Michel de Certeau L’Etranger ou Tunion dans la différence nouvelle édition étab

Michel de Certeau L’Etranger ou Tunion dans la différence nouvelle édition établie et présentée par Luce Giard DESCLÉE DE BROUWER \ DU MÊME AUTEUR Le Mémorial de Pierre Favre, Desdée De Brouwer, Christus, 1960. Guide spirituel de Jean-Joseph Surin, Desclée De Brouwer, Christus, 1963. Correspondance de Jean-Joseph Surin, Desclée De Brouwer, Bibliothèque européenne, 1966. La Prise de parole, Desclée De Brouwer, 1968. La Possession de Loudun (1970), 3e éd., Gallimard, Archives, 1990. L ’ Absent de l’ histoire, Marne, Repères, 1973. La Culture au pluriel (1974), 2e éd., Christian Bourgois, 1980. Le Christianisme éclaté (en collaboration avec Jean-Marie Domenach), Seuil, 1974. Une Politique de la langue. La Révolution française et les patois (en collaboration avec Dominique Julia et Jacques Revel), Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1975. L ’Ecriture de l’histoire (1975), 3e éd., Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1984. L ’ Invention du quotidien, tome 1 : Arts de faire (1980), riouv. éd., Gallimard, Folio, 1990. La Fable mystique xvi’ -xvu- siècle, tome 1 (1982), 2e éd., Gallimard, Tel, 1987. L ’ordinaire de la communication (en collaboration avec Luce Giard), Dalloz, 1983. Histoire et psychanalyse entre science et fiction, Gallimard, Folio, 1987. La Faiblesse de croire, Seuil, Esprit, 1987. © Descléc de Brouwer, 1991 bis, rue des Saints-Pères, 75007 Paris ISBN 2-220-03196-9-^ ISSN 0993-5916 « Un visage d ’homme, c’est un hiéroglyphe, un signe sûr, sacré1 » La première édition de L ’ Étranger paraît à l’automne 1969 dans une collection de poche « Foi vivante », réalisée en commun par quatre éditeurs (Desclée de Brouwer, Aubier- Montaigne, Le Cerf, les Éditions ouvrières), destinée à ceux qui désirent réfléchir avec sérieux à leur appartenance chré­ tienne. A ce titre, la collection s’intéresse autant à la philo­ sophie qu’à la théologie ou à la spiritualité, elle puise dans le passé comme dans la production récente. Sous le numéro 116, Michel de Certeau entre ainsi dans une brillante 1. Hugo von Hoftnannsthal, « Lettres du voyageur i son retour », in Let­ tre de Lord Chandos et autres essais, Paris, Gallimard, 1980, p. 183. VH cohorte où l’ont précédé, pour le domaine étranger, Hans Urs von Balthasar, Karl Barth, Dietrich BonhoefFer, Karl Jaspers, Joachim Jeremias ou Karl Rahner, mais aussi Jean XXIII, Kierkegaard et Luther, et, pour le domaine français, Marie- Dominique Chenu, Paul Claudel, Yves Congar, Jean Danié- lou, Henri de Lubac ou Gabriel Marcel. A cette date, le travail de Michel de Certeau est encore inséré surtout dans les réseaux de la Compagnie de Jésus à laquelle il appartient depuis 1950 et qu’il ne quittera jamais. Déjà sa production écrite est de deux ordres. D’un côté, il y a une production savante, érudite, pour spécialistes et recon­ nue comme telle ; elle concerne l’histoire de la mystique et des courants spirituels aux xvi« et xvn* siècles, elle prend pour centres de perspective d’abord des jésuites, comme Pierre Favre, l’un des premiers compagnons du fondateur, ou Jean-Joseph Surin que l’affaire de Loudun vers 1635 rendra célèbre pour son malheur. D’un autre côté, il écrit réguliè­ rement des textes plus simples, en réponse à des commandes spécifiques et destinés à un large public. Ceux-là traitent du présent, de l’insertion des chrétiens dans la vie sociale, de leur manière d’y vivre une tradition, de lui être fidèles sans s’enfer­ mer dans une citadelle assiégée. L’essentiel est de « faire mou­ vement » ou, pour reprendre une notion ignatienne qui revient souvent sous sa plume, de « proportionner2 » un agir à un croire avec véracité et lucidité. A ce second registre d’écriture appartient ce recueil qui relève tout entier d’une culture, d’une tradition, d’une Église. Ses chapitres ont paru précédemment dans des revues de la Compagnie à une seule exception, soit Christus, revue trimes­ trielle de spiritualité dont Michel de Certeau fut directeur- adjoint en 1963-1967, soit les Etudes, mensuel de culture générale, où il devint rédacteur en 1967 pour le rester jusqu’en 1972. De cette appartenance, l’ouvrage porte la mar­ que visible et la date, dans ses préoccupations, ses thèmes et, 2. J’ai relevé près de vingt occurrences de ce terme dans ce volume, il en est de même pour ses autres ouvrages. VIII pour partie, ses références. C’est à ma connaissance le der­ nier écrit de Certeau où l’on trouve les mentions canoniques imprimi potest et imprimatur. Il est vrai que, par la suite, l’usage de cette estampille institutionnelle est peu à peu tombé en désuétude, il est sûr que Certeau ne s’en est plus guère soucié. Mais ce recueil au beau titre, plus énigmatique qu’il ne paraît (qui donc ici est le plus étranger ?) noue ensemble ce qui déjà n’est plus. C’est l’adieu à un monde (de pensée, de travail et de vie) qu’il faut quitter, comme le voyageur doit se défaire des illusions premières ou de la tentation de « faire du bien ». Plus tard, concluant La Fable mystique sur un cha­ pitre intitulé « Ouverture », Michel de Certeau redira la même chose en citant un fragment de René Char : « En poésie, on n’habite que le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’œuvre dont on se détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps3. » De ce déplacement, dont la nécessité n’aura cessé de l’habiter, l’avancée est ici placée sous la figure d’Abraham auquel Yahvé avait demandé: « Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père pour le pays que je t’indiquerai » (Gn 12,1). Ce verset que Certeau reprenait souvent dans ses tex­ tes ou dans ses cours revient ici plusieurs fois, il définit la nécessité du voyage s’il n’en peut indiquer le terme. Le voya­ geur va à la rencontre de l’autre, dans ce mouvement de sortie autrefois appelé « mission », où Michel de Certeau reconnais­ sait surtout un effort de véracité, le passage d’un universel présumé à un particulier mis à l’épreuve, autrement dit une manière (indéfinie) de se livrer à l’altération (salutaire) qui vient de la rencontre d’une altérité. De ce mouvement, le cha­ pitre 4 dit les rythmes intérieurs, il dessine aussi un merveil­ leux autoportrait de son auteur, à demi-mot, en accord avec la remarque si juste de Georges Balandier: « Toute œuvre savante recèle une autobiographie involontaire4. » 3. Michel de Certeau, La Fable mystique, t. 1, 2' éd., Paris, Gallimard, Tel, 1987, p. 411. 4. Georges Balandier, « Henri Lefebvre et Erving Goffman même combat ? », in Le Monde, 17 février 1989 ; et, presque dans les mêmes ter­ mes, « Dérives ethnologiques », ibid., 3 août 1990. IX En un sens, ces chapitres sont les derniers exercices obli­ gés d’une pensée qui a trouvé son registre propre, réuni sels conditions de possibilité et va prendre son autonomie. Cette maturité avec ses meilleurs fruits est déjà présente dans les fulgurances qui traversent ces pages, ici la beauté de la lan­ gue, là l’acuité saisissante d’une notation, partout la force qui, tel le cornant d’un grand fleuve, emporte l’analyse, plus sûre­ ment et plus loin que son auteur ne le sait. Les questions recensées, sur Dieu, la rencontre de l’autre, l’insertion dans le corps social, l’agir et le comprendre, s’articulent avec des mots simples, dans l’idiome d’un milieu et d’une tradition ; ailleurs Michel de Certeau les reprendra selon d’autres pro­ cédures, dans des contextes tout différents, il n’y renoncera jamais, mais il cessera de les étudier de l’intérieur du chris­ tianisme. Libre marcheur de la frontière, dépouillé des certitudes (apparentes) des réponses reçues comme bien évi­ dentes, il continuera à tenir ces questions au plus haut de leur radicalité, sans faiblir et sans leur donner de réponse assurée. Désormais, il se tiendra tout entier dans la question même, avec une extrême probité, avec une lucidité sans artifice, en quête d’un Dieu dont nous ne savons rien, quoi qu’en dise l’institution, et dont notre désir surpasse en tout point notre inconnaissance en sorte que vers lui chacun de nous tend par des voies cachées, « mystiques » au sens premier. Cette inconnaissance ne décourage ni ne désespère, elle éclaire et purifie, elle embrase de ses feux l’âme et l’intelli­ gence. Michel de Certeau croyait fermement à cette véracité- là, à la liberté ainsi regagnée dans la rencontre d’autrui. Car la connaissance de Dieu passait pour lui par celle des hom­ mes, dans ce « commerce des hommes », comme dit Ignace de Loyola, dont lui-même écrit au chapitre 6 : « Le mouve­ ment de la naissance à la vérité est la dialectique même d’un entretien. Chacun tient sa vérité de ce qui le lie et, simulta­ nément, le différencie des autres. » Ainsi pratiquée, la traver­ sée des frontières (d’un milieu, d’une culture, d’une Église) ne nourrit pas l’illusion de rejoindre l’universel à moindre coût, elle apprend la modestie que donne la conscience des x limites de sa propre particularité. Un peu plus pauvre et peut* être plus lucide, le voyageur saura bientôt qu’il n’a nul moyen de quitter « la vie commune ». Lui aussi redira qu’il n’est qu’un uploads/Litterature/ certeau-michel-de-l-x27-etranger-ou-l-x27-union-dans-la-difference.pdf

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