Un peuple messianique Constitution de l'Eglise, chap. 2, n. 9 Tous sont d'accor

Un peuple messianique Constitution de l'Eglise, chap. 2, n. 9 Tous sont d'accord pour reconnaître avec une Joyeuse complaisance dans le chapitre deuxième de !a constitution Lumeit Gentwm l'une des pièces majeures de l'ecclésiologie conciliaire, mieux, la définition même du sujet de l'économie chrétienne. Tous sont d'accord, et, avec le mûrissement des textes dans l'Eglise en train de leur donner une intelligence concrète, cet accord prend une solidité lucide et capiteuse, dans une conscience collective décidément en éveil. Sans doute, entre plusieurs, ce chapitre est-it prophétique. On en sait l'origine, liée à l'opération stratégique qui, dès le pre- mier mois du Concile, a décidé de son sort, dans une prise de con- science qui, selon l'inspiration de Jean XXIII vigoureusement exprimée dans son discours d'ouverture, a transformé le dossier juridico-dogma- tique préparé en une intelligence évang-élique du « mystère », en acte dans l'Eg-lise. Le dispositif, d'abord envisagé dans les schémas prééta- blis sur l'Eglise, fut bouleversé. Au lieu d'une séquence verticale, selon la voie autoritaire, qui passait du Christ au pontife souverain, du pontife aux évêques, des évêques aux prêtres, des, prêtres aux diacres, et enfin au « troupeau » conduit par cette hiérarchie, le plan fut retourné : en émanation du Christ, le Corps des croyants, réalisant dans l'histoire son mystère (chap. I) ; ce Corps était alors décrit comme constituant un peuple : dénomination à la fois biblique, évan- gélique, sociologique et eschatolo'gique, dont on détaillait les propriétés et les structures, quels qu'en soient les membres, clercs ou laïcs, voire même les incroyants non enregistrés juridiquement dans l'Eglise visi- ble (chap. 2). Etait alors pris en considération, dedans ce «peuple», l'organisme des fonctions biologiques de ce Corps : non seulement au titre général de toute société où une autorité a la gérance du bien commun, mais, dans un caractère spécifique, au titre et en valeur d'un ensemble sacré de services, de « ministères », qui fondent et légi- timent des « pouvoirs », émanant mystiquement et sacran-ientellement du Christ (chap. 3). Après quoi, la situation propre des croyants, qui n'ont point ces fonctions et ces grâces, était définie, dans le régime profane d'une existence personnelle, familiale, professionnelle, so- ciale, culturelle, dans le monde qu'ils avaient ainsi à sanctifier (chap. 4). « Peuple de Dieu » : cette expression prend déjà de par cette posi- tion une densité extraordinaire, dans. la définition doctrinale, pasto- UN FBUPLE MSSSIANIQUR 165 raie, œcuménique, missionnaire, d'une Eglise, dont le mystère se réalise normalement dans une visibilité soctologique et dans des struc- tures hiérarchiques, au cours des étapes de son histoire terrestre. C'est toute l'ancienne alliance qui nourrit ainsi le mot. C'est toute l'expérience séculaire de l'Eglise, après l'avènement du Christ, que récapitule ce mot. C'est toute l'espérance — espérances personnelles, espérance collective plus encore — qui gonfle ce mot de son dynamis- me eschatologique, déjà en acte dans le temps présent. Or, à deux reprises, ce peuple est dit «messianique» (n. 9). Epi- thète décorative, dans un vocabulaire de routine ? Non, c'est une qualification essentielle, a, ce point inhérente qu'elle entre dans la définition de ce peuple et en commande les propriétés. Ce peuple est messianique. « Ce peuple messianique, bien qu'il ne comprenne pas en fait tous les hommes, et que plus d'une fois il apparaisse comme un petit troupeau, est cependant pour tout le genre humain un germe très puissant d'unité, d'espérance, de salut» (/oc. cit.). Il est donc inséré dans l'histoire humaine par sa propre dimension historique, comme ferment de l'entreprise cosmique, par son espérance. Il ne faudrait pas que cela passe inaperçu dans cette mention trop sommaire. Le messianisme judéo-chrétien Un messie pressenti, annoncé, attendu : dès les premières pages, c'est l'ancienne alliance : avec l'appel d'Abraham, Dieu se choisît un peuple, dont les espérances, à travers tant d'épisodes et de relais, prennent enfin corps et expression, dans un événement qui passe toute attente, et, engagé désormais dans la suite de l'histoire, mène la famille humaine à l'accomplissement de la promesse. Le Messie est venu. Il n'y a pas à reprendre ici le dossier, scripturaire, historique, doctrinal, du messianisme comme élément constitutif de l'économie chrétienne. Là-dessus exégètes de l'Ancien Testament, exégètes du Nouveau, historiens de l'Eglise primitive — sinon les historiens de l'Eglise occidentale moderne — ont établi à souhait la vérité, l'intel- ligibilité, la portée, de cette position de principe. Depuis l'appel d'Abra- ham, engageant la « promesse », et déjà depuis les lueurs du protévan- gile, jusqu'à la résurrection, présentée dans le kérygme de l'Eglise primitive comme l'intronisation messianique (discours de Pierre, Act., chap. 2), et, évidemment, jusqu'à la terre nouvelle et aux cieux nou- veaux de l'Apocalypse, la ligne est d'une continuité sans faille. Les prophètes, qui en sont les hérauts explicites et permanents, en ont déterminé, en ont proclamé le contenu terrestre et céleste. Leur lec- ture a tenu et tient en baleine le peuple de Dieu, dans sa hantise du jour du Seigneur. 166 M.-D. CHBNU, O.P. Cette continuité, cette unicité de l'annonce et de l'attente, en double ressort permanent du peuple de Dieu, impliquent de soi le blocage des perspectives, dont le discernement va être aussi délicat que né- cessaire : par le fait même qu'il est promesse, le messianisme se développe dans le temps pour aboutir au-delà du temps ; il saisit la totalité des espérances, dont le dénouement céleste déborde les étapes terrestres sans aucunement les dissoudre. Le Messie lui-même, une fois venu, devra ménager ces ambiguïtés, et le Christ a récusé dure- ment une réalisation terrestre de sa royauté ; et tout en demandant le «secret» jusqu'à la résurrection (Me 9, 9-10), il a mené sa vie publique sous la tension messianique. « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ?» (Mt 11, 3). «Je suis le Messie, mot qui te parle » (/w 4, 26). La théologie occidentale s'est attachée, dans un permanent effort d'abstraction, de desserrer ce blocage des perspectives et des objets. Abstraction urgente, en vérité doctrinale et en conduite pastorale. On sait que ces « distinctions » sont constitutionnelles en ecclésiologie. Mais l'abstraction ne disloque pas, dans la continuité de l'histoire, la cohérence interne des objets, qui conservent, pour leur vérité aussi, le dynamisme de leur unité organique. Le messianisme reste le res- sort du peuple de Dieu, ressort terrestre dans la mesure même où il est ressort eschatologîque. Isaïe, Ezéchiel, les Psaumes alimentent continûment le peuple, et les pires conformismes ne peuvent atrophier la violence de leurs adjurations. La vertu de la Promesse soulève encore les protestations des sous-développés de Bandoeng, à l'éton- nement des économistes classiques. Il ne faut pas donc prématurément dissoudre la lettre .des textes, et en « spiritualiser » le contenu dans une allégorisation où en est aliénée la matière. Dialectique dont l'équilibre est fort instable, sous la coordination des deux pôles, dans le dépassement du processus créateur dans l'histoire temporelle, par la libération rédemptrice en histoire du salut. Le message de ce messianisme inclut expressément dans son con- tenu cette dialectique et ce dépassement. Il suffit ici d'en rappeler les trois biens suprêmes : libération, justice, paix, — valeurs, humaines et divines à la fois, de cette « ère nouvelle », à ce point nouvelle que son avènement inaugurera la fin des temps. La fin des temps ; donc au-delà de l'histoire, et cependant présente déjà dans les temps et dans l'histoire. Car l'avènement du Christ s'accomplit aussi, dans la distension des temps, aujourd'hui. L'espérance sans cesse remise, en Israël, dans une réalisation encore et encore reportée, de déception en déception (avènement de la royauté de David, retour de la capti- vité, etc.), est aujourd'hui accomplie, sinon consommée. UN PEUPLE MESSIANIQUE 167 « Je sais, moi, le Dessein que j'ai sur vous : dessein de Paix, et non de malheur ; vous donner avenir et espérance » (7r 29, 11). « Je ferai couler sur elle la. Paix comme un- fleuves (Is 66, 12). Il n'y a pas deux paix, une temporelle, qui n'a rien à voir avec le Royaume, et une « spirituelle», pour les initiés : la paix est indivisible, elle con- cerne tout l'homme et tout homme, en tous ses moyens. « II (le Messie) exercera son autorité sur les nations et sera l'ar- bitre de peuples nombreux, qui, de leurs épées, forgeront des socs et de leurs lances des faucilles. Les nations ne lèveront plus î'épée l'une contre l'autre, et l'on ne s'exercera plus à la guerre » (Is 2, 4). Quelle dérision ! Vraiment, ce Messie n'est pas venu. Mats si. I l a inauguré son entreprise, à Nazareth, dans la synago- gue, lorsqu'on lut présenta le livre d'Isaïe, et, que, déroulant le livre, il lut : « L'Esprit du Seigneur est sur moi ; il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la délivrance, rendre aux opprimés la liberté... Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Ecriture » (Is 61, 1 ; -Le 4, 18). Voici 4onc le test décisif : « Es-tu uploads/Litterature/ chenu-m-d-un-peuple-messianique-lumen-gentium-2-9-nouvelle-revue-theologique-1967.pdf

  • 29
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager