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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Laure Conan À travers les ronces BeQ Laure Conan (1845-1924) À travers les ronces nouvelle La Bibliothèque électronique du Québec Collection Littérature québécoise Volume 191 : version 1.01 2 De la même auteure, à la Bibliothèque : Angéline de Montbrun Aux jours de Maisonneuve Si les Canadiennes le voulaient ! L’oublié À l’œuvre et à l’épreuve La vaine foi La sève immortelle L’obscure souffrance Un amour vrai 3 À travers les ronces Édition de référence : Nouvelles soirées canadiennes, 1883. 4 (Fragments d’un journal intime.) À Madame S. S. Vous m’avez dit souvent que toute étude de l’âme vous intéressait. Voilà ce qui m’engage à vous communiquer quelques fragments d’un journal intime que des circonstances un peu singulières m’ont mis entre les mains. Mais, chère amie, il ne faut s’attendre à ce qui fait le charme du roman. Je vous le dis d’avance, il n’y a là que les pensées d’une femme dont la vie a été singulièrement aride et monotone. Ainsi ne comptez ni sur la poésie de l’amour, ni sur la poésie de la douleur. Malheureuse d’abord dans sa famille, malheureuse ensuite dans son mariage, Valérie B... n’a guère connu que les petits chagrins et la misère de vivre toujours sans sympathie et sans joie ; elle n’a eu qu’à triompher d’elle-même 5 pour se résigner à une vie plus triste et plus terne que la vie ordinaire. Mais cela, elle l’a fait. Cette nature molle et passionnée a su s’arracher à la rêverie, surmonter ses dégoûts, s’attacher à tous ses devoirs. Et n’est-ce pas une chose admirable ? Madame Swetchine disait, que pour l’âme humaine le besoin d’aimer l’emporte de beaucoup sur celui d’être heureuse. Pensée très vraie, qui m’est revenue souvent pendant que je lisais cet entretien d’une âme avec elle-même. Mais je veux bien vous faire grâce de mes réflexions. Les pages que je vous envoie sont choisies parmi les premières et les dernières du journal. Cette année 1881, dont l’approche l’agitait d’une émotion solennelle, madame *** a été bien loin d’en voir la fin. Donnez-lui un peu de sympathie et gardez-moi votre bonne amitié. Malbaie, le 15 août 1883. 6 _______ Des ailes !......... Des ailes par-dessus la vie Des ailes par-delà la mort ? (RUCKERT.) 15 mai. – Voilà le mois de mai bien avancé, et nous n’avons pas encore vu le soleil. Toujours de la pluie mêlée de neige, ou une brume presque aussi froide, presque aussi triste. Cela m’affecte étrangement. Dans ce printemps sans éclat, sans verdure, sans poésie, sans vie, je vois si bien l’image de ma jeunesse. Pauvre jeunesse ! Rien n’est triste comme le printemps quand il ressemble si fort à l’automne. D’un jour à l’autre, je sens cela plus douloureusement. J’éprouve aussi un singulier besoin d’écrire. Que faire du trop plein quand l’on n’a d’intimité avec personne ? On ne peut tout garder au dedans : cela produit une fermentation trop dangereuse ou du moins trop 7 douloureuse. Si triste et si terne qu’il soit, le printemps n’est jamais l’automne. Je le sens à la surabondance de vie qui m’accable. Chez les heureux, cela s’épanouit en mille songes charmants, en mille rêves de bonheur et d’amour ; mais pour d’autres c’est différent : tout reste au dedans ou se répand en flots de tristesses et de larmes. 16 mai. – Sans doute, on ne doit pas souhaiter une jeunesse toujours joyeuse, pas plus qu’un printemps toujours serein. Que deviendrions-nous, mon Dieu, si les jours de pluie ne se mêlaient aux jours de soleil ? et dans un ordre supérieur, combien encore plus à plaindre nous serions peut-être si les pleurs ne se mêlaient à nos joies ? Ah ! je comprends cela, je comprends que la douleur est nécessaire pour féconder la vie. Mais la joie l’est-elle moins ? À qui servirait la pluie sans les chauds rayons du soleil ? et que peut-on 8 espérer d’une vie toute de tristesse ? Je pense à cela souvent, trop souvent même. À quoi bon ! Ne faut-il pas me résigner à voir tout languir, tout dépérir dans mon âme ? Dans l’ordre spirituel comme dans l’ordre naturel, n’y a-t-il pas une atmosphère où rien ne vit, où toute flamme s’éteint ? 17 mai. – Chose triste à penser ! La flamme est si belle ! elle éclaire, elle réchauffe, elle nourrit, elle réjouit. Ardente et pure elle tend toujours à s’élever. Mon Dieu ! ne la laissez pas s’éteindre dans mon âme avant d’avoir brûlé. 20 mai. – D’aussi loin que je me rappelle, je retrouve le même intérieur froid et troublé. J’en ai toujours souffert, mais il y a des peines qui vont s’aggravant. Oh ! quelle âcre et corrosive tristesse certaines larmes déposent au plus profond du cœur. Quelle pénétrante, quelle dangereuse amertume elles 9 répandent sur la vie entière. On dit que le danger est partout. Soit. Mais les saines joies du cœur ne sont-elles pas un peu comme les feuilles qui purifient l’air de bien des poisons ? Au moins cela me paraît ainsi et je redoute l’avenir qui m’attend. S’il est des douleurs qui fortifient l’âme, qui l’enrichissent, n’en est-il pas d’autres qui la flétrissent et la dessèchent ? 21 mai. – On plaint les malheurs éclatants, on s’intéresse à ce qu’on appelle les grandes douleurs. Oh ! combien les souffrances misérables me semblent plus difficiles à supporter ! Combien surtout l’effet m’en semble plus à craindre sur l’âme ! Le vent et l’orage donnent aux plantes plus de force et de sève, mais qui n’a vu de ces arbres dépouillés, déchiquetés, rongés jusqu’au faîte par les larves ? Douloureuse image qui m’a fait songer plus d’une fois. Pour peu qu’on s’observe on sent si 10 bien comme les chagrins misérables appauvrissent l’âme, la vulgarisent, la déflorent. C’est triste, mais c’est vrai. 22 mai. – Qui sait, peut-être n’est-ce vrai qu’autant qu’on souffre mal ? Et si je suis aussi sensible à mes peines est-ce bien parce que je les crois nuisibles à mon âme ? S’il y a du danger dans la privation de toute sympathie, dans les froissements perpétuels du cœur, dans les ennuis et les dégoûts de tous les instants, il y en a aussi dans les douceurs de la vie – il y en a surtout dans les enivrements du bonheur. Ceux-là les redouterais-je beaucoup ? Me faudrait-il bien du temps pour m’y résigner ? Oh, qu’on est peu sincère même avec soi-même ! 23 mai. – Puis le cœur... le pauvre cœur si lourd à porter quand il est vide ! Comment l’habituer à jeûner de toute sympathie et de toute joie ? Au premier coup d’œil il semble qu’il suffit 11 d’un peu de foi et de réflexion pour mépriser les joies qui passent ; mais c’est le contraire. Du moins, j’ai beau faire, je ne puis m’amener à ces austères dédains. Pourtant, je sais par cœur bien des belles phrases sur la vanité de l’amour et du bonheur, mais n’y a-t-il pas là-dedans beaucoup d’exagération ? Et quand même tout finirait par se faner, par se flétrir, faut-il mépriser tout ce qui ne dure pas éternellement ? Ni la verdure ni les fleurs ne durent toujours. Cependant qu’elles sont belles et sans elles que la terre serait triste ! 29 mai. – Oui, la verdure est belle et enfin voici le printemps sérieusement à l’œuvre. On sent circuler partout la vie fraîche, puissante, exubérante. J’ouvre ma fenêtre dès le matin. J’aime ce soleil éclatant, cet air tiède chargé des senteurs nouvelles, et je voudrais n’avoir rien à faire qu’à 12 regarder verdir, qu’à regarder fleurir, qu’à écouter ces bruits agrestes et charmants. 10 juin. – L’humeur noire que j’avais dans le cœur s’en va. À vrai dire ma tristesse n’est plus qu’une brume légère souvent transpercée de soleil. Sans doute, rien n’est changé dans ma vie intime, mais dehors tout est si vivant, si lumineux, si beau que le froid et le terne du dedans s’oublient – et l’on trouve du plaisir à se sentir vivre. 15 juin. – Je suis avec charme l’œuvre du printemps. Qu’est-ce que la sève ? Merveilleuse, ouvrière celle-là ! Si invisible et silencieuse, cependant si vive, si active, si ardente. J’avoue qu’elle me fait songer. Si j’étais une mystique, je verrais dans la sève mystérieuse la gracieuse image de la grâce de Dieu. L’une comme l’autre ne produit-elle pas la 13 plus étonnante variété de feuilles, de fleurs et de fruits ? Je lis la vie des saints depuis quelques jours. Beau livre qui me fait prendre la résolution de bien souffrir et de bien agir. Toute position que nous n’avons pas choisie est bonne sans doute, puisque c’est Dieu qui nous y a mis. La foi dit cela, mais... 16 juin. – Pourquoi s’inquiéter, se tourmenter ? nul ne sait ce qui lui convient. Il y a des fleurs qui s’épanouissent mieux à l’ombre qu’au soleil, d’autres vivent parmi les rochers qui mourraient dans la uploads/Litterature/ conan-a-travers-les-ronces-573.pdf

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