Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Des

Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Des indices d’un proto-lectionnaire dans le « lectionnaire arabe » dit Coran Claude Gilliot Citer ce document / Cite this document : Gilliot Claude. Des indices d’un proto-lectionnaire dans le « lectionnaire arabe » dit Coran. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 155e année, N. 1, 2011. pp. 455-472; doi : 10.3406/crai.2011.93159 http://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_2011_num_155_1_93159 Document généré le 02/03/2018 1. Th. Nöldeke, Geschichte des Qorans, I, Über den Ursprung des Qorans, revu par Fr. Schwally, Leipzig, 19092, II, p. 33 sqq. ; J. Horovitz, Koranische Untersuchungen, Berlin/ Leipzig, 1926, p. 74 ; A. Jeffery, The Foreign Vocabulary of the Qurˆan, Baroda, 1938, p. 233-234. 2. K. Rudolph, « Die Anfänge Mohammeds im Lichte der Religionsgeschichte », dans Festschrift W. Baetke, K. Rudolph et al. (éd.), Weimar, 1966, p. 304-308 (298-326). COMMUNICATION DES INDICES D’UN PROTO-LECTIONNAIRE DANS LE « LECTIONNAIRE ARABE » DIT CORAN, PAR M. CLAUDE GILLIOT I. Introduction. Préhistoire du Coran et Antiquité tardive Pour éviter toute ambiguïté, disons que ce qui est traduit dans le titre qui précède par « lectionnaire arabe », c’est ce qui est appelé habituellement le « Coran arabe » (al-qurˆan al-¨arabi), et plus spécialement le Coran ou des parties du Coran des périodes dites mecquoises. Si l’on pense d’abord à lectionnaire, c’est que le mot qurˆan n’est pas d’origine arabe, mais vient du syriaque q¢ryana, i.e. lectionnaire, ou leçon (lectio)/lecture solennelle, avec ou sans canti- lation, d’un passage d’une Écriture. Quant à l’expression « proto- lectionnaire », elle vient à l’esprit du lecteur critique du Coran face à l’insistance de ce dernier ou de celui qui l’a composé, voire de ceux qui ont collaboré à sa composition, à se dire, ou à le dire, arabe. Y aurait-il donc eu avant lui un lectionnaire non arabe, ou à tout le moins des éléments d’un tel lectionnaire, que l’auteur ou les auteurs du lectionnaire arabe auraient connu, oralement ou par écrit, ou les deux à la fois ? C’est ainsi poser une fois de plus la question de la préhistoire du Coran et de ses sources. Par préhistoire du Coran, nous n’entendons pas d’abord ici les mots, passages ou thèmes coraniques qui sont ou auraient pu être empruntés au judaïsme, au christianisme, à diverses formes de judéo- christianisme, au manichéisme, au gnosticisme, et évidemment à « la religion patrimoniale arabe ancienne »2. Nous voulons plutôt parler de la « la terminologie musulmane savante des différentes couches 456 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS 3. G. Lüling, A Challenge to Islam for reformation. The rediscovery and reliable reconstruction of a comprehensive Pre-Islamic Christian hymnal hidden in the Koran under earliest Islamic rein- terpretations, Delhi, 2003, p. 12-13, 69, 111 ; cf. Id., Über den Ur-Qurˆan, Erlangen, 1974, p. 5-6, p. 62-63, p. 206-209. 4. Pour plus de détails et avec références, Cl. Gilliot, « Le Coran production de l’Antiquité tardive ou Mahomet interprète dans le “lectionnaire arabe” de La Mecque », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée 129, 2011, p. 31-56 ; Id., « The “collections” of the Meccan Arabic lectionary », dans The Transmission and dynamics of the textual sources of Islam. Essays in honour of Harald Motzki, N. Boeckhoff-van der Voort, K. Versteegh et J. Wagemakers (éd.), Leyde, 2011, p. 105-133 ; Id., « Mohammed’s exegetical activity in the Meccan Arabic lectionary », dans The Coming of the Comforter : When, where and to whom. Studies on the rise of Islam and various other topics in Memory of John Wansbrough, C. Segovia et B. Lourié (éd.), Piscataway NJ, 2012, p. 399-421 ; A. Neuwirth, Der Koran als Text der Spätantike. Ein europäischer Zugang, Berlin, 2010. du Coran »3 qui apparaît soit dans le Coran, soit dans la tradition musulmane ancienne. À notre avis, le Coran et la tradition interprétante des débuts de l’islam fournissent des pistes en faveur d’une semblable hypothèse, nous disons bien hypothèse, car un chercheur qui travaille avec les instruments de la méthode historico-critique et de l’herméneutique théologique des textes anciens, y compris l’analyse littéraire peut difficilement produire une thèse. La chose est évidemment diffé- rente pour les théologiens et les juristes musulmans pour lesquels le Coran est constitué des ispsissima verbi Dei, certitude que l’on laisse à la croyance, laquelle est évidemment invérifiable pour le commun des mortels. Le Coran est né dans un milieu, dans un espace culturel, en un temps donné, comme n’importe quelle autre production culturelle ou littéraire. Rien ne vient de rien, hormis la création ex nihilo par Dieu. Or cela qui est généralement accepté pour la Bible, qu’il s’agisse des Écritures vétéro-testamentaires ou néo-testamentaires, fait encore problème pour certains, dès lors qu’il est question du Coran. Cette constatation a de quoi surprendre dans la mesure où la tradition musulmane interprétante, historique, pseudo-historique, voire légen- daire, qui pourtant confesse l’origine purement divine du « lection- naire arabe » qui a nom Coran, laisse affleurer en beaucoup de ses récits ou traditions, souvent contradictoires – contradictions qui font que les chercheurs ne seront jamais au chômage –, les éléments d’une histoire du « Coran en amont » et du « Coran avant le Coran ». Rien d’étonnant à cela, dans la mesure où le Coran est une produc- tion de l’Antiquité tardive, période syncrétiste, s’il en fut4. INDICES D’UN PROTO-LECTIONNAIRE DANS LE « LECTIONNAIRE ARABE » 457 5. J. Bowman, « The Debt of Islam to Monophysite Syrian Christianity », dans Essays in Honour of Griffithes Wheeler Thatcher, E.C.B. MacLaurin (éd.), Sydney, 1967, p. 191-216 ; Id., « Holy Scriptures, lectionaries and the Qurˆan », dans International congress for the study of the Qur’an, A.H. Johns (éd.), Canberra, 19832, p. 29-37. 6. L’Évangile à partir des quatre évangiles, L’Harmonie des évangiles. H. Leclercq, « Diatessaron », Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie IV, Paris, 1921, col. 414-70 ; F. Bolgiani, « Diatessaron », Nuovo Dizionario Patristico e di Antichità Cristiane, Genève-Milan, A-E, 2006, col. 1398-1400. 7. Cl. Gilliot, « MuÌammad, le Coran et les “contraintes de l’histoire” », dans The Qur’an as text, S. Wild (éd.), Leyde, 1996, p. 26 (3-26) : « […] la possibilité n’est pas à écarter que le Coran ait été établi à l’intérieur d’un groupe dont Mahomet aurait été le parangon » ; cf. J. Van Reeth, « Le Coran et les scribes », dans Les scribes et la transmission du savoir, C. Cannuyer (éd.), Bruxelles, 2006, p. 73 (66-81), parle de « communauté sectaire, proche du monophysisme syrien radical et du manichéisme, et qui attendait la parousie dans un avenir immédiat ». De fait, comme nous le verrons, le « lectionnaire arabe » de la période mecquoise sait se faire interprète, dans le double sens d’exé- gète et de « traducteur », de passages, de logia, voire d’extraits d’Écritures ou de traditions religieuses antérieures. Bien plus, son insistance sur sa propre arabité donne à penser qu’il veut de distin- guer d’un lectionnaire ou d’éléments de lectionnaires qui, eux, n’étaient pas en arabe, ce pour quoi il nous faut d’abord passer par le détour d’une pratique connue dans l’Antiquité tardive, celle des lectionnaires en usage dans la liturgie des Églises de langue syriaque ou araméenne. II. L’usage du lectionnaire dans les chrétientés syriaques Le spécialiste des premières littératures chrétiennes, John Bowman (1916-2006)5, de l’Université de Melbourne, a attiré l’attention sur l’existence de monophysites à Najran au nord du Yémen (les martyrs de Najran sous le roi judaïsant de Îimyar, Δu Nuwas, ca. 520) et parmi les confédérations arabes, e.g. les Ghassanides, royaume dont la capitale était Îira. Pour lui, la prophé- tologie du Coran et son contenu biblique pourraient s’expliquer par le fait que Mahomet était en contact avec des jacobites (monophy- sites), chez lesquels le Diatessaron6 de Tatien (m. 170) était en usage, considéré qu’il était comme le texte normal des évangiles. Utilisant ces sources, y compris aussi des passages des évangiles dits apocryphes, Mahomet et ceux qui l’ont aidé7 auraient ainsi constitué leur propre lectionnaire (qurˆan, mot qui n’est pas arabe, mais qui vient du syriaque q¢ryana, i.e. lectionnaire), pour leurs propres besoins. 458 COMPTES RENDUS DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS 8. S.H. Griffith, « Christian lore and the Arabic Qur’an. The “Companions of the Cave” in Surat al-kahf and the Syriac tradition », dans Qur’an in Its Historical Context, G.S. Reynolds (éd.), Londres, 2007, p. 109-37 ; K. Van Bladel, « The Alexander Legend in the Qurˆan, 18 : 83-102 », ibid., p. 175-203. 9. A. Neuwirth, Der Koran als Text der Spätantike. Ein europäischer Zugang, Berlin, 2010, p. 332-393 ; Id., Studien zur Komposition des mekkanischen Suren, Berlin, 1981. Ou encore selon la « rhétorique sémitique », M. Cuypers, Le festin. Une lecture de la sourate al-Ma’ida, Paris, 2007. Les églises orientales suivaient la coutume juive de la lecture publique de l’Écriture, selon le mode du lectionnaire (kitaba d-q¢ryana), contenant des extraits de la Loi (uraitha ou ktaba d-orayta, livre de la Tora, ou Pentateuque), des livres des saints Prophètes (ktabe d-anbiye qaddishe) et uploads/Litterature/ crai-0065-0536-2011-num-155-1-93159.pdf

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