Objets périphériques et mouvements annexes Texte de présentation Cinématographi

Objets périphériques et mouvements annexes Texte de présentation Cinématographies, objets périphériques et mouvements annexes. Ce petit livre reprend une conférence faite en octobre 1997 : qu’est-ce que l’image du dieu mourant à l’écran ? Quatre conférences imaginaires lui font suite : l’hypothèse d’une machine expliquant ce qu’est un homme, une propo- sition sur la genèse des rêves en 1806, les fantasmagories du Second Faust, une image de neige fondant sous les yeux de Perceval. Le cinéma aurait-il eu de si lointains précurseurs dans notre histoire et dans nos poétiques ? Quelle idée absurde de l’histoire soutiendrait encore un tel propos ? Et si c’était l’inverse ? Si le cinéma apparte- nait à l’histoire de nos poétiques ? S’il continuait, accélérait ou modifiait, une projection d’images ininterrompue dans toute notre histoire ? Mais pourquoi fait-on mourir le même dieu dès que l’on invente une image ? Parce que ce dieu meurt dans le corps d’un homme ; et que cet homme pourrait devenir une image. Tout cela nous apprend-il quelque chose du cinéma, ou n’est-ce pas plutôt le cinéma qui fait maintenant revenir les images anciennes ? Il les ferait parler comme des hommes. CINÉMATOGRAPHIES DU MÊME AUTEUR chez le même éditeur Figures peintes, 1998 Choses écrites, 1998 Main courante, 1998 Origine du crime, 1998 Images mobiles, 1999 Le Déluge, la peste, Paolo Uccello, 1999 Sommeil du Greco, 1999 L'Art paléolithique, 1999 Lumière du Corrège, 1999 chez d'autres éditeurs Scénographie d'un tableau, Le Seuil, coll. « Tel Quel », 1969 L'Invention du corps chrétien, Galilée, 1975 L'Homme ordinaire du cinéma, Cahiers du cinéma / Gallimard, 1980, Petite bibliothèque des Cahiers, 1997 Gilles Aillaud, Hazan, 1987 8, rue Juiverie, photographies de Jacqueline Salmon, Comp'Act, 1989 La Lumière et la Table, Maeght éditeur, 1995 Question de style, L'Harmattan, 1995 The Enigmatic Body, Cambridge University Press, 1995 Du monde et du mouvement des images, Cahiers du cinéma, 1997 Goya, la dernière hypothèse, Maeght éditeur, 1998 Jean Louis Schefer Cinématographies Objets périphériques et mouvements annexes P.O.L 33, rue Saint-André-des-Arts, Paris 6e © P.O.L éditeur, 1998 ISBN : 2-86744-615-5 www.centrenationaldulivre.fr 978-2-8180-1551-3 PRÉSENTATION Ce petit livre reproduit une conférence prononcée en juillet 1997 à la Cinémathèque de Lisbonne et, sous une forme plus développée, au Jeu de Paume en octobre 1997. Les quatre chapitres qui lui font suite sont des notes déve- loppées à son propos ; on peut également les lire comme une suite de conférences imaginaires. Voici donc un commentaire de texte à ma façon. Magie du cinéma : cette lanterne magique visite les recoins de notre histoire ; elle la filme, en répète les men- songes et finit par les rendre visibles. Les textes cités et commentés, ainsi que l'histoire à laquelle ils se rattachent, ne comptent pas dans une préhis- toire du cinéma ; je ne prétends pas non plus que le cinéma soit le point de résolution historique, artistique, de mouve- ments et de pensées qui l'ont précédé (cela ne se soutient que comme un paradoxe de pure ironie) ; je crois en revanche que le cinéma et l'invention des films appartien- nent à la même histoire que la littérature, la philosophie, la médecine, la peinture : il est même révélateur d'un étale- ment du prisme des effets dans la même culture ; dont l'idée de son privilège : une photographie du « réel » ; le réalisme (pictural, cinématographique) est cela aussi : il ne fait pas apparaître les choses mais une relation aux choses, c'est- à-dire qu'il met en scène un fond moral propre à notre culture. C'est avec cette idée que je fais ma promenade. Je veux remercier ici monsieur Joâo Benard da Costa de son accueil amical à la Cinémathèque portugaise. Je remercie Danièle Hibon d'avoir donné au Jeu de Paume un auditoire à ce discours ; d'avoir enfin amicalement sollicité ce travail et engagé sa suite. CONFÉRENCE Je dois, avant toute chose, expliquer la singularité de ce programme qui suppose au moins, pour chacun d'entre nous, une montée au Calvaire. Il faut donc développer l'idée absurde d'une généalo- gie des images depuis la scène de Golgotha. Cette idée ne se justifie que dans l'iconologie chrétienne : elle en est même toute l'idéologie. Appliquée au cinéma, elle est déci- dément absurde. Et pourtant c'est un point de perspective expérimentale dans une histoire (peut-être morale) des images. J'ai divisé ce programme en trois parties plus une, comme on enseignait (autrefois) le plan des dissertations chez les Pères. Je tente ainsi d'introduire un peu de pensée non technique dans une réflexion sur le cinéma. Et cela m'est d'autant plus facile que je suis sans doute, dans cette salle, celui qui connaît le moins bien le cinéma. Voyons donc ce plan : les choses ne se sont pas tout à fait passées dans cet ordre, mais pourtant : Le dieu de notre religion meurt sur la croix pour le rachat de l'humanité. Il meurt comme un homme, dans le corps d'un homme, sur une croix. Le bois de cette croix est sorti d'une graine mise dans la bouche d'Adam et enterrée avec lui (« Adam est le premier homme qui ait mis sa tête dans la terre », dit la Légende dorée). Cette croix est donc un arbre généalogique, et cette mort est un testament. Le Christ en mourant a regardé les peuples d'Occident, écrit en l'an mil le moine Glaber, ses pieds étaient l'est, sa face le couchant, sa main droite bénissait le nord et sa main gauche abandon- nait le sud : cette ombre doit donc être l'origine de l'espace où nous avons vécu des siècles ; elle a été la division du monde (le sud contre le nord, l'est séparé de l'ouest). Mais cette mort a, autrement, légiféré sur l'image : ce corps qui est un homme ne représente pas le dieu qui était cet homme : ce dieu restera invisible jusqu'à la consommation des temps ; il laissera un sacrement qu'il est et qui ne le représente pas, sous la forme du pain et du vin. C'est que le Verbe ou le Logos n'a pas de portrait. Toute l'histoire de la théologie entre l'Orient et l'Occident s'est jouée là : le portrait de l'invisible est invisible. On a donc inventé une sorte de palliatif : une image du Christ qui était un négatif (ici, le saint suaire, la Véronique, à Byzance le mandylion : face du Christ empreinte sur son manteau, destinée au roi Abgar) ; ce por- trait est tiré au cours de la Passion : c'est le visage du mort ou de celui qui est en train de quitter la forme humaine. Voilà cette instauration morale de l'image : elle n'est pas la pré- sence mais l'évocation du sujet disparu ; elle commémore cette disparition. Le sens n'est pas tenu par les linéaments de la forme : il est leur évaporation (cette idée n'a jamais tout à fait disparu : nestorienne, augustinienne, mystique, métaphy- sique ; elle a été l'eucharistie contre l'icône). Elle signifie encore ceci : ce dieu a abandonné la forme humaine ; c'était donc que cette forme était sans rédemption. Le cinéma, dans d'innombrables fictions, a joué avec le corps humain : en l'enregistrant, en décomposant son mouvement, en le déformant à l'envi, en le rapetissant. Pos- sibilité technique : ce corps humain apparaît enfin (c'est une révolution tout autre que l'imagination des monstres médié- vaux ou romantiques) comme une fiction, une donnée dont la taille ou les proportions maintenues semblent une conven- tion théâtrale et morale. Pourquoi ce corps peut-il varier ? Parce qu'il est dans le pouvoir de l'image mais aussi parce que sur l'écran (dans cette perspective de transposition lumi- neuse sans support), dans la fiction ou la simple description, il figure une chose inconnue : sa vue, ses mouvements, ses relations aux choses en font un acteur d'étrangeté. Ce qu'a dit tout de suite le cinéma poétique, puis fantastique, c'est qu'il peut venir de n'importe quel univers parce qu'il vit dans un autre temps que nous, que la matière dont est faite sa projection est analysable en termes de temps. (C'est du moins son imaginaire et son espèce de relativité poétique : ses mouvements sont du temps et son grain ou son flocon est du temps perceptible.) L'analyse des mouvements est une production de méca- nismes. Cette conception par réduction du mouvement humain proposée chez Kleist (les Marionnettes) revient, par exemple, chez Jean Epstein : le mouvement d'horlogerie est soit le détail et la logique d'image de la gestuelle, soit la dernière structure imaginaire d'un film, ou encore une pers- pective de pluralisation d'univers. C'est la leçon commune d'Edgar Poe et d'Epstein : que contient l'image ? des mou- vements d'atomes ; qu'est-ce qui les entraîne ? des horloges, des roues ; elles produisent quoi ? du temps. Ce sera, par exemple, tout le scénario de La Chute de la maison Usher de Jean Epstein. Et qu'en est-il du visible ? Le message est alors clair et tout ce propos n'est plus qu'un syllogisme. Du monde réel nous uploads/Litterature/ cinematographies-jean-louis-schefer.pdf

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