Rev. Sc . ph. th. 69 (1985) 577-610 BULLETIN DE PATROLOGIE par G.-M. de Durand

Rev. Sc . ph. th. 69 (1985) 577-610 BULLETIN DE PATROLOGIE par G.-M. de Durand Le gnosticisme. - Dans l'Introduction, Giulia Sfameni Gasparro1 délimite nettement son thème : il s'agit de Yegkrateia au sens plus étroit que les chrétiens ont donné généralement à un terme apte par lui-même à signifier la maîtrise de soi dans des domaines plus étendus. Et c'est le motif « protologique » de cette continence sexuelle (et très secondairement alimentaire) qui sera essentiellement pris en considération, par opposition à des motifs qu'on pourrait appeler « évangélique » (se garder disponible pour l'annonce du royaume), « ontologique » (dépréciation de la création charnelle) et eschatologique (imminence de la parousie). Cette dernière motivation pourra interférer cependant avec celle que constitue une certaine conception de l'état originel ( = protologique), dans la mesure où la fin et le début tendent à se rejoindre dans certaines descriptions de l'histoire humaine. Ce point de départ établi, la structure du livre est très simple. Il s'agira d'étudier d'abord le courant encratite proprement dit, celui dans lequel la condamnation de la sexualité et la surévaluation de la continence sont les traits centraux. G. S. G. s'appliquera soit à écarter de ses représentants le reproche d'autres déviations, gnosticisme surtout, comme dans le cas de Tatien ou Jules Cassien, soit à discerner la strate fondamentale encratite sous certains revêtements gnosticisants, ainsi dans l'Évangile de Thomas , soit à établir (à partir d'un sermon pseudo-cypria- nique, d'une notice de Filastre et de la Question 127 de 1' Ambrosiaster) l'existence d'un courant encratite puissant et distinct de ceux d'Orient (cf. p. 110). Mais sa conclusion la plus importante (dont les appuis paraissent néanmoins quelque peu ténus) est dégagée dès le milieu de ce chapitre p. 76-79 : c'est la distinction entre deux niveaux et deux phases dans la composante protologique de l'encratisme. Il y a d'une part la chute verticale d'un état paradisiaque supraterrestre à la bassesse de la condition charnelle, d'autre part une transgression d'un commandement divin par l'exercice des relations sexuelles, qui serait à situer plutôt dans la ligne horizontale du récit biblique. C'est ensuite le tour des gnostiques, et à en juger par 1. Giulia Sfameni Gasparro, Enkrateia e Antropologia. Le motivazioni protologiche della continenza e della virginità nel cristianesimo dei primi secoli e nello gnosticismo. Roma, Institutům Patristicum « Augustiniánům » (coll. « Studia Ephemeridis € Augus- tiniánům * », 20), 1984 ; 17 X 24, 405 p. 578 G.-M. DE DURAND la quantité de pages qui leur est consacrée (seu ils intéressent moins G. S. G. ; peut-être parc qui n'est pas l'objet de son étude occupe par trop chez eux le devant de la scène. Finalement, ce qui a le plus de valeur pour sa thèse, ce sont moins les écrits franchement gnostiques, qu'elle commence par examiner dans d'assez courts paragraphes distincts, que d'autres à coloration moins tranchée, qu'elle rassemble un peu pêle-mêle dans une plus longue section terminale. Ainsi le Testimonium Veriiaiis, qu'on a même voulu attribuer à l'encratite non gnostique Jules Cassien, ce qui lui paraît, quant à elle, malgré tout, impossible ; ainsi ces Enseignements de Silvanos ou ces Sentences de Sextos , dont l'incorporation à la bibliothèque de Nag Hammadi semble indiquer que le rigorisme en matière sexuelle qualifiait à lui seul une lecture comme acceptable pour ces gnostiques, assez œcuméniques aussi d'ailleurs au plan doctrinal. Ici encore on pourrait retrouver sans doute les deux niveaux discernés plus haut, mais avec beaucoup moins de netteté (en tout cas l'auteur ne nous a pas semblé aussi explicite en cette occasion-ci). Le ver n'est-il pas en effet dans le fruit depuis le départ? L'unité primitive entre les deux sexes, dont les gnostiques parlent avec une si vive nostalgie, n'était-elle pas menacée par certaines composantes originelles troubles de l'homme idéal ? De sorte que le premier divorce était inscrit dans la nature de celui-ci et qu'en s'adonnant par l'exercice de sa sexualité à une réuni- fication illusoire, il ne faisait que laisser parler encore plus haut cette part mauvaise de son être ? En outre, le thème du dévoiement d' Ève par Satan n'interfère-t-il pas avec celui de l'union conjugale Ève-Adam comme faute originelle ? Nous avouons n'avoir pas très bien saisi le fil de ces entre- croisements, ce qui est peut-être impossible dans ces systèmes multiformes et obscurément énoncés. Nous arrivons enfin à la pièce de résistance, plus de cent cinquante pages sur « les motivations protologiques de Vegkra- teia et de la virginité chez les Pères ». A vrai dire, des vingt paragraphes qu'il compte, les dix-neuf premiers du chapitre ne font rien apparaître de bien saillant et spécialement intéressant. Clément d'Alexandrie est traité dans un préambule, étant le seul, avec Zénon de Vérone, à voir dans la faute originelle un exercice prématuré de l'union physique, sans rien en tirer cependant contre la bonté intrinsèque du mariage. Théodore de Mopsueste, ainsi que sa descendance spirituelle « nestorienne » a tout juste droit à deux notes en bas de page (p. 274, n. 7 et p. 275, n. 10)1. Quant aux autres Antiochiens, S. Jean Chrysostome et Théodoret, il ne semble pas qu'ils se détachent par quoi que ce soit de plus réaliste ou de plus ingénieux par rapport au gros de la troupe. Tous ces auteurs se sont assez paresseuse- ment réfugiés dans le mystère ou dans une analogie passablement inconsistante avec les anges quand il s'agissait de dire comment la multi- plication de l'espèce humaine aurait eu lieu sans la chute. Pour eux tous, l'ordre du texte biblique impose de croire que seule cette chute a conduit l'homme au plan de l'animalité et abouti à la connaissance charnelle entre les deux sexes. On se demandera dès lors si c'est intentionnellement, parce que son livre était publié sous l'égide d'institutions augustiniennes, que G. S. G. a construit son chapitre de manière à produire en nous une impression de soulagement et de lumière quand il débouche sur l'évêque 2. Il va sans dire que, traitant d'un aussi grand nombre d'auteurs, G.S.G. ne peut fournir que des indications bibliographiques très sélectives. Il est des absences que l'on regrette cependant, comme celle de l'article de C. H. Nodet dans le recueil intitulé « Mystique et Continence» (datant de 1952) ; il donne un arrière-plan psychologique à ce que S. Jérôme peut énoncer sur le sujet en cause dans le présent livre. PATROLOGIE 579 ďHippone ? Il est déjà bien connu que celui-ci, progressivement, est arrivé à une solution personnelle, laquelle, enfin, ne fait plus des relations sexuelles une donnée infralapsaire. Aussi relèverons-nous surtout, à la suite de l'érudite Italienne, que même le désir n'est plus essentiellement lié à la chute, pourvu qu'il soit discipliné par l'âme supérieure, ce qui toutefois n'est plus possible dans la situation actuelle de l'homme3. Ce détail paraît important, quand on sait la méfiance à l'égard de toute vie passionnelle que souvent l'on impute à Augustin. En outre, cette doctrine dans son ensemble indique peut-être que celui-ci a gardé cet idéal de maîtrise de soi élaboré par les moralistes païens au moins à partir de l'époque hellénistique4 en se contentant de le repousser au-delà de l'horizon de l'accessible ; il aurait laissé à d'autres chrétiens après lui le soin de l'éliminer radicalement. Suit encore un chapitre nettement plus bref : G. S. G. se défend d'y vouloir repérer les sources ou les influences qui ont pu jouer dans la formation de l'encratisme et aussi de l'attitude majoritaire chez les Orthodoxes en la matière. Elle pousse simplement son exploration plus en arrière dans le temps, du côté de Philon et d'un certain nombre d'écrits deutéro-canoniques ou apocryphes, dans lesquels transparaissent des idées plus ou moins analogues à celles qui seront si largement répandues chez les auteurs chrétiens. Il n'est en somme que la littérature païenne pour ne pas être atteinte par cette série d'investigations (mais par une heureuse coïncidence, les travaux d'A. Rousselle et M. Foucault sont venus plus ou moins combler cette lacune). De toute façon, dans la mesure où cet inventaire est déjà très complet, sinon exhaustif, on ne sort de cette lecture que plus intrigué par la diffusion de thèses assez baroques à notre goût moderne et fondées sur tant de postulats à demi exprimés ou même complètement inconscients. Peut-être est-ce comme rappel de la distance où nous sommes de gens qui ont professé pourtant la même fidélité de base que cet ouvrage sera le plus utile. Se savoir aussi différents les uns des autres à travers le temps chrétien aide à accepter sans scandale de l'être aussi à travers l'espace chrétien8. Vers la fin de son Introduction (p. 42), Simone Pétrement® laisse percer une pointe de mauvaise humeur : « La découverte de Nag Hammadi, bien loin d'avoir éclairci définitivement la question de l'origine (du gnosticisme), a plutôt été sur ce point l'occasion de nouvelles erreurs et risque d'engager une fois de plus la recherche dans une fausse voie » (cf. aussi p. 325). Quelques pages plus haut (p. 39), elle avait dit également uploads/Litterature/ g-m-de-durand-bulletin-de-patrologie-pdf.pdf

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