DU MÊME AUTEUR LE PARADOXE DU MENTEUR. Sur Laclos, 1993 MAUPASSANT, JUSTE AVANT
DU MÊME AUTEUR LE PARADOXE DU MENTEUR. Sur Laclos, 1993 MAUPASSANT, JUSTE AVANT FREUD, 1994 LE HORS-SUJET. Proust et la digression, 1996 Qui A TUÉ ROGER ACKROYD ?, 1998 (“double”, n° 55) COMMENT AMÉLIORER LES ŒUVRES RATÉES ?, 2000 ENQUÊTE SUR HAMLET. Le dialogue de sourds, 2002 PEUT-ON APPLIQUER LA LITTÉRATURE À LA PSYCHANALYSE ?, 2004 DEMAIN EST ÉCRIT, 2005 COMMENT PARLER DES LIVRES QUE L’ON N’A PAS LUS ?, 2007 L’AFFAIRE DU CHIEN DES BASKERVILLE, 2008 (“double”, n° 70) LE PLAGIAT PAR ANTICIPATION, 2009 ET SI LES ŒUVRES CHANGEAIENT D’AUTEUR ?, 2010 Aux P.U.F. IL ÉTAIT DEUX FOIS ROMAIN GARY, 1990 PIERRE BAYARD COMMENT PARLER DES LIVRES QUE L’ON N’A PAS LUS ? LES ÉDITIONS DE MINUIT © 2007 BY LES ÉDITIONS DE MINUIT www. leseditionsdeminuit. fr ISBN 978-2-7073-1982-1 TABLE DES ABRÉVIATIONS PROLOGUE DES MANIÈRES DE NE PAS LIRE CHAPITRE PREMIER LES LIVRES QUE L’ON NE CONNAÎT PAS CHAPITRE II LES LIVRES QUE L’ON A PARCOURUS CHAPITRE III LES LIVRES DONT ON A ENTENDU PARLER CHAPITRE IV LES LIVRES QUE L’ON A OUBLIÉS DES SITUATIONS DE DISCOURS CHAPITRE PREMIER DANS LA VIE MONDAINE CHAPITRE II FACE À UN PROFESSEUR CHAPITRE III DEVANT L’ÉCRIVAIN CHAPITRE IV AVEC L’ÊTRE AIMÉ DES CONDUITES À TENIR CHAPITRE PREMIER NE PAS AVOIR HONTE CHAPITRE II IMPOSER SES IDÉES CHAPITRE III INVENTER LES LIVRES CHAPITRE IV PARLER DE SOI ÉPILOGUE Je ne lis jamais un livre dont je dois écrire la critique ; on se laisse tellement influencer. Oscar Wilde TABLE DES ABRÉVIATIONS op. cit. : œuvre citée ibid. : ibidem LI : livre inconnu LP : livre parcouru LE : livre évoqué LO : livre oublié ++ : avis très positif + : avis positif — : avis négatif — : avis très négatif PROLOGUE Né dans un milieu où on lisait peu, ne goûtant guère cette activité et n’ayant de toute manière pas le temps de m’y consacrer, je me suis fréquemment retrouvé, suite à ces concours de circonstances dont la vie est coutumière, dans des situations délicates où j’étais contraint de m’exprimer à propos de livres que je n’avais pas lus. Enseignant la littérature à l’université, je ne peux en effet échapper à l’obligation de commenter des livres que, la plupart du temps, je n’ai pas ouverts. Il est vrai que c’est aussi le cas de la majorité des étudiants qui m’écoutent, mais il suffit qu’un seul ait eu l’occasion de lire le texte dont je parle pour que mon cours en soit affecté et que je risque à tout moment de me trouver dans l’embarras. Par ailleurs, je suis appelé régulièrement à rendre compte de publications dans le cadre de mes livres et de mes articles qui, pour l’essentiel, portent sur ceux des autres. Exercice encore plus difficile, puisque, au contraire des interventions orales qui peuvent sans conséquence donner lieu à des imprécisions, les commentaires écrits laissent des traces et peuvent être vérifiés. En raison de ces situations devenues pour moi familières, j’ai le sentiment d’être assez bien placé, sinon pour délivrer un véritable enseignement, du moins pour communiquer une expérience approfondie de non-lecteur et engager une réflexion sur ce sujet tabou, réflexion qui demeure souvent impossible en raison du nombre d’interdits qu’elle doit enfreindre. Accepter de communiquer ainsi son expérience ne va pas en effet sans un certain courage, et il n’est pas étonnant que si peu de textes vantent les mérites de la non-lecture. C’est que celle-ci se heurte à toute une série de contraintes intériorisées qui interdisent de prendre de front la question, comme je tenterai de le faire ici. Trois au moins sont déterminantes. La première de ces contraintes pourrait être appelée l’obligation de lire. Nous vivons encore dans une société, en voie de disparition il est vrai, où la lecture demeure l’objet d’une forme de sacralisation. Cette sacralisation se porte de manière privilégiée sur un certain nombre de textes canoniques – la liste varie selon les milieux – qu’il est pratiquement interdit de ne pas avoir lus, sauf à être déconsidéré. La seconde contrainte, proche de la première mais cependant différente, pourrait être appelée l’obligation de tout lire. S’il est mal vu de ne pas lire, il l’est presque autant de lire vite ou de parcourir, et surtout de le dire. Ainsi sera-t-il quasiment impensable pour des universitaires de lettres de reconnaître – ce qui est pourtant le cas de la plupart d’entre eux –, qu’ils n’ont fait que feuilleter l’œuvre de Proust sans la lire intégralement. La troisième contrainte concerne le discours tenu sur les livres. Un postulat implicite de notre culture est qu’il est nécessaire d’avoir lu un livre pour en parler avec un peu de précision. Or, d’après mon expérience, il est tout à fait possible de tenir une conversation passionnante à propos d’un livre que l’on n’a pas lu, y compris, et peut-être surtout, avec quelqu’un qui ne l’a pas lu non plus. Plus encore, comme il apparaîtra au fil de cet essai, il est même parfois souhaitable, pour parler avec justesse d’un livre, de ne pas l’avoir lu en entier, voire de ne pas l’avoir ouvert du tout. Je ne cesserai d’insister en effet sur les risques, fréquemment sous-estimés, qui s’attachent à la lecture pour celui qui souhaite parler d’un livre, ou mieux encore, en rendre compte. * Ce système contraignant d’obligations et d’interdits a pour conséquence de générer une hypocrisie générale sur les livres effectivement lus. Je connais peu de domaines de la vie privée, à l’exception de ceux de l’argent et de la sexualité, pour lesquels il est aussi difficile d’obtenir des informations sûres que pour celui des livres. Dans le milieu des spécialistes, en raison de la triple contrainte que je viens de signaler, le mensonge est général, puisqu’il est à la mesure de l’importance qu’y occupe le livre. Si j’ai peu lu moi-même, je connais suffisamment certains livres – je pense là aussi à Proust – pour pouvoir évaluer, dans les conversations avec mes collègues, s’ils disent ou non la vérité quand ils en parlent, et pour savoir que tel est rarement le cas. Mensonges aux autres, mais aussi, et sans doute d’abord, mensonges à soi, tant il est parfois difficile de reconnaître devant soi-même que l’on n’a pas lu tel livre considéré comme essentiel dans le milieu que l’on fréquente. Et tant est grande, dans ce domaine comme dans tant d’autres, notre capacité à reconstruire le passé, pour le rendre plus conforme à nos vœux. Ce mensonge général qui s’instaure dès que l’on parle des livres est l’autre face du tabou qui pèse sur la non-lecture et du réseau d’angoisses, sans doute venues de notre enfance, qui le sous-tendent. Aussi est-il impossible d’espérer se sortir indemne de ce genre de situation sans analyser la culpabilité inconsciente que suscite l’aveu de n’avoir pas lu certains livres, et c’est à la soulager au moins partiellement que cet essai voudrait s’attacher. * Réfléchir sur les livres non lus et les discours qu’ils font naître est d’autant plus difficile que la notion de non-lecture n’est pas claire, et qu’il est donc par moments difficile de savoir si l’on ment ou non quand on affirme avoir lu un livre. Cette notion implique en effet d’être en mesure d’établir une séparation nette entre lire et ne pas lire, alors que de nombreuses formes de rencontre avec les textes se situent en réalité dans un entre-deux. Entre un livre lu avec attention, et un livre que l’on n’a jamais eu entre les mains et dont on n’a même jamais entendu parler, de multiples degrés existent qu’il convient d’examiner avec soin. Il importe ainsi de porter intérêt, pour les livres prétendument lus, à ce que l’on entend exactement par lecture, celle-ci pouvant en fait renvoyer à des pratiques très différentes. À l’inverse, de nombreux livres apparemment non lus ne sont pas sans exercer des effets sensibles sur nous, par les échos qui nous en parviennent. Cette incertitude de la limite entre lecture et non-lecture me contraindra à réfléchir, de façon plus générale, sur nos modes de fréquentation des livres. Ainsi ma recherche ne se limitera-t-elle pas à mettre au point des techniques permettant d’échapper à des situations de communication difficiles, elle visera en même temps à élaborer, par l’analyse de ces situations, les éléments d’une véritable théorie de la lecture, attentive à tout ce qui en elle – failles, manques, approximations – relève, au rebours de l’image idéale qui en est souvent donnée, d’une forme de discontinuité. * Ces quelques remarques conduisent logiquement au plan de cet essai. Je commencerai dans une première partie par détailler les grands types de non-lecture, qui ne se réduisent donc pas au simple fait de garder le livre fermé. Les livres que l’on a parcourus, ceux dont on a entendu parler, ceux que l’on a oubliés, relèvent eux aussi, à des degrés divers, de cette catégorie très riche de la non-lecture. Une seconde partie sera consacrée à l’analyse de situations concrètes dans lesquelles nous pouvons être conduits à parler de livres que nous n’avons pas lus. S’il n’est uploads/Litterature/ comment-parler-des-livres-que-l-x27-on-n-x27-a-p-pierre-bayard.pdf
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- Publié le Jan 08, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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