LE THÉÂTRE, TEXTE ET REPRÉSENTATION « Héros tragique, héros romantique » Docume

LE THÉÂTRE, TEXTE ET REPRÉSENTATION « Héros tragique, héros romantique » Documents A – Pierre CORNEILLE, Cinna, 1640 (acte V, sc.3) B – Jean RACINE, Phèdre, 1677 (acte I, sc.3) C – Victor HUGO, Hernani, 1830 (acte III, sc.4) D – Alfred de MUSSET, Lorenzaccio, 1834 (acte III, sc.3) Questions 1. Le héros tragique est un personnage hors du commun : en quoi est-ce le cas d’Auguste et de Phèdre ? Analysez néanmoins ce qui les oppose. (2 pts) 2. Etudiez en quoi les héros romantiques de HUGO et de MUSSET se distinguent des héros tragiques (situation, caractère, langage…) ? (3 pts) Ecriture Sujet I : Commentaire Vous ferez un commentaire composé de la célèbre tirade d’Auguste. Sujet II : Dissertation Dans L’Essence du théâtre (1943), Henri Gouhier écrit : « L’ambition du théâtre est de créer des personnes : il ne crée que des personnages… Mais le personnage a l’air d’être une personne. La suprême réussite du théâtre est dans la création paradoxale d’un personnage mystérieux comme une personne ». D’après les textes de ce corpus et ceux que vous connaissez par ailleurs, comment les personnages de théâtre apparaissent-ils à la fois mystérieux et vraisemblables ? Sujet III : Invention Un metteur en scène et une comédienne discutent de la manière dont Phèdre doit déclamer sa tirade. L’un la voit en victime accablée, l’autre en furie déchaînée. Composez ce dialogue en veillant à la solidité des arguments de part et d’autre : vous vous appuierez bien sûr sur le texte de Racine. A CORNEILLE, Cinna, 1640 (acte V, sc.3) Auguste, empereur de Rome, découvre qu’Emilie et Cinna, qu’il avait couverts de bienfaits, préparent sa mort. Devant une telle trahison, Auguste songe à se tuer puis, par un pur élan de générosité, s’élève jusqu'à la clémence. 5 10 15 20 AUGUSTE En est-ce assez, ô Ciel ! et le Sort, pour me nuire, A-t-il quelqu’un des miens qu’il veuille encor séduire1 ? Qu’il joigne à ses efforts le secours des Enfers. Je suis maître de moi comme de l’Univers. Je le suis, je veux l’être. Ô Siècles, ô Mémoire2, Conservez à jamais ma dernière victoire, Je triomphe aujourd’hui du plus juste courroux De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous. Soyons amis, Cinna, c’est moi qui t’en convie : Comme à mon ennemi je t’ai donné la vie, Et malgré la fureur de ton lâche destin3, Je te la donne encor comme à mon assassin. Commençons un combat qui montre par l’issue Qui l’aura mieux de nous, ou donnée, ou reçue. Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler, Je t’en avais comblé, je t’en veux accabler. Avec cette beauté4 que je t’avais donnée, Reçois le Consulat pour la prochaine année. Aime Cinna, ma fille, en cet illustre rang, Préfères-en la pourpre5 à celle de mon sang, Apprends sur mon exemple à vaincre ta colère, Te rendant un époux, je te rends6 plus qu’un père. 1. séduire : détourner du droit chemin 2. mémoire : souvenir de la postérité, renommée 3. destin : projet, dessein 4. cette beauté : Emilie 5. pourpre : la toge des consuls était bordée de rouge. 6. rends : avant d’être empereur, Auguste avait fait tuer le père d’Emilie. B RACINE, Phèdre, 1677 (acte I, sc.3) La pièce se passe à Trézène, dans le Péloponnèse. Le roi d'Athènes, Thésée, fils d'Egée, a disparu depuis plusieurs mois et passe pour mort. A la demande de Phèdre, sa seconde femme, Hippolyte, fils de sa première femme, a été exilé à Trézène. Apparemment Phèdre déteste son beau-fils, mais les deux premières scènes de la pièce nous révèlent une Phèdre mourante, rongée par une maladie inconnue. Ce mal, c'est l'amour. Juste avant cet extrait, Phèdre, pressée par sa nourrice OEnone, vient de lui avouer qu'elle aime Hippolyte. 5 PHÈDRE Mon mal vient de plus loin. A peine au fils d'Egée1 Sous les lois de l'hymen2 je m'étais engagée, Mon repos, mon bonheur semblait être affermi3 ; Athènes me montra mon superbe4 ennemi : Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ; Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ; Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ; 1. le fils d’Egée = Thésée 2. les lois du mariage 3. affermi = assuré (le participe concerne les deux noms : repos et bonheur.) 4. superbe = fier, noble 10 15 20 25 Je sentis tout mon corps et transir5 et brûler : Je reconnus Vénus6 et ses feux redoutables, D'un sang qu'elle poursuit7 tourments inévitables ! Par des vœux assidus8 je crus les détourner : Je lui bâtis un temple, et pris soin de l'orner ; De victimes9 moi-même à toute heure entourée, Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée : D'un incurable10 amour remèdes impuissants ! En vain sur les autels ma main brûlait l'encens : Quand ma bouche implorait le nom de la déesse, J'adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse, Même au pied des autels que je faisais fumer, J'offrais tout à ce dieu que je n'osais nommer, Je l'évitais partout. Ô comble de misère ! Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père. Contre moi-même enfin j'osai me révolter : J'excitai mon courage11 à le persécuter. Pour bannir l'ennemi dont j'étais idolâtre, 5. transir = grelotter de froid 6. Vénus = déesse de l’amour 7. Phèdre croit sa famille (son sang) persécutée par Vénus car la déesse avait déjà provoqué l’amour de sa mère, Pasiphaé, pour un taureau (de cette union naquit le Minotaure). 8. prières ferventes et répétées 9. animaux désignés pour être sacrifiés à la déesse afin d’apaiser sa colère. 10. qu’on ne peut pas guérir 11. j’encourageai mon cœur 12. je fis semblant d’éprouver la colère d’une méchante belle-mère 13. je pressai = je hâtai J'affectai les chagrins d'une injuste marâtre12 Je pressai13 son exil ; et mes cris éternels L'arrachèrent du sein et des bras paternels. C HUGO, Hernani, 1830 (acte III, sc.4) Hernani a vu les préparatifs des noces de Dona Sol avec don Ruy Gomez. Il accable la jeune femme de reproches ironiques. Mais Dona Sol lui montre le poignard avec lequel elle se tuera pour échapper à ce mariage. Hernani, pris de remords, se jette à ses pieds, la suppliant de le fuir, lui qui n'aurait à offrir qu'une "dot de douleurs", "un écrin de misère et de deuil". 5 10 15 HERNANI Dona Sol, prends le duc, prends l'enfer, prends le roi ! C'est bien. Tout ce qui n'est pas moi vaut mieux que moi ! Je n'ai plus un ami qui de moi se souvienne, Tout me quitte ; il est temps qu'à la fin ton tour vienne, Car je dois être seul. Fuis ma contagion. Ne te fais pas d'aimer une religion Oh ! par pitié pour toi, fuis !... Tu me crois, peut-être, Un homme comme sont tous les autres, un être Intelligent, qui court droit au but qu'il rêva. Détrompe-toi. Je suis une force qui va! Agent aveugle et sourd de mystères funèbres ! Une âme de malheur faite avec des ténèbres ! Où vais-je ? je ne sais pas. Mais je me sens poussé D'un souffle impétueux, d'un destin insensé. Je descends, je descends et jamais ne m'arrête. 20 Si, parfois, haletant, j'ose tourner la tête, Une voix me dit : Marche ! et l'abîme est profond, Et de flamme ou de sang je le vois rouge au fond ! Cependant, à l'entour de ma course farouche, Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche ! Oh ! fuis ! détourne-toi de mon chemin fatal ! Hélas ! sans le vouloir, je te ferais du mal ! D MUSSET, Lorenzaccio, 1834 (acte III, sc. 3) A Florence, en 1537, le jeune Lorenzaccio rêve d’assassiner le tyran Alexandre de Médicis. Il gagne sa confiance en l’accompagnant dans sa vie débauchée. Mais à force de côtoyer d’aussi près le vice et à force de jouer le rôle de complice, il se laisse gagner par un pessimisme profond qu’il confesse ici à Philippe Strozzi, le chef du clan des républicains, qui veulent également renverser Alexandre. 5 10 15 20 LORENZO Suis-je un Satan ? Lumière du ciel ! je m'en souviens encore ; j'aurais pleuré avec la première fille que j'ai séduite, si elle ne s'était mise à rire. Quand j'ai commencé à jouer mon rôle de Brutus1 moderne, je marchais dans mes habits neufs de la grande confrérie2 du vice, comme un enfant de dix ans dans l'armure d'un géant de la fable. Je croyais que la corruption était un stigmate3, et que les monstres seuls le portaient au front. J'avais commencé à dire tout haut que mes vingt années de vertu étaient un masque étouffant - ô Philippe ! j'entrai alors dans la vie, et je vis qu'à mon approche tout le monde en faisait autant que moi ; tous les masques tombaient devant mon regard ; l'Humanité souleva sa robe, et me montra, comme à un adepte digne d'elle, sa monstrueuse nudité. uploads/Litterature/ corpus-heros-au-theatre.pdf

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