R´ efuter sans lasser le lecteur. Pratiques de la r´ efutation dans le ”Contre
R´ efuter sans lasser le lecteur. Pratiques de la r´ efutation dans le ”Contre Eunome” de Gr´ egoire de Nysse Matthieu Cassin To cite this version: Matthieu Cassin. R´ efuter sans lasser le lecteur. Pratiques de la r´ efutation dans le ”Contre Eunome” de Gr´ egoire de Nysse. Peeter. Studia Patristica, Peeters, pp.71-76, 2010. <halshs- 00535623> HAL Id: halshs-00535623 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00535623 Submitted on 15 Nov 2010 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. 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Le cas des trois Discours contre les Ariens d’Athanase est plus complexe: il y a plusieurs textes visés (Arius, Astérius) et ils ne sont pas réfutés de manière suivie. 3 Pour une première liste concernant la controverse eunomienne, voir Jürgen André Röder, Gregor von Nyssa, Contra Eunomium I 1-146, Patrologia 2 (Frankfurt, etc. 1993), 33-9. Réfuter sans lasser le lecteur: Pratique de la réfutation dans le Contre Eunome de Grégoire de Nysse Matthieu CASSIN, Paris Les trois livres du Contre Eunome de Grégoire de Nysse appartiennent à un petit groupe d’œuvres patristiques de langue grecque, qui ont pour caractéris- tique d’être la réfutation suivie de l’ouvrage d’un adversaire; elles sont consti- tuées par l’alternance entre citations du texte adverse et réponses de l’auteur. Si on arrête ce recensement avant la querelle nestorienne, il semble qu’on puisse proposer la liste suivante, pour les œuvres conservées: Origène, Contre Celse; Eusèbe de Césarée, Contre Marcel, Théologie ecclésiastique; Basile de Césa- rée, Contre Eunome I-III; Grégoire de Nysse, Contre Eunome I-III, Réfutation de la profession de foi d’Eunome, Contre Apollinaire; Cyrille d’Alexandrie, Contre Julien. Si j’inclus dans cette liste aussi bien des textes tournés contre les païens que ceux, les plus nombreux, qui s’opposent à des adversaires chré- tiens, j’en exclus volontairement les traités qui ne réfutent pas directement un texte précis et suivi,1 même s’ils attaquent un adversaire et ses positions, ou bien ne retiennent qu’un élément de ce texte, non son déroulement,2 ainsi que les traités aujourd’hui perdus, dont il faudra cependant dresser la liste.3 Il faudra aussi, par la suite, étendre l’enquête au domaine latin. Il me semble qu’il est possible de dégager ainsi un groupe d’œuvres, doté d’une certaine cohérence, dont l’examen en termes de composition, d’écriture, de méthode de réfutation peut se révéler fructueux et à l’intérieur duquel des comparaisons seront plus largement justifiées. Ce groupe traverse les frontières Studia Patristica XLVII, 71-76. © Peeters Publishers, 2010. 72 M. CASSIN 4 À ce titre, cette catégorie d’ouvrages n’a pas directement retenu l’attention d’Alain Le Boul- luec, La Notion d’hérésie dans la littérature grecque IIe-IIIe siècles (Paris, 1985). 5 Jacques Schamp, Photios historien des lettres: la Bibliothèque et ses notices biographiques (Paris, 1987), n’évoque malheureusement pas ces termes. 6 À l’exception du Contre Eunome I-III de Basile et de la Réfutation de la profession de foi par Grégoire. 7 À ce titre, l’étude des deux œuvres pour lesquelles nous avons à la fois l’ouvrage initial et sa réfutation est assez instructive. Le Contre Eunome de Basile cite environ 25% du texte d’Eunome qu’il réfute (cf. Louis Doutreleau, dans Basile de Césarée, Contre Eunome II, SC 305, Paris, 1983, 224), quand, dans la Réfutation de la profession de foi d’Eunome, Grégoire cite près de 60% du texte de son adversaire (cf. Richard Paul Vaggione, Eunomius of Cyzicus: The Extant Works, Oxford, 1987, 140). 8 À titre d’exemple, le Contre Eunome I-III de Basile compte cinq fois plus de mots que l’Apologie d’Eunome, quand la Réfutation de Grégoire en compte environ vingt fois plus que la Profession de foi du même Eunome. 9 Voir par exemple Richard Paul Vaggione, Eunomius of Cyzicus (1987), 89-94. établies d’ordinaire entre littérature apologétique et littérature anti-hérétique.4 Il ne semble malheureusement pas y avoir de terme décrivant ce sous-genre dans la pratique littéraire antique; les termes d’ântírrjsiv (réfutation) ou de lógov ântirrjtikóv (discours réfutatif), qui peuvent recouvrir ce corpus, n’en sont pourtant pas caractéristiques, puisqu’ils sont aussi employés à propos du Contre Apion de Flavius Josèphe, qui n’est pas une réfutation suivie. Ces termes apparaissent, au vu d’une première enquête, comme une désignation plus tardive que la période patristique, et appartiennent sans doute davantage à l’histoire littéraire byzantine, telle que la reflètent les manuscrits et les titres qu’ils transmettent.5 Je mènerai un premier examen à partir des traités Contre Eunome de Gré- goire de Nysse, pour dégager les principaux traits de son attitude face au texte qu’il réfute. En effet, dans la majorité des cas évoqués,6 les textes réfutés ne nous sont conservés que par l’intermédiaire des œuvres qui les réfutent. Il est donc de la première importance de mieux comprendre la manière dont le réfu- tateur traite le texte de son adversaire: suit-il l’ordre du texte qu’il réfute, ou bien le recompose-t-il? cite-t-il à la lettre, ou bien récrit-il à sa manière? cite-t-il la totalité du texte adverse, une majorité de celui-ci, ou bien quelques passages seulement?7 quelle proportion la réfutation a-t-elle par rapport au texte réfuté?8 Je ne suis pas le premier à soulever ces questions; tout éditeur d’un texte frag- mentaire, conservé uniquement par l’œuvre qui le réfutait, les pose au cours de son travail.9 Dans le cas de l’Apologie de l’apologie d’Eunome, cependant, l’abondance de méta-discours, de commentaire sur sa pratique de réfutateur, qui est notable dans le Contre Eunome de Grégoire de Nysse, m’a paru propice à une enquête de ce genre. En voici les premiers éléments: j’envisagerai suc- cessivement le cas particulier que constitue la première partie du livre I (1-146), puis ce qui concerne l’ordre du texte réfuté dans le texte réfutant et enfin le processus de sélection du texte effectivement réfuté. Réfuter sans lasser le lecteur 73 10 Grégoire de Nysse, Contre Eunome, éd. Werner Jaeger, GNO I-II (Leyde, 1960-1). Pour traduire Eun. I, je me suis parfois inspiré de la traduction que m’a aimablement communiquée M. Raymond Winling, à paraître dans la collection des Sources chrétiennes, en la remaniant largement. 11 Grégoire de Nysse, Lettres, 29.8, éd. et trad. Pierre Maraval, SC 363 (Paris, 1990), 314-5. 12 Cf. Origène, Contre Celse, Prol. 6; I 41; etc. 13 Le cas le plus net est celui de Cyrille d’Alexandrie; cf. Contre Julien II 2 et l’introduction de Pierre Évieux, SC 322 (Paris, 1985), 29-30. Grégoire semble tout d’abord annoncer qu’il va drastiquement sélectionner et réorganiser le texte adverse: ‘J’omettrai de parler de tout cela, que je consi- dère comme un amoncellement de paroles vaines et inutiles […]. En revanche, s’il a élaboré une défense de ses idées hérétiques, il est bon, à mon avis, d’y apporter la plus grande attention’ (Eun. I 22-310). Puis il ajoute: ‘Si quelqu’un demande que notre réfutation soit rédigée selon le même ordre que le sien, qu’il en définisse l’avantage’ (Eun. I 24), Grégoire semblant ainsi écarter une réfutation pas à pas de l’écrit d’Eunome; on pourrait donc en conclure que l’horizon d’attente des lecteurs correspond à une réfutation linéaire du texte adverse, qui en conserve l’ordre. Cependant, ces remarques concernent en fait uniquement les cent quarante-six premiers paragraphes du livre I, qui portent sur la partie historique, narrative et rétrospective de l’ouvrage d’Eunome. Gré- goire en laisse entendre lui-même le caractère singulier, en soulignant combien la partie narrative est marquée par l’âxrjstía, l’inutilité (Eun. I 29). Le début de la seconde partie du livre I marque clairement la césure, au moyen d’une seconde introduction (I 147-50) et d’un second exposé de la méthode, qui se clôt ainsi: ‘Pour montrer que son argumentation contre la doctrine de la vérité est au plus haut point menteuse et sans consistance, je citerai d’abord littéra- lement ses déclarations à ce sujet et ensuite, je reviendrai sur ce qui a été dit, en examinant chaque point séparément.’ Le caractère atypique de la première partie du livre I est souligné par Grégoire lui-même dans la lettre à son frère Pierre de uploads/Litterature/ stupat47-cassin 1 .pdf
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- Publié le Sep 04, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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