Protocole Circé 1 Mardi matin, neuf heures moins vingt cinq, le RER A est déjà

Protocole Circé 1 Mardi matin, neuf heures moins vingt cinq, le RER A est déjà plein à craquer quand Astrid Wan se faufile entre deux golden boys directement sortis des années 80, cravate au vent et mèche bien gominée sur le front. Astrid ne supportait pas vraiment ces types mais ils descendaient à la Défense, une station avant elle, et elle ne pouvait pas choisir ses compagnons de route. Astrid reconnaissait qu’elle avait très mal choisi l’heure de son rendez-vous. Avant dix heures, prendre ce moyen de transport trop sollicité par les parisiens et les banlieusards volontairement relevait de la bêtise. A moins de ne pas avoir le choix, et si Astrid avait réfléchi un peu, elle aurait eu le choix. Ce jour-là, elle avait pris rendez-vous avec un marabout dont la carte “professionnelle” trainait dans le métro un matin. Astrid se jetait systématiquement sur les cartes de ces spécialistes qu’on récupérait en général dans les boîtes aux lettres ou qu’on se faisait refiler en marchant un peu lentement dans les quartiers pauvres de Paris. Ca faisait partie de son boulot. Comme elle était assez petite, Astrid avait réussi à se faufiler jusqu’à un coin de la rame de RER ce qui lui permettait de traîner tranquillement sur internet grâce à son smartphone. Elle n’était pas sûre de l’adresse de son client?, c’était même la première fois qu’elle venait à Nanterre. D’habitude, elle essayait d’éviter les missions en banlieue et en province. Née à Paris trente deux ans plus tôt, elle était une habituée de la cité et de ses rythmes, en particulier de ceux du quartier chinois dont elle était originaire et n’arrivait pas s’habituer à la campagne, à la verdure et à tout ce qui ne ressemblait pas de très près à ce qu’elle considérait comme son milieu naturel. Arrivée à Nanterre préfecture, elle essaya de se repérer en sortant du RER. La place sur laquelle elle se trouvait était très laide, bordée d’immeubles de verre typiques des années 90, hideux mais fonctionnels. Ils abritaient sûrement des banques ou des services d’assurances et devaient être désertés dès que la pendule du bureau affichait l’heure de la libération pour les centaines de salariés obligés d’y venir tous les jours. Ce mardi matin, un marché occupait la place et rendait les déplacements encore plus difficiles. Traversant les étals de contrefaçons de montres et de fruits plus ou moins frais, Astrid jetait un oeil distrait sur les marchandises présentées mais cherchait surtout à quitter cette place et trouver son point de rendez- vous. D’après le plan qu’elle avait trouvé sur internet, elle devait traverser un grand parc et contourner un immeuble très haut. “Avenue Pablo Picasso, au coin de l’Allée de l’Etang” disait le prospectus du marabout. Beaucoup de poésie pour un environnement gris et triste. Astrid remarqua un panneau qui indiquait la direction du fameux parc. Elle traversa la longue avenue piétonne et trouva les grilles de l’espace vert. Il s’agissait d’un grand parc bien propre, assez accueillant, malgré une vue sur les gratte-cielS environnants qui gâchaient une partie du charme des lieux. De l’autre côté du parc, l’avenue Picasso ressemblait à une grande artère quelconque qui aurait pu être la sortie d’autoroute dans une grande ville de province. Bordée de grands ensembles construits à la va-vite pour gommer la présence du bidonville des années 70 et reloger vite fait mal fait les habitants les plus pauvres de cette banlieue mal-aimée, ses immeubles ressemblaient à ceux que l’on voyait à la télévision quand les journalistes font leurs choux gras d’un fait divers démoralisant. L’immeuble au coin de l’Allée de l’Etang présentait un petit mieux par rapport aux autres. Un ravalement récent et quelques couleurs moins tristes lui donnaient (donnait => immeuble) presque un aspect agréable. Astrid sonna à l’interphone mais personne ne répondit. Elle essaya de tirer la poignée de la porte qui se révèlait (révéla) être ouverte et entra dans le bâtiment. Le marabout exercait au troisième. Au vu de l’état du hall, Astrid se décida pour l’escalier plutôt que l’ascenseur. Trois étages, elle s’en sentait capable et un tout petit peu de sport n’avais (avait) jamais fait de mal à personne. La cage d’escalier ressemblait à moitié à un dépotoir. Des mégots de cigarettes douteux trainaient sur les bords des marches, laissant juste la place sur chaque marche pour passer. L’odeur d’urine était à la limite du supportable, en particulier sur les paliers. Au deuxième, la lumière ne fonctionnait pas et Astrid fut obligée d’utiliser le rétroéclairage de son téléphone pour éviter de trébucher. Arrivée au troisième, elle poussa du coude la porte palière et chercha la porte de Papa N’Diaye. Le palier était large, avec six portes d’appartements, et mal éclairé mais Astrid parvint à trouver la porte du premier coup. Un petit coup de chance, elle n’aurait pas voulu rester trop longtemps sur ce palier qui sentait mauvais, d’autant plus que derrière une autre porte, elle entendait plusieurs chiens aboyer. Elle frappait chez “Docteur N’Diaye, sonnez puis entrez”. La sonnette semblait prête à exploser ou à électrocuter l’utilisateur au moindre contact. Astrid frappa fort et entra. Astrid fut prise d’un léger haut le coeur en passant la tête à travers la porte. L’odeur d’encens mélée à celui du chou bouilli était très forte dans l’appartement. En face d’elle, une porte s’ouvrit, un jeune homme, environ vingt cinq ans, d’origine africaine et vêtu d’un boubou traditionnel bleu électrique se tenait dans l’encadrement de la porte et observait Astrid d’un air stupéfait. Il faut reconnaître que le look d’Astrid avait de quoi surprendre. La trentaine et asiatique, elle avait toujours été plutôt mince et correspondait aux canons de beauté des magazines de mode. Suffisamment pour être la cible fréquente de remarques grivoises, déplacées, sexistes et racistes des uns et des autres. Souvent des hommes. La plupart blancs et qu’elle estimait frustrés sexuellement et intellectuellement. Pour couper court à leurs remarques, elle avait choisi de changer de style. De la petite asiatique copie conforme d’un modèle de Playboy, elle passa à un look qui risquait d’attirer plus de commentaires mais beaucoup moins d’ennuis. Elle avait coupé ses cheveux au carré, les avait teints en rouge et avait choisi de s’habiller en gothique. Toute vétue de noir, tatouée et avec plusieurs piercings, la plupart des hommes étaient intimidés et n’osaient plus la prendre de haut. Quant aux commentaires sur son apparence, Astrid s’en foutait. Son interlocuteur du jour semblait secoué par l’arrivée d’Astrid. Il mit une seconde à reprendre ses esprits puis l’invita à le suivre “Je suis Papa”. Il n’avait aucun accent, si ce n’est celui que l’on attrapait dans les banlieues du nord de Paris. “Tu as trouvé facilement? _ Avec l’adresse et un téléphone. Ca allait.” Il l’invita à le suivre puis s’installa sur un coussin devant une table basse et fit signe à Astrid de s’asseoir en face d’elle. “Tu veux du café? Je ne reçois pas si tôt d’habitude. _ Non merci. J’ai déjà déjeuné.” Astrid restait méfiante. On ne sait jamais. Elle n’était pas bien grande et si Papa se mettait en tête de la violenter, elle ne pourrait pas facilement se défendre. Elle avait fait un peu de judo au collège, à cause d’un prof de sport ancien champion de France qui tenait à faire découvrir sa discipline préférée à ses élèves, mais elle n’avait jamais pu dépasser la ceinture orange en quatre ans d’une pratique peu intensive. Papa semblait un peu sur la défensive. Il avait l’habitude, plus ou moins, de clients qui arrivaient à des heures qui ne lui convenaient pas vraiment, mais cette femme lui faisait mauvaise impression. D’habitude, ses clients venaient d’Afrique, souvent immigrés récemment et n’avaient rien à voir avec cette fille au look bizarre. “Si je me souviens bien de ton coup de fil, tu es là pour un problème de coeur c’est ça?” Astrid avait usé d’un stratagème un peu minable pour obtenir cet entretien. Le prospectus du prétendu mage parlait de retour garanti de l’amour, réparation de PC à distance et début de la chance. Un classique du genre. Pour pouvoir enquêter, Astrid devait prétendre avoir un problème et s’y tenir tout au long de la conversation. “Oui, il s’appelle Thomas. Pour paraître crédible, elle se pinça légèrement l’avant bras de manière discrète et laissa un début de larme couler sur sa joue. _ Pour le faire revenir, il me faudra quelques ingrédients. Je vais t’écrire une liste. Tu m’amèneras tout au prochain rendez-vous.” Il prit un stylo et griffona quelques notes sur un post it. La liste étant trop longue, il retourna le post it pour ajouter deux notes et une série de chiffres, puis il tendit le papier jaune à Astrid. “Rappelle-moi quand tu auras tout. Le prochain rendez-vous sera plus long, peut être une heure, pour que je puisse accomplir tout le rituel comme il faut. En bas du post-it, je t’ai mis le prix de la prestation.” Astrid parcourut le papier rapidement. Mèches de cheveux, bout d’ongles, un oignon vert, un uploads/Litterature/ corrections-protocole-circe 1 .pdf

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