Platon et Aristote a la renaissance, ed J. C. Margolin (Vrin, 1976) I DU XVe AU

Platon et Aristote a la renaissance, ed J. C. Margolin (Vrin, 1976) I DU XVe AU XVIe SIÈCLE : PLATONISME, ARISTOTÉLISME, CHRISTIANISME PLATONISME ET ARISTOTÉLISME CHEZ NICOLAS DE CUES En inaugurant ce colloque dans un local nouveau, signe du développement promis au Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance, que notre pensée aille d'abord à Mgr Marcel, depuis le temps de Mesnard si étroitement lié à la rue Néricault-Destouches. Son souvenir reste vivant ici, et douloureuse encore son absence. Et mon second devoir, fort agréable celui-ci, est de dire toute ma gratitude à Jean- Claude Margolin, car lui seul a porté le poids d'une laborieuse préparation. Le thème retenu cette année est si vaste qu'en deux semaines il ne saurait être question de l'épuiser. Les lacunes du programme tiennent sans doute à la défection de certains spécialistes dont nous avions souhaité la collaboration. Mais tous les pressentis eussent- ils accepté de venir cet été à Tours, il aurait bien fallu qu'on limitât le nombre des exposés pour réserver un peu de place aux discussions officielles et aux entretiens privés. J'ajoute que notre propos même ne va pas sans équivoque. Certes la Renaissance a possédé plus de textes que le Moyen Age, et une meilleure connaissance du grec lui permettait un contact plus direct avec eux. Cependant le Platon et l'Aristote du xv et du xvr siècles, malaisément séparés de l'apport des interprètes et disciples (surtout latins et arabes, mais aussi helléniques), demeurent largement mythiques et symboliques. Et leur complexe influence, souvent marquée de syncrétisme, reste en symbiose avec des thèmes venus d'autres écoles antiques, avec des traditions pseudo-zoroastriennes et hermétiques, avec des gnoses grecques et juives, sans oublier cet héritage médiéval, souvent encore actif même chez ceux qui le récusent, et dont on aurait tort de limiter la survivance à celle d'une scolastique tardive (et, en Espagne notamment, fort brillante). Si tout cela est manifeste même chez un Bruno et un Campanella, que dire alors du cardinal de Cues ? Malgré des traits qui l'apparentent à un âge nouveau, par d'autres aspects (comme ce latin raboteux dont il 8 M. DE GANDIIXAC PLATON, AKiSUUTt fcl NICULAS Uli CUL5 J priait que l'excusassent ses amis italiens) il relève de cet « âge intermédiaire » (media tempestas) que son secrétaire André de Bussi devait définir, en 1469, dans un éloge funèbre qui est en même temps l'acte de naissance rétrospectif du Moyen Age. Il reste que le « Cusain » (comme nous l'appellerons souvent, pour simplifier, sur le modèle des Allemands qui disent en général « Cusanus ») annonce un nouvel esprit scientifique, prépare un radical renversement de l'ancienne cosmologie et peut passer, par son analyse de l'esprit connaissant, pour un précurseur de l'idéalisme transcendantal. Sans être lui-même helléniste, il a participé à la préparation du concile de Florence, échec œcuménique et politique, mais décisive rencontre entre le monde latin et la tradition byzantine. Sous des réserves que nous aurons à préciser, il n'est guère douteux que la pensée cusaine soit dans la ligne d'un certain « platonisme », mais qui est plus près peut-être de celui des Chartrains que de l'Académie florentine. Dans le monde latin du Moyen Age, la connaissance du grec était devenue rare, et des dialogues de Platon on ne possédait que le Timée dans la version de Chalcidius. Même lorsqu'on put lire en traduction quelques autres dialogues, on ne les fréquenta guère. Le Cusain même les connaît à peine, les cite rarement, et de manière très approximative (notamment le Ménon au chapitre 31 du De uenatione sapientiœ). Capable à la rigueur de déchiffrer quelques mots grecs, et fier de posséder lui-même quelques manuscrits byzantins, il ne peut les utiliser que dans des versions latines qui quelquefois se font attendre longuement, par exemple celle de la Théologie platonicienne de Proclus, que Balbo ne traduira qu'en 1458. En revanche il semble qu'il ait possédé assez tôt le commentaire du Parménide et YElementatio theologica (dans les versions de Moerbecke), et ses exemplaires contiennent des annotations marginales qui révèlent une lecture attentive, mais les citations explicites dans les traités du cardinal apparaissent surtout après 1459 ; avec le Pseudo-Denys (qu'il lit et relit dans la version nouvelle de Traversari, composée, semble-t-il, à sa demande), Proclus est une de ses sources essentielles quant à l'ensemble un peu composite de doctrines et de tendances qu'il attribue aux platonici (on ne doit pas négliger pourtant ce qui vient de saint Augustin et des Pères grecs). Dans ses toute dernières années, il utilisera Diogène Laërce (également traduit par Traversari). Sa connaissance d'Aristote est plus directe, surtout après 1450 lorsqu'il peut utiliser la traduction de Bessarion, mais même là ses citations sont parfois imprécises ou inexactes et il ne craint pas les exégèses accommodatrices. Ses modes d'exposition ne sont guère scolastiques, mais son vocabulaire reste en partie celui de l'Ecole, malgré force néologismes, inégalement heureux, et certaines imprécisions gênantes (à propos notamment de la coïncidence des « opposés », qui sont tantôt des « contraires », tantôt des « contradictoires »). A Né à Cues sur la Moselle en 1401, dans une famille de bourgeoisie aisée, protégée par les comtes de Manderscheid, Nikolaus Krebs (en latin Cancer de Cusa) fut-il à Deventer l'élève des Frères de la Vie Commune, adeptes de la deuotio moderna, mais éditeurs aussi des maîtres nominalistes ? Echafaudée à partir d'une clause de son testament, cette hypothèse est aujourd'hui fort contestée. Du moins on peut penser qu'en 1416, à l'université de Heidelberg où il étudia le droit, le Cusain fut en contact avec uu milieu ockhamisant, où l'on avait rompu en fait avec certains principes de la physique aristotélicienne (primat du qualitatif, coupure radicale entre-la mécanique céleste et la mécanique sublunaire, parfaite immobilité de la Terre au centre d'un univers fini), et par certains aspects de sa cosmologie et de sa mécanique, Nicolas appartient à la tradition des moderni. Et s'il ne suffit pas pour être « nominaliste » de considérer les universaux in mente comme des entia rationis, il reste significatif que le domaine où le cardinal sera le moins platonicien soit le refus d'un réalisme qui situerait dans le concret des formes intelligibles préexistantes. A Padoue, où il continue ses études, il ne semble guère marqué par l'influence averroïste. A côté du droit, il s'intéresse à la médecine, mais plus encore à la mathématique. Malgré certaines références à l'astrologie arabe (surtout dans des sermons anciens), il est fort loin du fatalisme astral. Au demeurant il éliminera vite de sa vision du monde le système des sphères cristallines et, dès 1440, dans le De docta ignorantia, il va décrire une machina mundi dont le centre est partout, la circonférence nulle part, où ni la Terre n'est astre vil ni le Soleil pure lumière. Lorsqu'il usera de cercles concentriques pour symboliser le double enveloppement du sensible par le rationnel, et du rationnel par l'intellectuel (par exemple dans son De coniecturis, écrit et remanié de 1441 à 1445), ces images n'auront aucun caractère cosmologique ; au demeurant il les corrige par le schéma de sa figure P (figura participationis) où l'on voit toutes les créatures recevant la double influence de la lumière et de l'ombre, dans le faisceau croisé de deux pyramides ayant pour pointes respectives l'unité et l'altérité (ou encore Deus et Nihil). On sait, d'autre part, que des analyses géométriques de la transmutatio l'aident à suggérer la « coïncidence des opposés », faisant ressortir l'identité du maximum et du minimum quand la circonférence devient par hypothèse celle d'un cercle de rayon infini ou quant le polygone dont croît le nombre des côtés tend à se confondre avec le cercle circonscrit. Tout cela est fort étranger à l'aristotélisme et se rattache plutôt à la réflexion eudoxienne sur les limites. Contre une certaine vision hiérarchique du monde, le Cusain évoque parfois les logoi spermatikoi du stoïcisme et, bien qu'il le fasse en termes aristotéliciens, mais utilisés d'une manière qui pose paradoxalement la simultanéité de l'acte et de la puissance (unde aiebant ueteres stoici formas omnes in possibilitate actu esse, Doct. ign., II, 8), cette audace relative (les raisons séminales de saint Augustin peuvent lui servir de garants) sera confirmée par les textes plus tardifs qui réhabilitent Epicure. Certes Nicolas de Cues est ici trompé par le texte défectueux de la Lettre à Hérodote dans la traduction latine dont il dispose ; il s'imagine qu'un ordre providentiel préside au mouvement des atomes. On jugera pourtant significatif que, dans le De uenatione sapientiœ (chap. 8 et 21), il se réfère à l'atomisme pour critiquer la théorie selon laquelle les cœlestia auraient fonction rectrice à l'égard de haec terrena, comme si « tant d'astres PLATON, ARISTOTE ET NICOLAS DE CUES 11 M. DE GANDILLAC innombrables, plus grands que cette Terre », pouvaient avoir été créés « pour ce monde terrestre ». En fait, nous le verrons, Nicolas de Cues n'a pas toujours pensé que l'aristotélisme fût incompatible avec l'idée d'une puissance divine agissant au cœur même du cosmos, et, dans sa propre perspective, les atomes d'Epicure n'auraient uploads/Litterature/ maurice-gandillac-platon-et-aristote.pdf

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