HAL Id: halshs-01422058 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01422058 Sub
HAL Id: halshs-01422058 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01422058 Submitted on 23 Dec 2016 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Artaud, “ l’aliéné authentique ” Evelyne Grossman To cite this version: Evelyne Grossman. Artaud, “ l’aliéné authentique ”. Farrago - Léo Scheer, 2003. <halshs-01422058> 1 Artaud, « l’aliéné authentique » Evelyne Grossman (éditions Farrago-Léo Scheer, Tours, 2003) 2 Introduction Être un aliéné évident ... étrange expression par laquelle Artaud évoque, à la fin de sa vie, la résistance de l’homme à la mort et au néant. Parfois encore, il parle d’aliéné authentique : “ Et qu’est-ce qu’un aliéné authentique ? C’est un homme qui a préféré devenir fou, dans le sens où socialement on l’entend, que de forfaire à une certaine idée supérieure de l’honneur humain. [...] Car un aliéné est aussi un homme que la société n’a pas voulu entendre et qu’elle a voulu empêcher d’émettre d’insupportables vérités ”1. Débordant les formes stables de l’identité personnelle (le tranquille “ je suis moi ” de l’affirmation identitaire ), il s’agit donc peu à peu, au fil des textes et des années, d’affirmer sans relâche qu’on est à la fois soi-même et ... un autre. “Moi Antonin Artaud ”, je suis Dieu, écrit-il ainsi dans Suppôts et Suppliciations (“ dieu de son vrai nom s’appelle Artaud ”), je suis le gouffre sans nom, la mère vierge, le maître des éléments, le corps unique d’où tout est sorti .... Qu’un tel discours puisse, à tort ou à raison, inspirer des commentaires psychiatriques, n’est évidemment pas ce qui est ici en cause. Une question, plutôt, m’intéresse : que signifie pour la pensée de la littérature moderne, qu’un sujet, héritier direct de Rimbaud, de Mallarmé, et très distant contemporain des surréalistes, puisse se dire infini, cherche à s’écrire à l’infini ? Comment tenter de comprendre celui qui prétend : Je suis, moi Antonin Artaud, le nom innommable de l’infini ? Comment lire ce geste sans mesure qui récuse toute notion d’auteur entendu comme signature, propriété, intention2 ? Moi, l’Auteur, affirmerait ainsi Artaud, je suis ... l’Autre. C’est cette mise en acte, cette mise en espace théâtrale et poétique d’un devenir autre dans l’écriture qu’il nomme, n’en doutons pas, “ aliénation ”. On connaît la phrase de Rimbaud, qu’Artaud cite souvent approximativement : “ Un tel est un chien et il ne le sait pas ”. Lui, Artaud, la prend au pied de la lettre dans le sens quasi-deleuzien d’un devenir-animal. Ainsi, en 1947, dans sa dernière conférence au Théâtre du Vieux-Colombier, devant le tout-Paris des arts et lettres : “ Or moi, Artaud, je me sens cheval et non homme / et j’ai envie de ruer des quatre fers, / de m’ébrouer des deux naseaux, sans qu’on puisse me prendre au mot / parce que je ne dis rien... ” (XXVI, 23). Se sentir animal, pierre, arbre, soleil ... ou Dieu, ne relève pas exclusivement, contrairement à ce que penseraient certains esprits rationnels, d’une identification régressive à un environnement non humain, apanage de l’animisme des “primitifs”, des enfants, des mystiques ou des fous. Pour quelques écrivains, philosophes et poètes, ce fut d’abord une 1 Van Gogh le suicidé de la société, Œuvres complètes, Gallimard, tome XIII, p. 17. Pour toutes les références aux Œuvres complètes, on notera entre parenthèses le tome en chiffres romains suivi de la page en chiffres arabes. 2 Sur cette question du nom propre et de la signature, je revoie aux travaux de Jacques Derrida, notamment : Otobiographies, l’enseignement de Nietzsche et la politique du nom propre, Galilée, 1984. 3 expérience de pensée dans l’écriture, une expérience extrême, bouleversante de l’inhumain dans l’homme. Dans ses “Messages révolutionnaires”, écrits durant son séjour au Mexique en 1936, Artaud salue en Hegel celui qui explora au plus près “la force intérieure de la pensée”. On peut voir plus qu’un symbole dans cet hommage. Comme le notait Kojève, l'Ethique de Spinoza et la Logique de Hegel sont deux livres impossibles. L'Ethique "n'a pu être écrite, si elle est vraie que par Dieu lui-même" et de même la déclaration que fait Hegel au seuil de sa Logique, affirmant que le contenu en sera "la présentation de Dieu tel qu'il est dans son être éternel avant la création de la nature et d'un esprit fini", transforme ce livre en texte inhumain dont les phrases n'ont pu être écrites par un homme, en énoncé dont l'énonciation est impossible : ou bien Hegel pense être Dieu et il est fou ou bien il prétend pouvoir le devenir et il frôle la folie3. Ainsi Bataille, dans L’Expérience intérieure, suggère-t-il l’effondrement de Hegel faisant l'expérience d'être Dieu, reculant d’horreur devant la révélation proprement inhumaine du Savoir absolu : “ [...] j'imagine lire l'épuisement, l'horreur d'être au fond des choses – d'être Dieu. Hegel, au moment où le système se ferma, crut deux ans devenir fou : [...] peut-être liant la certitude d'avoir atteint le savoir absolu à l'achèvement de l'histoire [...] s'est-il vu, dans un sens profond, devenir mort.; peut-être même ces tristesses diverses se composaient en lui dans l'horreur plus profonde d'être Dieu ”4. Cette horreur de la dépossession de soi, ce déracinement anthropologique, c'est aussi, sans doute ce qu'éprouva Antonin Artaud. La littérature, lorsqu’elle est portée à ce degré, est une expérience fondamentalement inhumaine. Ou encore, comme l’énonce sobrement Artaud dans ses “Notes sur les cultures orientales” : “Plus l’homme se préoccupe de lui, plus ses préoccupations échappent en réalité à l’homme, / égocentrisme individualiste et psychologique / opposé à l’humanisme, / l’homme quand on le serre de près, cela aboutit toujours à trouver ce qui n’est pas l’homme, / la recherche du caractère, [...] / c’est de la spécialisation anti-humaine” (VIII, 115-116). 3 Sur tout ceci, voir Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard (1947), 1976, p. 351-356; éalement : Vincent Descombes, Le même et l’autre, Minuit, 1979, p. 58-63. 4 Georges Bataille, Œuvres complètes, Gallimard, tome V, p. 128. 4 D’UNE ANATOMIE “ FURTIVE ” Il n’est guère envisageable, on en conviendra, d’intervenir furtivement dans un colloque. Le colloque est, par définition, le lieu d’exposé de savoirs, fussent-ils modestes, partiels, ou lacunaires5. Imagine-t-on de surcroît qu’on y faille à l’engagement d’occuper sa place, de tenir son rôle ? Le furtif manque de corps et de tenue. Il ne s’expose pas, s’entr’aperçoit à peine. Pour qui cependant ne jouit d’aucun savoir à révéler (ni critique ni, a fortiori, clinique), le furtif recèlerait peut-être des promesses d’éclaircies imprévues, surgies comme à la dérobée : dans les défaillances des discours constitués, à la faveur d’hypothèses improbables, de questions incongrues. Peut-on rêver d’un discours furtif rétif à la fixation en thèse, corps de savoir, corps de doctrine ? Le savoir met en jeu du symptôme et du signe, du découpage, du système, bref, une organisation. Face à un texte littéraire, la critique elle aussi tente de mettre en œuvre un certain savoir interprétatif : théorique, méthodologique. Foucault, on s’en souvient, soulignait sa méfiance envers toute conception de l’écriture littéraire comme marque, c’est-à-dire, comme symptôme, comme signe6 parce qu’on lui prête alors, qu’on le veuille ou non, un caractère religieux – et le religieux, c’est ce qui fait lien, comme chacun sait. Pour ma part, j’ajouterais que c’est peut-être aussi, pour nous, ce qui fait corps, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’Occident chrétien, imprégné de la fameuse Trinité fantasmatique : incarnation-mort-résurrection. Traiter l’écriture comme un signe, c’est donc, pour Foucault, risquer de retrouver réaffirmé le vieux principe théologique du caractère sacré de l’écriture, celui d’un sens caché à interpréter. Dieu sait que de ce risque, nous ne sommes guère exempts ! Il n’est pas jusqu’à certaines “ dissections critiques ” de textes littéraires qui ne me paraissent parfois rejouer ce très ancien rituel religieux de l’interprétation des viscères d’animaux sacrifiés. Et pourtant – et c’est l’une des questions que j’aimerais poser ici : sommes-nous tellement sûrs d’avoir encore les mêmes enveloppes corporelles que celles qui nécessitaient le scalpel de l’anatomiste, ou le couteau des sacrifices ? Essayons donc de penser ce que pourrait signifier une “ anatomie furtive ”. L’expression est d’Antonin Artaud, dans l’un de ses derniers textes, Aliéner l’acteur, en 1947. Il y évoque ce nouveau corps humain auquel le Théâtre de la Cruauté devait donner lieu. Le corps, dit Artaud, n’est pas un objet qu’on enferme dans un organisme, une organisation, une forme, une “ figure d’être ”. Au lieu de “ dépecer les dieux ”, dit-il, et de les donner en pâture à l’homme “ bassement humain ”, il aurait fallu “ la constitution et l’INSTITUTION de cette nouvelle et palpitante anatomie furtive que tout uploads/Litterature/ artaud.pdf
Documents similaires
-
15
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Nov 17, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 1.2644MB