1 LITTÉRATURE ET EPISTÉMOLOGIE Introduction générale Le terme épistémologie est

1 LITTÉRATURE ET EPISTÉMOLOGIE Introduction générale Le terme épistémologie est apparu au début du XXe siècle pour désigner une branche de la philosophie spécialisée dans l’étude des théories de la connaissance. Il est peu à peu devenu synonyme de philosophie des sciences. L’épistémologie est l’étude de la constitution des connaissances valables. Elle s’intéresse donc principalement aux trois questions suivantes : Qu’est-ce que la connaissance littéraire ? Comment est-elle élaborée ? Comment justifier le caractère valable d’une connaissance littéraire ? L'épistémologie de la littérature a pour objectif de réfléchir sur la connaissance spécifique secrétée par les œuvres de langage. Car, la littérature possède un pouvoir heuristique et la fiction littéraire témoigne en effet d'une capacité de diagnostic social et politique qui lui confère souvent un caractère prophétique. Ainsi, l’épistémologie de la littérature repose sur un certain nombre des savoirs notamment : les genres littéraires et leurs esthétiques, la conception de la littérature comme art, la littérature comme science et l’épistémocritique. I-Cadres théoriques des conceptions poétiques du genre La théorie des conceptions poétiques des genres emprunte à diverses traditions : celle d’Aristote et de l’Antiquité, et celle des auteurs classiques du XVIIe siècle (Boileau, Malherbe, etc.), eux-mêmes en partie héritiers des arts poétiques du XVIe siècle. Il faut donc brièvement retracer les cadres théoriques « savants », pour mieux comprendre leur reconstruction. Ces cadres sont essentiellement inspirés d’Aristote et/ou des Arts poétiques, notamment celui de Boileau, qui représente deux traditions poétiques en partie distinctes, auxquels il faut ajouter un détournement d’Aristote, théorisé au milieu du XVIIIe siècle et qui conduit à la création d’une triade. Aristote et Platon : définition énonciative et/ou thématique. Pour la poétique comme pour la rhétorique, Aristote est une référence incontournable. Sa Poétique est la plus célèbre des constructions théoriques sur les genres : la plus célèbre parce qu’elle est première, dans notre culture du moins ; mais aussi parce qu’elle fonde en quelque sorte un genre, celui de la théorie des genres. C’est donc autant la Poétique elle-même en tant que texte sur les genres que le texte de la Poétique sur les genres qui est, à ce double titre, discours fondateur. 1.Les modes platoniciens Il faut pourtant rappeler qu’Aristote n’est pas le premier à s’intéresser aux genres : si l’on veut remonter aux grands ancêtres des théories génériques, il faut commencer par Platon et sa distinction entre la diègèsis au sens strict du terme (lorsque le récit est raconté par un narrateur), et la mimèsis, dans laquelle le « récit » n’est pas raconté mais mimétique (dans le théâtre ou les dialogues). 2 Dans la République, Socrate explique ainsi à Adimante, son interlocuteur, après avoir vérifié qu’il connaît les premiers vers de l’Iliade qu’il y a une première sorte de poésie et de fiction entièrement imitative qui comprend, la tragédie et la comédie ; une deuxième où les faits sont rapportés par le poète lui-même – tu la trouveras surtout dans les dithyrambes – et enfin une troisième, formée de la combinaison des deux précédentes, en usage dans l’épopée et dans beaucoup d’autres genres. Cela dit, la théorie de Platon distingue des modes plutôt que des genres. 2.La dyade aristotélicienne Et c’est justement à partir des trois modes d’énonciation platoniciens qu’Aristote construit son célèbre système, réduisant la triade en une double dyade. Une définition purement énonciative, celle de Platon, qui distingue des catégories discursives de textes ; une définition à la fois énonciative et thématique, celle d’Aristote, qui distingue des catégories discursives et thématiques. Encore faut-il préciser aussi ce que l’on entend ici par texte : pour Platon et Aristote, il n’est question que de poésie, c’est-à-dire de textes en vers – ce qui restreint nettement le champ étudié. Aristote a par ailleurs emprunté à Platon son concept de mimèsis, au prix d’un double détournement : là où Platon considérait que seule la tragédie était mimétique, Aristote voit dans l’épopée tout autant que dans la tragédie des genres mimétiques ; là où Platon voit dans la poésie mimétique une copie dégradée du monde sensible, lui-même déjà éloigné de la vérité – ce qui justifie l’exclusion des poètes – Aristote valorise au contraire la poésie mimétique (notamment par l’idée de la catharsis), et valorise en même temps la narrativité de la poésie, voire son caractère fictionne. La « dyade » aristotélicienne (épique vs dramatique) contient en germe la valorisation excessive dont seront l’objet, en Occident, les genres qui, sans être nécessairement narratifs (au sens modal) racontent une histoire : la poésie épique, la tragédie, et plus tard, le roman. On verra cette valorisation du narratif à l’œuvre, qui n’échappe en rien – au contraire – à ce goût des histoires. 3-La triade « romantique » Il faut enfin, pour en terminer avec ce rapide panorama des cadres traditionnels, faire une place particulière à la tripartition devenue un lieu commun des classifications génériques, et qui répartit la littérature en trois « grands genres » : épique, lyrique et dramatique. À l’origine, cette triade concerne les seuls genres poétiques. Mais elle a pu facilement servir également lorsque le champ de la littérature a intégré les genres de la prose : le premier terme de la triade, l’épique, a été généralement reformulé en narratif, et assimilé au roman et aux genres proches comme la nouvelle et le conte. * Détournements d’Aristote La triade a longtemps été attribuée à Aristote, sous ce nom d’ailleurs de « triade aristotélicienne ». Mais, comme nous l’avons vu précédemment et comme Genette (1979/1986), à qui j’emprunte les précisions qui suivent, l’a magistralement démontré, la triade, théorisée essentiellement par les romantiques allemands, opère en réalité différents détournements de la théorie aristotélicienne. Deux me semblent particulièrement intéressants dans le cadre de ce travail sur la reconfiguration scolaire des genres. La première est l’intégration de la poésie lyrique, écartée par Aristote non parce qu’il l’ignore, mais parce qu’elle ne relève pas de la mimèsis. Or la triade place la poésie lyrique aux côtés des deux genres poétiques déjà définis par Aristote (la poésie dramatique et la poésie épique). Cette intégration aura des répercussions importantes sur le long terme : lorsque la triade devient un moyen de catégoriser toute la littérature, y compris en prose, l’épique se transforme en « narratif » (voire en « roman »), le dramatique 3 en « théâtre », et le lyrique en « poésie », réduisant la poésie à la seule poésie lyrique, conception qui domine actuellement, comme le rappelle Genette. Dans la mesure où toute distinction entre genres, voire entre poésie et prose, n’en est pas encore effacée, notre concept implicite de la poésie se confond bel et bien avec l’ancien concept de poésie lyrique. Le deuxième détournement est dans la lignée des réinterprétations qu’on a fait d’Aristote à toutes les époques, à commencer par Horace, mais aussi à l’époque classique, lorsque l’on redécouvre La Poétique : là où Aristote construit essentiellement une théorie de la mimèsis, les différents « arts poétiques » d’Horace à Boileau, fonctionnent davantage comme des traités proposant des préceptes, des règles pour bien écrire, induisant de ce fait une hiérarchisation des genres. Les romantiques veulent échapper aux prescriptions normatives des classiques, mais ils introduisent dans la définition du genre (notamment les romantiques allemands : Schiller, Novalis ou les frères Schlegel ) une dimension historique, faisant passer le genre du statut de catégorie « naturelle » à celui de catégorie « culturelle », voire « esthétique », pour reprendre le terme de Hegel, qui consacre dans son Esthétique une partie aux genres poétiques (Hegel 1837-1842/1997, p. 483). Or, comme le montre Genette, cette historicisation du genre entraîne une interprétation historique de la triade, et les trois termes sont pris dans une gradation, comme les trois termes d’une évolution de la littérature, tantôt favorable au lyrique, tantôt favorable à l’épique, tantôt favorable au dramatique. C’est le drame qui finit par l’emporter, et on retrouve cette relecture de la triade chez les romantiques français, en particulier chez Victor Hugo, comme en témoigne ce passage de la préface de Cromwell (Hugo 1827/1968, p. 75-76) : La poésie a trois âges, dont chacun correspond à une époque de la société : l'ode, l'épopée, le drame. Les temps primitifs sont lyriques, les temps antiques sont épiques, les temps modernes sont dramatiques. La société, en effet, commence par chanter ce qu’elle rêve, puis raconte ce qu’elle fait, et enfin se met à peindre ce qu’elle pense. Il serait conséquent d’ajouter ici que tout dans la nature et dans la vie passe par ces trois phases, du lyrique, de l’épique et du dramatique, parce que tout naît, agit et meurt. * Le rôle de Batteux Les romantiques allemands, comme l’a montré Genette (1979/1986) n’ont pas inventé la triade : ils empruntent cette répartition à certains critiques de l’époque classique, notamment à l’abbé Batteux, dont Schlegel traduit et discute en 1751 le traité des Beaux-Arts réduits à un même principe. Batteux propose en effet une théorisation de la triade à partir d’Aristote, transformant la dyade en triade : il redistribue les catégories génériques classiques en intégrant uploads/Litterature/ cours-litterature-et-epistemologie.pdf

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