L'antiquité classique L'utilisation de la figure de Crésus dans l'idéologie ari
L'antiquité classique L'utilisation de la figure de Crésus dans l'idéologie aristocratique athénienne. Solon, Alcméon, Miltiade et le dernier roi de Lydie Alain Duplouy Citer ce document / Cite this document : Duplouy Alain. L'utilisation de la figure de Crésus dans l'idéologie aristocratique athénienne. Solon, Alcméon, Miltiade et le dernier roi de Lydie. In: L'antiquité classique, Tome 68, 1999. pp. 1-22; doi : https://doi.org/10.3406/antiq.1999.1324 https://www.persee.fr/doc/antiq_0770-2817_1999_num_68_1_1324 Fichier pdf généré le 07/04/2018 L'utilisation de la figure de Crésus dans l'idéologie aristocratique athénienne Solon, Alcméon, Miltiade et le dernier roi de Lydie" Les Histoires d'Hérodote contiennent trois récits qui évoquent les contacts privilégiés qu'aurait entretenus le dernier roi de Lydie, Crésus, avec les Athéniens Solon, Alcméon et Miltiade l'Ancien. La discussion, plusieurs fois reprise par les auteurs postérieurs, entre Solon et Crésus à propos du «bonheur» (I, 29-33) appartient au livre I et à ce qu'il est convenu d'appeler le logos de Crésus, tandis qu'il faut attendre le livre VI et le récit de la première guerre medique pour rencontrer à nouveau le Lydien et l'évocation de ses relations avec Alcméon (VI, 125) et Miltiade l'Ancien (VI, 37). Loin d'être un élément insignifiant, l'emplacement de ces épisodes au sein de l'œuvre d'Hérodote conditionna en fait, dans une large mesure, la bibliographie contemporaine : bien qu'il y fût également question du roi lydien, les exégètes traditionnels du logos de Crésus1 se préoccupèrent peu ou pas du livre VI, laissant ce soin aux historiens de l'Athènes archaïque, qui eux, en revanche, ne s'intéressaient pas directement au personnage de Crésus ni à un dialogue cherchant à déterminer «le plus heureux des hommes». L'exégèse des deux anecdotes du livre VI n'a donc jamais véritablement concerné le dernier roi de Lydie, auquel est restée attachée une vision largement préconçue du monarque oriental. À travers un réexamen de l'ensemble du volet athénien du dossier «Crésus», on s'attachera donc particulièrement à l'image que les sources classiques ont conservée d'un personnage pour lequel nous ne disposons, à l'exception de là dédicace des colonnes de l'Artémision d'Ephèse2, d'aucune source écrite contemporaine. Afin de relancer Je tiens à exprimer ici toute ma reconnaissance envers le professeur Didier Viviers, qui fut quelque part à l'origine de cette étude et qui a aimablement accepté d'en relire le manuscrit. 1 Fr. HELLMANN, Herodots Kroisos-Logos, Berlin, 1934 [réédité largement par une traduction italienne partielle : L. Belloni, L' evento di Creso : il racconto di Erodoto secondo Hellmann, dans Aevum Antiquum, 9 (1996), p. 11-48]; A. HEUSS, Motive von Herodots lydischem Logos, dans Hermes, 101 (1973), p. 385-419; A.C. Sheffield, Herodotus' Portrait of Croesus. A Study in Historical Artistry, Diss. Standfort, 1973; H. Erbse, Studien zum Verständnis Herodots, Berlin - New York, 1992, p. 10-30. 2 Hérodote (I, 92) déclare que Crésus a offert «la plupart des colonnes», ce qui fut confirmé par la découverte de la dédicace en grec (Londres, Brit. Mus. Β 16 et Β 32; I.K. XV, 1518) et vraisemblablement en lydien (LONDRES, Brit. Mus. Β 136). A. DUPLOUY l'intérêt de l'histoire de la Lydie archaïque, il nous faut en effet commencer par comprendre la place qu'occupait encore, dans la Grèce classique, un personnage mort au milieu du VIe siècle. L'histoire de Solon à Sardes est célèbre; rappelons-en cependant les traits essentiels. Lorsque l'Athénien se présenta à la cour du roi lydien, Crésus lui demanda de nommer le «plus heureux des hommes» (όλβιώτατος), pensant, grâce à sa richesse, avoir droit à ce titre; mais Solon lui préféra l'Athénien Tellos et les Argiens Cléobis et Biton, suscitant ainsi la colère du roi, qui le congédia. D'après Hérodote, Solon vint à Sardes au cours des dix années qui suivirent la promulgation de sa législation, alors que Crésus était au faîte de sa puissance (I, 29-30). La rencontre de Solon avec le roi mermnade pose bien évidemment un problème d'authenticité, puisque l'archontat de l'Athénien est fixé avec précision à l'année 594/33, alors que Crésus ne régna pas avant la fin des années 5604. Il est dès lors impossible que Solon ait rencontré Crésus au cours de son apodèmia. Plutarque (Solon, 27, 1) témoignait déjà des doutes que certains émettaient sur cet épisode en raison précisément de l'invraisemblance chronologique, choisissant, quant à lui, de croire en la véracité de ce récit si célèbre et si conforme au caractère de Solon. C'est ajuste titre que la recherche actuelle a, en grande majorité, rejeté cette entrevue comme n'étant pas historique et a mis en évidence par la même occasion la nature bien particulière du discours5. 3 DiogèNE LaëRCE I, 62 (qui précise que c'est lors de son archontat que Solon fit passer ses lois); Aristote, Const. Ath., 14, 1. - Sur la correction du texte d'Aristote, voir p. ex. T.J. Cadoux, The Athenian Archons from Kreon to Hypsichides, dans JHS, 68 (1948), p. 70-123, partie, p. 93-99. 4 La chronologie du règne de Crésus est directement liée à celle de la prise de Sardes, qui repose sur le F 28 d'Apollodore (FGrHist 244), pour lequel H. Kaletsch, Zur lydischen Chronologie, dans Historia, 7 (1958), p. 1-47, partie, p. 39-46 et A.A. Mosshammer, The Chronicle of Eusebius and Greek Chronographie Tradition, Lewisburg, 1979, p. 255- 262 et p. 346, n. 6 et 7, substituèrent à la date traditionnelle de 546/5 celle de 547/6. La durée de règne de Crésus est fixée à 15 ans par Eusèbe, mais également par le Marbre de Paros (ce qui permet de remonter cette donnée au IIIe siècle av. J.-C). Seul Hérodote (I, 86) lui en attribue 14. 5 Au prix d'incroyables détours, quelques-uns ont cependant vainement tenté de recomposer complètement l'histoire athénienne de la première moitié du VIe siècle, tantôt en contestant la validité de la date archontale, tantôt en distinguant l'archontat de la législation. Deux auteurs, en particulier, furent d'ardents défenseurs de la vraisemblance chronologique de cette rencontre : M. Miller, The Herodotean Croesus, dans Klio, 41 (1963), p. 58-94; Ead., The Accepted Date for Solon: Precise but Wrong?, dans Arethusa, 2 (1969), p. 62-86; S.S. Markianos, The Chronology of the Herodotean Solon, dans Historia, 23 (1974), p. 1-20; Id., Ή αξιοπιστία του 'Ηροδότου για τη χρονολόγηση της νομοθεσίας και της αποδημίας του Σόλωνα, dans Hellenica, 28 (1975), p. 5-28. Bien que leurs positions fussent récemment réaffirmées par W. Lapini, // POxy. 664 di Eraclide Pontico e la cronología dei Cipselidi, Florence, 1996, p. 41-57, leurs arguments princi- CRÉSUS DANS L'IDÉOLOGIE ARISTCO^mQUE ATHÉNIENNE 3 L'épisode a déjà fait l'objet de nombreuses études et il pourrait paraître inutile d'ajouter une référence supplémentaire à une bibliographie déjà longue6. Pourtant, dans ce dialogue, seuls les propos de Solon ont fait l'objet d'un examen minutieux, alors que le personnage de Crésus a finalement peu retenu l'attention des chercheurs, son rôle paraissant évident. La clé d'interprétation unanime de l'épisode fut en effet d'envisager le désaccord qui se dégage de la discussion comme le témoin d'une opposition radicale entre la sagesse grecque et l'ignorance barbare, entre le citoyen et le monarque oriental. Dès 1930, Otto Regenbogen, dans un article qui demeure l'analyse de référence, écrivait à propos de Tellos l'Athénien : Die Tellosgeschichte [...] setzt den echten Hellenen gegen den Barbaren und verherrlicht gegenüber orientalischer Pracht und asiatischem Reichtum die wahren Lebensgüter des hellenischen Mannes, d.h. des hellenischen Bürgers1. Cette position doit cependant être nuancée, car, si la discussion entre Solon et Crésus débouche effectivement sur un désaccord majeur entre les deux hommes, celui-ci ne semble nullement relever d'une opposition du type Grec - Barbare. La conception solonienne de V όλβος À travers une argumentation confuse et souvent répétitive, l'Athénien est amené à définir deux types bien distincts de «bonheur» : paux avaient été contestés par R.W. Wallace, The Date of Solon 's Reforms, dans AJAH, 8 (1983), p. 81-95, et il n'y a pas lieu de revenir sur cette question. 6 Sans aucunement prétendre à l'exhaustivité, on retiendra, en plus des références citées à la note 1 : L. Weber, Tellos, Kleobis und Biton, dans Philologus, 82 (1927), p. 154-166; O. Regenbogen, Die Geschichte von Solon und Krösus, dans Gymnasium, 41 (1930), p. 1-20 [reproduit dans W. Marg, Herodot. Eine Auswahl aus der neueren Forschung, Darmstadt, 19652, p. 375-403]; K. Nawratil, Solon bei Herodot, dans WS, 60 (1942), p. 1-8; J. Defradas, Les thèmes de la propagande delphique, Paris, 1954, p. 217-223; T. Krischer, Solon und Kroisos, dans WS, 77 (1964), p. 174-177; H.R. Immerwahr, Form and Thought in Herodotus, Cleveland, 1966, p. 154-161; Κ. von Fritz, Die griechische Geschichtsschreibung, Berlin, 1967, t. I, p. 216-223; P. Oliva, Die Geschichte von Kroisos und Solon, dans Das Altertum, 21 (1975), p. 175-191; H.-P. Stahl, Learning through Suffering? Croesus' Conversations in the History of Herodotus, dans YCIS, 24 (1975), p. 1-36; C.C. Chiasson, The Herodotean Solon, dans GRBS, 27 (1986), p. 249-262; M. Lloyd, Cleobis and Biton (Herodotus 1,31), dans Hermes, 115 (1987), p. 22-28; P. Oliva, Solon. Legende und Wirklichkeit, Constance, 1988, p. 11- 17; Tr.S. Brown, Solon and Croesus (Hdt 1.29), dans AHB, 3 (1989), p. 1-4; S.O. Shapiro, Herodotus and Solon, dans ClAnt, 15 (1996), p. 348-364. 7 O. uploads/Litterature/ creso-e-herodoto.pdf
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- Publié le Aoû 02, 2021
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