LES MÉCANISMES DE L’HUMOUR DANS PLATEFORME DE MICHEL HOUELLEBECQ Clément Lemait

LES MÉCANISMES DE L’HUMOUR DANS PLATEFORME DE MICHEL HOUELLEBECQ Clément Lemaitre Société Roman 20-50 | « Roman 20-50 » 2019/1 n° 67 | pages 169 à 179 ISSN 0295-5024 ISBN 9782908481969 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-roman2050-2019-1-page-169.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Société Roman 20-50. © Société Roman 20-50. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Aujourd’hui encore, nombreux sont les critiques à s’accorder sur la dimension humoristique des romans de l’auteur de Sérotonine. Dans son ouvrage le plus récent, Agathe Novak- Lechevalier indique que l’on est sûr de trouver dans chaque roman « des passages comiques » et que cette « capacité à faire rire […] est un élé­ ment fondamental et caractéristique de l’œuvre houellebecquienne »3. Pourtant, lors de sa sortie, le troisième roman de Michel Houellebecq fit polémique. Le fait est que certains textes de l’auteur des Particules élémentaires sont pris éminemment au « sérieux »4, terme qui, pour Jean-Marc Moura, fonctionne comme l’antonyme de celui d’humour. Cette réception ambivalente trouve une de ses sources, comme le note Jérôme Meizoz, dans la « posture »5 ambiguë construite par l’auteur, 1. — Dominique Noguez, Houellebecq, en fait, Paris, Fayard, 2003, p. 169. 2. — Michel Houellebecq, Plateforme [2001], Paris, J’ai lu, 2002. C’est à cette édition que renverront toutes nos références, dorénavant placées entre parenthèses dans le corps du texte. 3. — Agathe Novak-Lechevalier, Houellebecq : l’art de la consolation, Paris, Stock, 2018, p. 201. 4. — Jean-Marc Moura, « L’évidement du sérieux », Le Sens littéraire de l’humour, Paris, PUF, 2010, p. 117 sq. 5. — Jérôme Meizoz, « Le roman et l’inacceptable : polémiques autour de Plateforme de Michel Houellebecq », Études de lettres (Lausanne), n° 266, « Littérature et morale publique : censure, justice, presse (XVIIe-XXe siècles) », dir. par Jean Kaempfer & Jérôme Meizoz, déc. 2003, p. 125-148. Cf. id., « Le roman et l’inacceptable : sociologie d’une polé­ mique (autour de Plateforme, de Michel Houellebecq) », L’Œil sociologue et la littérature, © Société Roman 20-50 | Téléchargé le 26/01/2021 sur www.cairn.info via Université Bordeaux Montaigne (IP: 147.210.116.181) © Société Roman 20-50 | Téléchargé le 26/01/2021 sur www.cairn.info via Université Bordeaux Montaigne (IP: 147.210.116.181) 170 CLÉMENT LEMAITRE particulièrement quand les propos de ce dernier recoupent, a posteriori, ceux de ses personnages, alimentant ainsi par exemple une polémique sur ses propos anti-musulmans, que ceux-ci soient tenus dans ses romans ou dans la presse. Par ses interventions médiatiques, Houellebecq rend poreuse et caduque la distinction auteur-narrateur-personnage, et met « le destinataire dans une position où il doit calculer le rapport entre ce qui est dit explicitement et l’intention cachée »6, attitude qui correspond pour Patrick Charaudeau à la définition générique de l’humour. Le locuteur de Plateforme se nomme Michel Renault et le texte que nous lisons consiste en une sorte de fiction autobiographique ou de long testament. La fin du roman est sans ambiguïté sur ce point puisque le personnage déclare lui même avant de mourir : « Mon livre touche à sa fin » (p. 348). Un premier jeu se met en place : l’auteur délègue la parole à une autre personne, tout en s’ingéniant à laisser la possibilité de créer des ponts entre ces deux instances, en conservant par exemple le même prénom, Michel, procédé déjà présent dans Les Particules élémentaires. Peut-on percevoir un semblable jeu à l’intérieur même du discours du narrateur nous contant sa vie ? Plateforme a choqué par ses propos sur le tourisme sexuel et peut-être cet aspect a-t-il occulté ce qui nous semble le plus important à nos yeux. Le dispositif énonciatif évoqué ci-dessus nous invite en effet à placer au cœur du roman l’histoire personnelle et sentimentale de Michel Renault, dont le caractère est éminemment complexe et ambigu. La vie de ce per­ sonnage est traversée par une série de disparitions. Le roman s’ouvre sur la mort du père, se ferme sur la mort du fils et se trouve scandé par une autre disparition, celle de Valérie, la compagne du héros, rencontrée dès les premiers chapitres et vue comme une « exception radieuse » (p. 349). La vie de Michel Renault est parsemée d’expériences traumatisantes et pourtant, devant ces thématiques proprement morbides, une impression d’ensemble demeure à la lecture, celle d’une profonde dérision, d’un humour décapant et provocateur. Pour Frédéric Beigbeder, il s’agit du livre « le plus amusant » de « toute l’œuvre de Houellebecq », d’un texte « désopilant et sinistre »7, et ce ton profondément humoristique nous semble particulièrement présent dans l’incipit, que nous assimilons au premier chapitre, celui du récit de la mort du père. Genève, Slatkine, 2004, p. 181-209. Voir aussi Louise Moor, « Posture polémique ou polémi­ sation de la posture ? Le cas de Michel Houellebecq », Contextes, vol. 10, « Querelles d’écri­ vains (XIXe-XXIe siècles) : de la dispute à la polémique (médias, discours et enjeux) », avril 2012, [en ligne], disponible sur URL : http://journals.openedition.org/contextes/4921, consulté le 19 juil. 2019. 6. — Patrick Charaudeau, « Des catégories pour l’humour ? », Questions de commu­ nication, n° 10, 2006, p. 27. 7. — Frédéric Beigbeder, « Plateforme », in Houellebecq, dir. par Agathe Novak- Lechevalier, Paris, L’Herne, « Les cahiers de l’Herne », 2017, p. 124. © Société Roman 20-50 | Téléchargé le 26/01/2021 sur www.cairn.info via Université Bordeaux Montaigne (IP: 147.210.116.181) © Société Roman 20-50 | Téléchargé le 26/01/2021 sur www.cairn.info via Université Bordeaux Montaigne (IP: 147.210.116.181) LES MÉCANISMES DE L’HUMOUR DANS PLATEFORME 171 La thèse que nous défendrons ici est que l’incipit de Plateforme exhibe une parole humoristique, témoin ou marqueur du tempérament du nar­ rateur, et que cette monstration volontaire impose au lecteur un question­ nement sur les rapports entre le personnage et son discours, tout autant qu’une remise en question de la fonction de l’humour. Un régime parodique Dans son ouvrage intitulé Michel Houellebecq : le plaisir du texte, Sabine van Wesemael évoque un régime parodique présent dans toute l’œuvre du romancier, voyant par exemple dans Plateforme la parodie du roman exo­ tique à la Victor Segalen, dans Lanzarote8 « un roman picaresque perverti »9 et dans Les Particules élémentaires une parodie d’utopie scientifique. Le premier paragraphe de Plateforme est en ce sens tout à fait repré­ sentatif du jeu possible entre un modèle et son détournement : « Mon père est mort il y a un an. Je ne crois pas à cette théorie selon laquelle on devient réellement adulte à la mort de ses parents ; on ne devient jamais réellement adulte » (p. 9). Le parallèle avec la première phrase de L’Étranger d’Albert Camus – « Aujourd’hui, maman est morte » – étant évident, l’identification de la référence intertextuelle place d’emblée la lecture sous le signe du sérieux, le lecteur cherchant à comprendre les significations de ce dialogue entre les deux œuvres. Néanmoins, comme le laisse déjà entendre l’inversion de la structure syntaxique de la phrase de Camus, il semble que cette référence serve surtout à mettre en place un registre parodique. La « théorie selon laquelle on devient réellement adulte à la mort de ses parents » est l’un de ces lieux communs que l’on peut rencontrer dans la rubrique « psychologie » des magazines grand public. L’usage de l’italique signale un effet de citation et l’on sait que Houellebecq aime se nourrir de la presse féminine. Dans Plateforme, Michel Renault lit sur la plage le Elle de Valérie. Le contraste est fort entre les deux intertextualités, l’objectif visé n’étant pas de louer la per­ tinence des analyses des articles de magazines, mais plutôt de limiter la portée de la référence camusienne. Ajoutons que l’usage par deux fois de l’italique marque une forme de diaphore. La première citation fait référence au lieu commun, la seconde occurrence relève davantage d’un constat désabusé et amer formulé par le narrateur. L’humour se situe exactement dans cet entre-deux, jamais totalement dans la parodie, jamais totalement dans l’auto-apitoiement. Le uploads/Litterature/ clement-lemaitre-les-mecanismes-de-l-x27-humour-chez-houellbecq.pdf

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