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Littérature & co - http://cprabel.wordpress.com Circé la magicienne Texte (extrait repris du Terre des Lettres, Nathan, 2013) Après bien des aventures, Ulysse et ses compagnons abordent l’île de Circé, une terrible magicienne. Les compagnons d’Ulysse partent en reconnaissance. Dans une vallée ils ont trouvé la maison de Circé, construite en pierres polies dans un lieu découvert. Tout autour vivaient des loups montagnards et des lions que Circé avait ensorcelés avec des drogues nuisibles : au lieu de se jeter sur mes hommes, ils se sont approchés d’eux et les ont caressés de leurs longues queues, comme les chiens entourent et caressent leur maître lorsqu’il revient d’un banquet, car il leur rapporte toujours des douceurs qui plaisent à leur cœur. De même les loups aux griffes robustes et les lions entouraient, caressants, mes compagnons. Eux, pris de peur à la vue de ces terribles bêtes énormes, se sont arrêtés devant la porte de la déesse aux belles tresses et ont entendu Circé chanter à l’intérieur d’une belle voix ; elle tissait une grande toile, immortelle, comme sont les ouvrages légers, gracieux et brillants des déesses. […] Ils se sont fait entendre en appelant. Elle est sortie aussitôt, a ouvert les portes brillantes et les a invités. Tous avec imprudence l’ont suivie. Euryloque est resté seul dehors, car il soupçonnait le piège. Elle les a fait entrer, les a fait asseoir sur des sièges et des fauteuils et a mixé pour eux du fromage, de la farine et du miel frais dans le vin de Pramnos. Elle a mélangé à cette mixture des drogues aux effets redoutables, pour leur faire oublier complètement leur terre paternelle. Elle leur a offert cette potion, et ils l’ont bue d’un trait. Aussitôt, elle les a frappés d’une baguette et les a enfermés dans la porcherie. Ils avaient la tête, la voix, le corps et les soies du porc, mais leur intelligence était restée la même qu’auparavant. Aussi pleuraient-ils d’être ainsi enfermés. […] Alors Euryloque est revenu vers le noir navire rapide pour nous donner des nouvelles de nos compagnons et pour annoncer leur triste sort. Ulysse décide alors de se rendre chez Circé pour délivrer ses compagnons. J’étais sur le point d’arriver à la grande demeure de Circé aux multiples drogues quand Hermès à la baguette d’or est venu à ma rencontre, au moment où j’approchais de la demeure. Il avait pris l’apparence d’un jeune homme dont la barbe commence à pousser et qui est dans toute la grâce de l’adolescence. Il m’a pris la main et m’a dit : « […] Je vais te dire tous les projets pernicieux de Circé : elle va te préparer une potion où elle jettera des drogues, mais elle ne pourra pas t’ensorceler par ce moyen, car la remarquable drogue que je vais te donner ne le permettra pas. Je vais te dire tous les détails. Au moment où Circé te frappera de sa longue baguette, tire du long de ta cuisse ton épée pointue et jette-toi sur elle, comme si tu voulais la tuer. […] » Après ces paroles, le dieu aux rayons lumineux m’a fourni la drogue qu’il a arrachée de terre. […] Moi, je me suis dirigé vers la demeure de Circé. Tout en marchant, j’avais le cœur qui bouillonnait. Je me suis arrêté devant la porte de la déesse aux belles tresses et, posté là, j’ai poussé un cri. Elle a entendu ma voix et est sortie aussitôt, a ouvert les portes brillantes et m’a invité. Je l’ai suivie, le cœur affligé. Elle m’a fait entrer, puis asseoir sur un beau fauteuil à clous d’argent, bien travaillé. Un escabeau était posé sous mes pieds. Aussitôt elle a préparé dans une coupe d’or la potion que je devais boire, et, le cœur plein de mauvaises pensées, elle y a jeté la drogue. Elle me l’a offerte et j’ai bu d’un trait, sans que le charme agisse. Elle m’a alors frappé de sa baguette et m’a dit en détachant ses mots : « Va maintenant dans la porcherie coucher avec tes compagnons. » Ainsi parla-t-elle. Mais moi, tirant mon épée pointue du long de ma cuisse, je me suis jeté sur elle comme si je voulais la tuer. Alors, elle a poussé un grand cri, s’est effondrée et a saisi mes genoux. Littérature & co - http://cprabel.wordpress.com Tout se passe comme prévu par Hermès. Circé demande à Ulysse son identité puis lui propose d’aller au lit avec elle. Ulysse lui fait jurer de ne rien tenter contre lui. La déesse l’accueille alors avec hospitalité et lui offre un repas, mais Ulysse pense à ses compagnons. « Circé, quel homme, s’il a le cœur juste, supporterait d’absorber nourriture ou boisson, avant d’avoir délivré ses compagnons et de les avoir vus de ses propres yeux ? Si c’est de bon cœur que tu veux que je boive et que je mange, délivre mes fidèles compagnons pour que je les voie de mes yeux ! » Ainsi parlai-je. Circé a traversé la salle, sa baguette à la main, et a ouvert les portes de la porcherie. Elle en a fait sortir mes compagnons qui ressemblaient à des porcs gras de neuf ans. Ils se sont mis debout devant elle ; passant parmi eux, elle a frotté chacun avec une nouvelle drogue. Alors, de leurs membres sont tombés les poils qu’avait fait pousser la drogue funeste donne par la vénérable Circé ; ils sont redevenus des hommes, plus jeunes qu’avant, beaucoup plus beaux et plus grands à voir. Ils m’ont reconnu, et m’ont tous serré la main. Une douce envie de pleurer les a saisis tous ensemble, et la demeure s’est mise à résonner leurs pleurs. Homère, Odyssée, chant X, trad. Sylvie Perceau, Nathan. Analyse Extrait qui se compose en deux parties : - les aventures des compagnons d’Ulysse ; - Ulysse qui fait les mêmes actions que ses camarades (mimétisme). Aspect inquiétant dès l’arrivée : - maison qui semble civilisée alors qu’elle est seule au milieu d’une vallée. - maison entourée de créatures sauvages. Leur caractère familier est paradoxal. Cf. dichotomie entre les descriptions qui mettent en avant le caractère sauvage et cruel des animaux VS leur comportement. - chant > séduction des compagnons qui semblent envoûtés avant même d’avoir vu Ulysse. Circé la magicienne (VS le monde humain/civilisé) : - les aspects inquiétants n’ont pas mis la puce à l’oreille aux compagnons. Ils semblent même rassurés de voir une jolie femme. - image de la séductrice, suggérée par le chant, est confirmée avec l’épithète homérique « la déesse aux belles tresses » ; son activité, le tissage, confirme la féminité. - elle simule la civilisation / l’hospitalité : le repas (caractéristique humaine) est associé à des drogues (caractéristique magique). Les drogues sont dangereuses car elles font oublier la terre paternelle (fait penser au Lotos) aux compagnons. Cet oubli est le plus grave et marque le détachement total aux valeurs fondamentales grecques (le citoyen grec vit avant tout pour sa patrie). - objets magiques : potions (pharmakon) et baguette magique (rhabdos). Confirmation par l’épithète « aux multiples drogues ». - la maison de Circé est liée aux apparences, à la séduction (« portes brillantes »). Elle est à son image. En effet, Circé a une apparence humaine mais s’éloigne de la civilisation, tout comme la maison et son intérieur qui ne sont qu’un appât. Nous sommes loin de la grotte de Polyphème ; ici, la ruse entre en jeu et les compagnons d’Ulysse tombent dans le piège. Note : Le nom « Circé » signifie « épervière ». C’est un oiseau considéré comme malfaisant, cherchant à s’emparer des hommes. Son nom nous est donné par Ulysse narrateur dans son récit rétrospectif, mais lui- même l’apprendra d’Hermès et non de la magicienne. Littérature & co - http://cprabel.wordpress.com Ulysse, garant des choses - Mimétisme d’Ulysse pour tromper Circé et respecter les conseils d’Hermès. Cependant, à la différence de ses compagnons, Ulysse fait preuve de courage et respecte les règles de prudence préconisées (piété) par Hermès. Cela lui permet de démasquer la sorcière à l’apparence humaine. - Il est le reflet de la sorcière, qui est prise à son propre jeu. Il est le séducteur qui va la faire succomber. Dès lors, elle devient un adjuvvant. Elle rend l’apparence humaine aux compagnons. Grâce à Ulysse, on assiste au retour de l’ordre dans un univers qui avait été bouleversé par la magie et la ruse de Circé. - Ulysse aurait pu profiter des plaisirs sensuels et des plaisirs de bouche, mais dans son discours, il montre son attachement à ses compagnons et donc aux valeurs de la patrie. Ceux-ci ressortent « plus forts » (superlatif) et sont reconnaissants envers Ulysse. En refusant la couche, Ulysse montre que, contrairement à Circé, il maîtrise la sensualité, désir trivial (cf. épisode des Sirènes également). Cet épisode marque le passage de l’animalité à l’humanité, des valeurs monstrueuses aux valeurs de civilisation. Réflexion sur l’hospitalité qui détourne les hommes du retour. uploads/Litterature/ circc3a9-la-magicienne 1 .pdf
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- Publié le Aoû 20, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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