilles sur la Table » de Binge Audio. Dans cet épisode je vais discuter, avec Carol Gilligan qui est une féministe et psychologue américaine, de l’amour et de la masculinité. Carol Gilligan est une pionnière dans l’étude des genres. Durant sa carrière elle a étudié le développement des différences entre garçons et filles et comment ces différences peuvent autant saboter que faire émerger nos relations proches, intimes, émotionnelles. L’année dernière elle a publié avec Naomi Snider un livre intitulé « Pourquoi le patriarcat ? » et j’ai trouvé ce livre tout simplement extraordinaire car il examine comment d’un point de vue traditionnel on définit le concept de ce que sont une femme et un homme et comment ces définitions affectent nos capacités humaines à tisser du lien et à créer des relations profondes. Victoire Tuaillon : Tout le monde constate aujourd’hui qu’il y a une asymétrie entre filles et garçons et ce, même dans la manière dont nous les élevons, ce que nous attendons d’elles, d’eux. Pouvez-vous nous expliquer comment, psychologiquement, un garçon se développe aujourd’hui ? Carol Gilligan : Eh bien, l’asymétrie flagrante se situe au moment de notre développement quand filles et garçons semblent être les plus vulnérables, et c’est tellement intéressant car ça a été observé, ou du moins écrit, pour la première fois au milieu du 19ième siècle. En d’autres mots : leur résistance. Leur capacité à supporter du stress ou à se rétablir d’un stress comme un système immunitaire : leur résistance était vulnérable. Et ce qui a été observé et écrit pour la première fois au 19ième siècle, concernait les garçons. Cela se passe pendant l’enfance entre l’âge de quatre et sept ans, quand parmi les garçons de ces âges on voit plus de signes de dépression, comme une sorte de monotonie émotionnelle et une soudaine recrudescence des problèmes d’attention, de langage, de lecture, sans contrôle sur ce qui se passe et des problèmes d’apprentissage. Je veux dire, questionnez n’importe qui travaillant dans une école : « Où vont la plupart des aides dans les écoles élémentaires ? » Ils vous répondront « aux garçons » sans hésitation. Les filles, comme groupe et en comparaison, s’en sortent mieux, souvent bien mieux jusqu’à l’adolescence. Je trouve ça tellement intéressant que personne ne questionne cela ! « Comment cela se fait-il ? » Victoire Tuaillon : Comment cela se fait-il ? Comment se fait-il que les garçons aient des problèmes entre l’âge de quatre et sept ans ? Carol Gilligan : Que se passe-t-il ? Personne ne pose la question. Mais tout le monde sait, que lorsque tu atteins l’adolescence, il y a soudainement une nette hausse du taux de dépression chez les filles. Alors on se retrouve face à des troubles du comportement alimentaire, à de la scarification et à une grande variété de comportements autodestructeurs. Et voici le fait majeur qui est resté terré depuis le milieu du 19ième siècle dans la littérature psychologique et la majorité des gens continue de parler comme si ce fait n’existait pas. L’orientation de ma recherche était vraiment de demander : Comment cela se fait-il ? Qu’est-ce qui explique cela ? Que les garçons soient plus vulnérables entre l’âge de quatre et sept ans, puis soudainement c’est avec les filles autour de l’adolescence qu’il y a une augmentation de leur vulnérabilité et puis plus tard c’est de nouveau au tour des garçons. C’est aussi à ce moment qu’on a une fréquence élevée de suicides et de formes de violence comportementale… Victoire Tuaillon : … contre les autres et eux-mêmes, elles-mêmes ? Carol Gilligan : Les deux ! Les hommes se suicident bien plus souvent que les femmes. Avec mes étudiant.es à Harvard, nous avons effectué dix années d’étude sur le développement des filles et nous en sommes arrivé.es à établir le fait suivant : alors que les filles atteignent l’adolescence, leur résistance se retrouve confrontée à cette culture du genre en les divisant entre bonnes et mauvaises filles. Cette culture est basée sur la division genrée de ce que doivent être masculin et féminin et sur le comportement que doivent adopter les filles. On observe cette résistance chez les filles, qui m’a amené à écrire sur le sujet qu’on appelle le « développement » mais qui devrait plutôt être perçu comme une initiation. Et c’est à ce moment qu’on a introduit le patriarcat : les filles résistaient à l’initiation au patriarcat ! Cela m’amena à me poser la question par rapport aux garçons. Les garçons ne résistent-ils pas aussi ? Alors je me suis dit… attends une minute, que se passe-t-il pendant ce temps entre quatre et sept ans ? Et donc, avec mon étudiante Judy Chu, une chercheuse brillante, on a commencé à observer un groupe de garçons âgés de quatre ans. Judy a suivi ces garçons dans leur évolution de l’école maternelle au CP. C’est dans son superbe livre « Quand les garçons deviennent des « garçons » ». Donc voici la découverte de son bouquin : elle a constaté, chez les quatre et cinq ans, à quel point ils étaient attentifs, authentiques, expressifs et directs les uns envers les autres. Et durant les trois années de son étude elle a pu voir comment petit à petit ils devenaient moins attentifs, moins clairs, moins directs avec les autres et elle aussi. Elle parle de la manière dont leur relation passe d’une présence relationnelle émotionnelle, à une présence posturale voir fausse. Elle décrivait là ce qui se passait quand les garçons devenaient des « garçons », ou du moins, comment ils étaient prédestinés à l’être. Mais ce n’est pas comme ça qu’ils étaient à l’âge de quatre ou cinq ans. Alors elle s’est dit : les garçons en savent plus qu’ils ne veulent bien le montrer. Et donc, en d’autres mots, ce qu’elle a pu observer c’était ces petits garçons qui résistaient à une initiation, ou étaient en train de trouver un moyen stratégique de gérer la pression à mesure qu’ils intégraient l’école pour démontrer qu’ils faisaient partie des garçons dans une définition de la masculinité opposée à celle de la féminité. Les filles et la féminité étaient perçues comme gentilles. Alors les garçons devaient être méchants. Et les garçons ont formé une équipe appelée « La méchante équipe » et le but de cette équipe s’organisait en opposition aux filles pour démontrer que vous étiez un garçon. De façon à montrer que vous n’étiez pas une fille et ou bien gay. La fonction de la « méchante équipe », comme le dit un garçon de cinq ans, c’était « d’embêter les autres » ! En d’autres mots vous deviez démontrer que vous n’étiez pas gentils et donc pas comme une fille alors vous embêteriez les gens. De plus pour être un garçon vous deviez faire partie de la « méchante équipe ». On en parlera plus tard parce qu’une ancienne élève, maintenant une collègue, Niobe Way, a fait cette étude autour de l’adolescence des garçons et leurs liens relationnelles. Ce livre s’intitule « Profonds secrets » et je vous le dis, le profond secret c’est que les garçons sont des êtres humains. Victoire Tuaillon : Alors maintenant on va parler de ces garçons qui ont entre quatre et sept ans. Ils apprennent donc à être des garçons en accord avec les règles de la masculinité. Comment cela se répercute-t-il sur eux ? Carol Gilligan : Chez les petits garçons, le niveau d’intelligence émotionnelle est stupéfiant ! Il y a ce petit de cinq ans qui dit à sa maman : « Maman pourquoi tu souris quand tu es triste ? ». Il interprète son sourire. Il réalise que le sourire cache de la tristesse. Ainsi, il interprète les émotions cachées. Un autre petit de cinq ans, dont le papa qui lui-même avait été frappé par son père, avait fait la promesse qu’il ne ferait pas la même chose à ses enfants. Un jour les parents décident de divorcer. Il y a beaucoup de tension dans la maison et le petit fait quelque chose, son père le frappe. Le jour suivant le père dit à son fils : « Je suis si désolé, je ne voulais pas. Je vais te faire la promesse que je n’essayerai plus jamais de te frapper ». Ce à quoi le petit garçon répondit : « Tu as peur que si tu me frappes pendant que je grandis alors je frapperais mes enfants ». Il a interprété la peur de son père. On doit alors partir du fait que les garçons sont des êtres humains, ce qui signifie : qu’ils débutent avec une incroyable capacité à piocher dans les émotions contenues dans le monde qui les entoure… Victoire Tuaillon : Et ils perdent cette capacité ? Carol Gilligan : uploads/Litterature/ ce-que-le-patriarcat-fait-a-l-x27-amour-french.pdf
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- Publié le Oct 14, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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