DU COSMOS À L'ESPACE André Akoun CNRS Éditions | « Hermès, La Revue » 2002/2 n°

DU COSMOS À L'ESPACE André Akoun CNRS Éditions | « Hermès, La Revue » 2002/2 n° 34 | pages 19 à 25 ISSN 0767-9513 ISBN 2271060664 DOI 10.4267/2042/14437 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2002-2-page-19.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour CNRS Éditions. © CNRS Éditions. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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L’ESPACE IMAGINÉ André Akoun Emmanuel Lempert Fernand Verger Yannick Dehée Olivier Chopin © CNRS Éditions | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info par Rémi Delchet (IP: 92.174.54.148) © CNRS Éditions | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info par Rémi Delchet (IP: 92.174.54.148) HERMÈS 34, 2002 21 André Akoun Université Paris IV – Sorbonne Laboratoire Communication et Politique, CNRS, Paris DU COSMOS À L’ESPACE La conscience naïve fait de l’espace le réceptacle objectif de la vie. Mais l’espace est, en réalité, tributaire des conceptions générales dans lesquelles il s’inscrit et de l’imaginaire qui l’investit sans que chacun en soit conscient. Et cet imaginaire est celui-là même que théorisent les diverses con- ceptions du monde, la philosophie, la science. Il va de soi que chacun a un sentiment de l’espace qui est lié à son activité et lui sert de cadre. L’agriculteur est tourné vers la terre nourricière que le soleil réchauffe et que la pluie arrose, et vers l’étendue de ses champs sous les cieux. Le citadin conçoit un espace où se dessinent les méandres des rues et s’érige la verticalité des gratte-ciel. Le train fait de la terre un corps sur la surface duquel on glisse et l’avion fait de cette même terre un lieu dans l’infini des espaces à parcourir. Mais der- rière ces vécus qui se succèdent ou se superposent au gré des moments, une conception s’impose à tous, dans un temps précis de l’histoire, comme leur assise et leur référence. C’est, aujourd’hui, celle de la science. Aussi, nous paraît-il intéressant de recenser ces théorisations d’hier et d’aujourd’hui, qui imprègnent l’imaginaire et organisent le réel collectif, et d’en discerner l’histoire. Une telle inter- rogation impose de mettre ses pas dans ceux d’Alexandre Koyré dont l’œuvre s’offre comme une généalogie de notre univers et dont la méthode aura l’originalité de lier l’évolution de la pensée scientifique à celle des idées philosophiques et religieuses : « La pensée, nous dit-il, lorsqu’elle se formule en système, implique une image, ou mieux une conception du monde, et se situe par rap- port à elle : la mystique de Böhme est rigoureusement incompréhensible sans référence à la nou- velle cosmologie créée par Copernic. » Inversement, « on ne comprend pas véritablement l’œuvre de l’astronome ni celle du mathématicien, si on ne la voit pénétrée de la pensée du philosophe et du théologien. (…) J’ai essayé d’analyser la révolution scientifique du XVIIe siècle à la fois source et résultat d’une profonde transformation spirituelle qui a bouleversé non seulement le contenu mais les cadres mêmes de notre pensée : la substitution d’un univers infini et homogène au cosmos fini et hiérarchiquement ordonné de la pensée antique et médiévale implique et nécessite la refonte des © CNRS Éditions | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info par Rémi Delchet (IP: 92.174.54.148) © CNRS Éditions | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info par Rémi Delchet (IP: 92.174.54.148) André Akoun 22 HERMÈS 34, 2002 principes premiers de la raison philosophique et scientifique. » (Du monde clos à l’univers infini, Paris, 1962). Si les idées fondamentales de la science se rapportent en même temps aux principaux courants de la pensée philosophique, comprendre l’espace de notre astronomie, donc de notre espace, impli- quera non seulement que nous ayons à connaître les conceptions qui l’ont précédée et qu’elle récuse mais aussi de voir comment le nouvel espace est en rupture avec toute une conception ancienne du monde, toute une façon qu’avait l’homme de penser son installation dans l’Être et comment s’en impose une autre à lui. Ce qui, dans la conception moderne de l’univers, s’offre à nous, ce n’est pas simplement une découverte nouvelle et une rupture théorique dans l’espace de la science, c’est une véritable crise de la conscience européenne qui voit le monde géocentrique du Moyen Âge remplacé par l’univers décentré de l’astronomie moderne, sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Mutation liée à ce bouleversement de la grille des signifiants d’hier et qui voit l’homme perdre sa place dans le monde en même temps qu’il perd ce monde jusqu’alors cadre assuré de son existence. Que ces idées nous soient aujourd’hui familières ne diminue en rien le fait qu’elles consti- tuèrent une grande révolution culturelle qui changea définitivement l’idée que l’homme se faisait de lui-même. De ce bouleversement dans les idées, l’écho se retrouve dans ces vers de John Donne (Anatomy of the world, 1611) que cite Koyré : « La philosophie nouvelle rend tout incertain, L’élément de feu est tout à fait éteint ; Le soleil est perdu et la terre ; et personne aujourd’hui Ne peut plus nous dire où chercher celle-ci […] Tout est en morceaux, toute cohérence disparue. Plus de rapports justes, rien ne s’accorde plus. » Mais cette révolution ne fut pas telle d’un seul coup, sorte de mutation brusque. Les révolutions aussi ont une histoire et ont besoin de temps pour s’accomplir. La bulle du monde enfla d’abord avant d’éclater. Mais ce ne fut pas si long. Nicolas de Cues, qui fait chaînon entre les anciens et les modernes est mort en 1464 et le De Revolutionibus Orbium Coelestium de Copernic paraît en 1653, à peine un siècle après. Nicolas de Cues s’inscrit dans l’univers des croyances du Moyen Âge mais il est le premier à mettre en question la structure hiérarchisée de l’univers. Il écrit : « on ne saurait dire de la terre qu’elle est de nature basse ; elle est, dans son genre, aussi par- faite que le soleil dans le sien. On ne saurait opposer un Soleil lumineux à une Terre sombre ». De même met-il en question la position de la terre comme centre du monde sub-lunaire car, dit-il, il n’existe pas de centre. Copernic, quant à lui, va élargir la bulle du monde. Il établira que son diamètre est, au moins, 2 000 fois plus grand que ne le pensait le Moyen Âge et il l’évalue à 20 000 rayons terrestres (soit 200 000 000 km). Mais enfler la bulle n’est pas la même chose que © CNRS Éditions | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info par Rémi Delchet (IP: 92.174.54.148) © CNRS Éditions | Téléchargé le 27/01/2022 sur www.cairn.info par Rémi Delchet (IP: 92.174.54.148) Du cosmos à l’espace HERMÈS 34, 2002 23 la concevoir comme infinie. Et, s’il montre que la terre est en mouvement, le monde reste conçu par lui comme fini, entouré de la sphère des étoiles fixes dont le centre est le soleil qui « reposant sur le trône royal, il gouverne la famille des astres qui l’entourent ». Kepler restera dans la même con- ception héliocentrique et dans la même idée d’un univers fini. Il écrit à propos de la thèse de Gior- dano Bruno, mystique de l’idée d’un univers infini, et qui en mourra sur le bûcher, « cette pensée porte en elle je ne sais quelle horreur secrète ; en effet, on se trouve errant dans cette immensité à laquelle sont déniés toute limite, tout centre, et par là-même tout lieu déterminé ». Mais très vite on renoncera à l’idée de la sphère des fixes, les étoiles se distribueront dans un uni- vers qui passe de l’immense à l’infini. C’est Descartes (Le Monde) qui donnera l’édifice métaphysique de la conception nouvelle du monde. « Sachez donc premièrement, que par la Nature je n’entends point ici quelque Déesse, ou quelque autre sorte de puissance imaginaire ; mais je me sers de ce mot, pour signifier la Matière même en tant que je la considère avec toutes les qualités que je lui ai attribuées, comprises toutes ensembles, et sous cette condition que Dieu continue de la conserver en la même façon qu’il l’a créée. Car de cela seul qu’il continue ainsi de la conserver, il suit de nécessité, qu’il doit y avoir plu- sieurs changements en ses parties, lesquels ne pouvant, ce me semble, être proprement attribués à l’action de Dieu, parce qu’elle ne change point, je les attribue à la Nature ; et les règles suivant les- uploads/Litterature/ cosmos-espace.pdf

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