Lectura y culpa en el siglo xvi, 155-172 1. Fogelquist (1982: passim). 2. Margu
Lectura y culpa en el siglo xvi, 155-172 1. Fogelquist (1982: passim). 2. Marguerite de Navarre [1559] (1967: N. 25, 205-206); Des Périers [1558] (2000). Le contrôle des esprits et l’auto-censure des auteurs de fiction. Le deuxième commandement Marie-Luce Demonet CESR, Université François-Rabelais de Tours, Institut Universitaire de France Écrire en langue vulgaire des histoires inventées non légitimées par un commen- taire allégorique reste un défi au xvie siècle. La sévérité d’un humaniste comme Vivès contre les romans, son exigence complémentaire à l’égard du genre de l’his- toriographie marquent un tournant important dans les réticences que les œuvres de fiction ont pu générer auprès d’esprits théoriquement ouverts à la modernité du texte. Les poètes doivent justifier leurs sujets amoureux ou satiriques, bien que les vers les protègent plus ou moins, le mètre et la rime étant des marques de non-réalité. Une fois reconnue la «poéticité» du texte, le lecteur jugera à son gré du caractère licencieux du contenu pour en accepter l’audace ou la condamner. Plus dangereux sont les récits offrant les mêmes modes narratifs que les textes historiques, même si les exploits sont extravagants, les personnes et les lieux inventés: ainsi en est-il des Amadis, qui promeuvent les mêmes valeurs que les vraies chroniques et ont un mode narratif voisin, tout en faisant rêver les demoiselles, tout en enthousiasmant le Chevalier à la Triste Figure.1 Ris- qués aussi, ces nouvelles et ces récits qui prétendent reproduire des conversa- tions réelles, des échanges de bons mots, des facéties pas toujours innocentes: ils se présentent soit comme vrais (l’Heptaméron de Marguerite de Navarre), soit comme inventés (Les Nouvelles récréations de Bonaventure Des Périers), ce qui ne les empêche pas d’être souvent tenus pour immoraux: l’Heptaméron fournit une morale de l’honnêteté extérieure présumée acceptable, mais son auteur ne trouve rien à redire à l’adultère commis par «un Prince» (François 1er), raconté comme un bon tour joué à un mari.2 Sur un autre mode, enfin, sont également brought to you by CORE View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk provided by Diposit Digital de Documents de la UAB 156 Marie-Luce Demonet Lectura y culpa en el siglo xvi suspectes ces imitations invraisemblables du lucianisme antique (comme dans le Cymbalum mundi de Des Périers) ou de la veine gigantale populaire (les romans rabelaisiens) qui touchent en plaisantant aux questions majeures de la vie «reli- gieuse, politique et oeconomique» - c’est la réclame du Prologue de Gargantua- et débordent dangereusement sur le monde réel: derrière les Sorbonicoles et les Papimanes, on n’a aucun mal à reconnaître les cibles, même si d’autres sont plus obscures.3 Montaigne reproche à Marguerite de Navarre un manque de compétence théologique évident, à excuser ainsi les frasques de son frère sous couvert d’une bonne histoire de cocuage.4 On sait qu’il méprise les romans chevaleresques (Lancelot, Amadis) tout en s’amusant avec Boccace, Des Périers et Rabelais.5 Il a donc rangé l’Heptaméron dans ce qui serait la fiction historiographique, distincte de l’histoire des bons historiens ou de l’«histoire fabuleuse» (selon Jacques Amyot).6 Celle-ci est assumée comme telle chez Rabelais, mais elle n’a pas toujours protégé celui-ci, dénoncé par l’auteur du Theotimus (Gabriel Du Puy Herbault), par Calvin et par de zélés parlementaires ou inquisiteurs.7 Déjà, saint Augustin ne reconnaissait pas le vraisemblable comme mode narratif et il préférait clairement les fables des poètes aux propositions hérétiques qui se prétendaient vraies.8 Je m’étais intéressée naguère à la censure «cognitive» des œuvres de fiction, telle qu’elle était traitée par les philosophes médiévaux et par leurs successeurs de la seconde scolastique. J’avais constaté que, vers les années 1600, l’acceptation théorique de la fiction pouvait accompagner un renforcement de la censure, puisque les objets fictifs accédaient enfin à une sorte d’existence par leur force de représentation du temps et de l’espace. Dans ce spatium imaginarium évoqué par Francisco Suárez, les personnages évoluent proportionnellement à des person- nages réels, ce dont profitera la fiction pieuse de l’époque de la Contre-réforme, notamment la littérature narrative édifiante de l’évêque Jean-Pierre Camus.9 Je propose d’examiner ici la façon dont la censure religieuse est renforcée par la mise en place d’une morale politique, qui augmente la méfiance philosophique à l’encontre des univers de fiction. Certains textes littéraires simulent l’impiété et reproduisent des types de paroles répréhensibles, soumises à la censure et à la punition dans le monde réel: les jurons. Les textes de ce corpus ont pour point commun d’offrir à la lecture, et à la culpabilité du chrétien, quelques manque- ments au deuxième commandement, «Tu n’invoqueras pas en vain le nom de Dieu». 3. Des Périers (1537); Rabelais, Gargantua [1534-1535] (1542: Prologue, fol. 4v). 4. Montaigne, «Des prières» (1965: I, 56, 324). 5. Montaigne, «Des livres» (1965: II, 10, 410). 6. Mounier (2007: Introduction). 7. Du Puy-Herbault [1549] (2006) et Ga- gliardi (2006). 8. Saint Augustin, Confessions III, 6, 11. Voir Nelson (1973: 14). 9. Suárez [1597] (2001). Demonet (2005, 2010, 2011). Le contrôle des esprits et l’auto-censure des auteurs de fiction. Le deuxième commandement 157 Lectura y culpa en el siglo xvi Fiction et juron Au xvie siècle et en français, le mot «jurement» a la double valeur de serment solennel et de juron, ce terme de «juron» n’étant pas attesté avant 1599. Les deux mots désignent un serment effectué oralement devant une instance sacrée, soit directement (Dieu, Marie, ou les saints), soit indirectement en invoquant leur ennemi (le diable), avec différents degrés d’infamie. Il est blasphématoire quand il s’effectue dans une situation inappropriée, à l’occasion des jeux de dés ou de cartes par exemple. Si le juron invoque le diable, il reste interdit, en vertu de la force supposée de certaines paroles, bien que l’arbitraire du signe linguis- tique soit le principe philosophique qui anime les grammaires et les philoso- phies du langage à la Renaissance. La constitution des langues «institutione» ou «arbitratu» (qu’il faudrait traduire par «selon un consensus») connaît des excep- tions notables pour les «hauts noms», noms divins et leurs contraires sortis du monde infernal, et pour les formules à caractère sacré interdites aux profanes.10 Ces formules ont une «vertu» proche de celle de la transsubstantiation, par leur caractère opératoire (perlocutoire), et non symbolique: le dire est un faire. Pourtant, au milieu du xve siècle, la force solennelle du verbe jurer s’était affaiblie et était devenue synonyme déjà de «promettre avec force». Après avoir distendu sa relation avec le serment, jurer signifie «attester avec certitude» au milieu du xviie siècle, bien qu’en parallèle le sens de sacrilège associé au juron soit tout à fait présent.11 Dans le juron, «jurer» est souvent sous-entendu: la force illocutoire se déplace sur le témoin illustre, Dieu, Marie ou les saints convoqués pour attester de la bonne cause. Montaigne ne «jure» pas directement dans les Essais, mais il mentionne son juron préféré, avouant qu’il le prononce à son propre usage, sans sentiment de la faute: «Quand je jure selon moy, c’est seulement: par Dieu, qui est le plus droit de tous les serments. Ils disent que Socrates juroit le chien, Zenon cette mesme interjection qui sert à cette heure aux Italiens, cappari; Pythagoras l’eau et l’air.»12 Son utilisation fréquente dans certains milieux en fait une expression de renforcement de la vérité, un équivalent appuyé de «vraiment», qui pourrait passer inaperçu. Comme pour tout péché, c’est l’intention qui compte, selon les distinctions établies par les théologiens: même le très austère Henri Estienne qui, dans son Apologie pour Hérodote de 1578 consacre deux chapitres aux blas- phèmes, admet qu’il faut avoir l’intention de jurer. Il y en a qui jurent «par gau- disserie», ce qu’il faudrait selon lui «disputer»: il n’ose pas reproduire le vilain juron d’un prêtre romain qui s’en prend à la virginité de Marie, autant par 10. C’est la thèse que j’ai développée dans Demonet (1992). 11. Voir les dictionnaires de Nicot (1606) et Furetière (1690). 12. Montaigne, «Sur des vers de Virgile» (1965: III, 5, 876). 158 Marie-Luce Demonet Lectura y culpa en el siglo xvi anticléricalisme que par pudeur, semble-t-il.13 En effet, si ce «péché de langue» n’est plus chargé d’une sacralité religieuse superstitieuse, il n’en est pas moins devenu crime civil en vertu d’un changement notable du régime juridique. Les jurons sont des actes de langage -du langage oral- à double titre: parce qu’à l’origine ce sont des serments, et parce que ce sont des invocations. Invoquer Dieu ou le diable, c’est les appeler réellement, et, même si la conscience du locuteur ou du lecteur en désamorce théoriquement la portée dans la fiction, tous les locuteurs ou lecteurs ne sont pas dans ce cas et prennent au sérieux toute invocation de Dieu ou du diable, quel que soit le contexte. Le serment est autorisé dans certaines conditions, alors que le juron est en principe toujours transgressif. Il est significatif que se constitue à Morlaix, en 1530, une confrérie du Saint Nom de Jésus pour lutter contre les «jurements, blasphèmes et imprécations»:14 les anecdotes médié- vales illustrant des sermons réapparaissent pour attester que tel homme jurant en jouant aux cartes a vu ses yeux tomber sur la uploads/Litterature/ cinema-e-controle-dos-espiritos.pdf
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- Publié le Jan 10, 2021
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