Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » Arthur Conan Doyle 1859-1930 L’

Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » Arthur Conan Doyle 1859-1930 L’HOMME À LA LÈVRE TORDUE Les aventures de Sherlock Holmes (décembre 1891) Table des matières L’homme à la lèvre tordue ....................................................... 3 Toutes les aventures de Sherlock Holmes ............................. 43 À propos de cette édition électronique .................................. 46 L’homme à la lèvre tordue Isa Whitney, frère de feu Elias Whitney, docteur en théologie, principal du collège de théologie Saint-Georges, s’adonnait fort à l’opium. Cette habitude prit possession de lui, à ce que l’on m’a dit, à la suite d’une sotte fantaisie, alors qu’il était au collège. Il avait lu la description que fait De Quincey de ses sensations et de ses rêves de fumeur d’opium et il avait imprégné son tabac de laudanum pour essayer d’obtenir les mêmes effets. Il trouva, comme tant d’autres, qu’il est plus facile de contracter cette habitude que de s’en défaire, et pendant de longues années il continua d’être esclave de la drogue, en même temps qu’il était, pour ses amis et pour les siens, l’objet d’un mélange de pitié et d’horreur. Même à présent, il me semble le voir encore, épave et ruine d’un noble caractère, tout recroquevillé dans son fauteuil, avec sa face jaune et pâteuse, ses paupières tombantes et ses pupilles réduites comme des pointes d’épingle. Un soir, c’était en juin 1889, quelqu’un sonna à ma porte, à cette heure où l’on commence à bâiller et à regarder l’horloge. Je me redressai sur ma chaise et ma femme posa sur ses genoux son travail à l’aiguille, avec une grimace de déception. – Un malade ! dit-elle. Tu vas être obligé de sortir ! Je ronchonnai, car je venais de rentrer après une dure journée. Nous entendîmes la porte s’ouvrir, puis quelques mots précipités et enfin des pas rapides sur le linoléum. Notre porte s’ouvrit brusquement et une dame, vêtue de sombre et avec un voile noir, entra dans la pièce. – Vous m’excuserez de venir si tard, commença-t-elle. - 3 - Et soudain, perdant toute maîtrise d’elle-même, elle courut vers ma femme, lui jeta les bras autour du cou et se mît à sangloter sur son épaule : – Oh ! j’ai tant de peine ! s’écria-t-elle. J’ai tant besoin qu’on m’aide un peu ! – En quoi ? dit ma femme et, relevant le voile : C’est Kate Whitney. Comme vous m’avez fait peur ! Je n’avais, à votre entrée, pas idée de qui vous étiez. – Je ne savais que faire ; et alors, je suis venue tout droit vers vous. C’était toujours comme cela. Les gens en peine venaient vers ma femme comme les oiseaux vers un phare. – C’est très gentil d’être venue. Maintenant vous allez prendre un peu de vin et d’eau, vous asseoir confortablement et nous raconter tout ça, à moins que vous n’aimiez mieux que j’envoie James se coucher. – Oh ! non, non ! J’ai aussi besoin de l’avis et de l’aide du docteur. C’est à propos d’Isa. Il n’est pas rentré depuis deux jours et j’ai si peur pour lui ! Ce n’était pas la première fois qu’elle nous avait parlé des ennuis que lui causait son mari, à moi comme médecin, à ma femme comme à une vieille amie et camarade de classe. Nous la calmâmes et la réconfortâmes avec les meilleures paroles que nous pûmes trouver. Savait-elle où était son mari ? Nous était-il possible de le lui ramener ? Cela semblait possible. Elle avait des renseignements très affirmatifs. Depuis quelque temps, quand la crise le prenait, son mari se rendait dans un bouge, une fumerie d’opium, tout à fait à l’est de la Cité. Jusqu’ici, ses débauches s’étaient bornées à une seule journée et il était toujours rentré le soir, chancelant et épuisé. Mais cette fois la crise avait duré quarante-huit heures et, - 4 - sans doute, il était là-bas, prostré parmi la lie des docks, en train d’aspirer le poison ou de dormir pour en dissiper les effets. C’était là qu’on le trouverait, elle en était sûre, à La Barre d’or, dans Upper Swandam Lane. Mais que faire ? Comment une femme jeune et timide comme elle pouvait-elle s’introduire dans un tel endroit pour arracher son mari à ce monde de gens sans aveu ? Telle était la situation et, naturellement, il n’y avait qu’une issue : ne pourrais-je pas l’accompagner là-bas ? Puis, en y réfléchissant, pourquoi même viendrait-elle ? J’étais le médecin consultant d’Isa Whitney et, en cette qualité, j’avais sur lui quelque influence. Je pourrais m’en tirer, moi, si j’étais seul. Je fis la promesse formelle que je le renverrais chez lui en fiacre d’ici deux heures au plus, s’il était bien à l’adresse qu’elle m’avait donnée. Dix minutes plus tard, ayant quitté mon fauteuil et mon confortable studio, je roulais à toute vitesse en fiacre vers l’est de la ville, chargé, à ce qu’il me semble, d’une étrange mission, encore que l’avenir seul pût me montrer à quel point elle allait être étrange. Mais il ne se présenta guère de difficultés dans la première étape de mon aventure. Upper Swandam Lane est une ignoble ruelle tapie derrière les quais élevés qui longent le côté nord de la rivière, à l’est du pont de Londres. Entre un magasin de confection et un assommoir dont on approche par un perron qui conduit à un passage noir comme la bouche d’un four, j’ai trouvé le bouge que je cherchais. Donnant à mon cocher l’ordre de m’attendre, j’ai descendu les marches creusées au centre par le piétinement incessant des ivrognes et, à la lumière vacillante d’une lampe à huile placée au-dessus de la porte, j’ai trouvé le loquet et je me suis avancé dans une longue pièce basse, toute remplie de la fumée brune, épaisse et lourde de l’opium, avec de chaque côté des cabines en bois formant terrasse, comme le poste d’équipage sur un vaisseau d’émigrants. A travers l’obscurité, on distinguait vaguement des corps gisant dans des poses étranges et fantastiques, des épaules voûtées, des genoux repliés, des têtes rejetées en arrière, des - 5 - mentons qui se dressaient vers le plafond et çà et là un œil sombre, vitreux qui se retournait vers le nouveau venu. De ces ombres noires scintillaient de petits cercles de lumière rouge, tantôt brillants, tantôt pâlissants, suivant que le poison brûlait avec plus ou moins de force dans les fourneaux des pipes métalliques. La plupart de ces têtes restaient sans rien dire ; quelques-uns marmottaient pour eux-mêmes et d’autres s’entretenaient d’une voix basse, étrange et monocorde, émettant par saccades des propos qui soudain se perdaient dans le silence ; chacun, en fait, mâchonnait ses propres pensées et ne faisait guère attention aux paroles de son voisin. Tout au bout se trouvait un petit brasier de charbon de bois, à côté duquel était assis, sur un trépied de bois, un vieillard grand et mince, dont la mâchoire reposait sur ses poings et les coudes sur ses genoux. Fixement, il regardait le feu. A mon entrée, un domestique malais au teint jaunâtre s’était précipité vers moi, avec une pipe et la drogue nécessaire, tout en me désignant d’un geste une cabine vide. - 6 - – Merci ! dis-je, je ne viens pas pour rester. Il y a ici un de mes amis, M. Isa Whitney, et je désire lui parler. Je perçus un mouvement, j’entendis une exclamation à ma droite et, en tendant les yeux dans l’obscurité, je vis Whitney pâle, hagard, échevelé, qui me regardait fixement. – Mon Dieu ! c’est Watson, dit-il. Il était dans un lamentable état de réaction ; tous ses nerfs tremblaient. – Dites, Watson, quelle heure est-il ? – Bientôt onze heures. – De quel jour ? – Vendredi 10 juin. – Dieu du ciel ! Je croyais que nous étions mercredi. Mais nous sommes mercredi. Pourquoi voulez-vous me faire peur comme ça ? Il laissa tomber son visage sur ses bras et se mit à sangloter d’une façon aiguë. – Je vous dis que c’est aujourd’hui vendredi. Votre femme vous attend depuis deux jours. Vous devriez avoir honte. – J’en ai honte aussi. Mais vous vous trompez, Watson, car il n’y a que quelques heures que je suis ici ; trois pipes, quatre pipes… Je ne sais plus combien. Mais je rentrerai avec vous, Watson. Je ne voudrais pas faire peur à Kate – pauvre petite Kate. Donnez-moi la main ! Avez-vous un fiacre ? - 7 - – Oui, j’en ai un qui attend. – Alors je le prendrai, mais je dois sans doute quelque chose. Demandez ce que je dois, Watson. Je ne suis pas en train du tout. Je ne peux rien faire. Je m’avançai dans l’étroit passage qui courait entre les deux rangées de dormeurs, et, tout en retenant mon souffle pour me préserver des ignobles vapeurs de la drogue, je cherchai de ci, de là, le tenancier. Comme je passais près de l’homme grand et mince qui était assis près du brasier, je me sentis soudain uploads/Litterature/ conan-doyle-homme-levre-tordue-im.pdf

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