Creuse-Citron Journal de la Creuse libertaire - Spécial Gatti - Septembre 2006

Creuse-Citron Journal de la Creuse libertaire - Spécial Gatti - Septembre 2006 Les cinq noms de Résistance de Georges Guingouin… Un poème par Armand Gatti, l’homme de toutes les résistances Georges Guingouin R ésistance. Ce mot, consonnes et voyelles liées, est le gland à partir duquel se développa, suivant une logique organique, bien plus qu’une quelconque logique de hasards ou de rencontres ; le lacis des racines correspondant à celui de la ramure de ce que fut le destin de Georges Guingouin : un destin d’Arbre. L’embranchement majeur se produit le 23 août 1940. Georges Guingouin, jeune instituteur communiste de 27 ans, mobilisé en 39, puis blessé, s’évade de l’hôpital. Il aurait pu rester, comme tous les autres, dans sa chambrée. Il ne l’a pas fait. Il revient dans son Limousin natal, et y organise dès juillet, la résistance. Avril 41 : il prend le maquis (comme on prend la mer ou le large…) devenant ainsi le « premier maquisard de France ». Tout s’enchaîne alors : sabotages, création des Francs Tireurs,… jusqu’à la sommation de la direction du Parti Communiste d’arrêter son action ! Dorénavant, Guingouin (sa brigade a été comparée à la colonne Durruti, du nom du célèbre « leader » anarcho-syndicaliste mort sur le front de Madrid durant la révolution espagnole de 36) dirigera la lutte des Francs Tireurs en solitaire jusqu’à la victoire du Mont Gargan. C’est la seule victoire de la Résistance face à une armée conventionnelle incroyablement puissante, alors que les « officiels d’Etat » s’obstinent à ne graver dans la mémoire collective que de grandes défaites ou trahisons comme celle du Vercors. Août 44 : contre les ordres de la direction communiste, Guingouin décide seul du moment de la libération de Limoges qui devient « capitale du maquis ». Il y sera élu maire de 45 à 47. Commence alors contre lui une véritable chasse à l’homme : tout faire pour déraciner l’Arbre. Vont s’allier toutes les forces politiques de gauche (le PC n’étant pas le dernier !) et de droite. Prison, tentative d’assassinat dans sa cellule (maquillée en tentative de suicide), déferlement de calomnies, de boue, de haine,… Guingouin sera sauvé de justesse par la mobilisation d’anciens résistants enfin alertés : c’est le non-lieu. Il reprendra son activité d’instituteur jusqu’à sa retraite sans avoir jamais reculé sur les principes qui ont fait de lui… un Arbre. HC / FL Armand Gatti P oète, résistant, journaliste, écrivain, homme de théâtre, penseur et homme d’action libertaire, Gatti croisa en toute familiarité Mao ou le Che dans l’incroyable périple qu’est sa vie. Grand nomade et aventurier dans le vingtième siècle, Gatti reste ce fils de balayeur anarchiste, italien, immigré, attaché de toutes ses fibres à l’âme noble de ces gens de peu (il dit « mes morts ») qui constituent en silence l’histoire humaine dans ce qu’elle a de meilleur. Comme ce père Elie, paysan de Tarnac, qui le recueillit alors qu’il débarquait en 1942 à 16 ans sur nos hautes terres limousines pour entrer en Résistance, lavallière au col, livres plein la valise et tête dans les étoiles. Tout a donc commencé ici, dans la forêt de la Berbeyrolle sur ce plateau de Millevaches où contre toute raison , il retournera à pied en pleine guerre, depuis le nord de l’Allemagne, évadé fin 1943 du camp de concentration où il avait été déporté. Revenu en son maquis, le jeune homme, autant indomptable qu’étonnant, s’engagera comme parachutiste dans les SAS britanniques avec lesquels il finira la guerre. Puis ce fut le journaliste (prix Albert Londres en 1954), l’homme de théâtre, le cinéaste (prix de la critique du festival de Cannes 1961 avec « L’enclos »), le poète engagé (« surchauffé » aux dires franquistes d’un De Gaulle méprisant et ignorant), enfin celui qui, après 1968, n’écrira plus et ne fera plus de représentations comme avant, au temps de ses débuts avec Jean Vilar et le TNP. Ce sera alors la rencontre et le travail artistique avec les « loulous » des cités, loin de ces institutions culturelles étouffantes ; mais aussi l’utilisation des langages et théories de la science d’aujourd’hui avec ce qu’ils ouvrent comme possibles, comme champs de recherches et de créations. Et maintenant un poème-fleuve sur les résistances, immuables bulles de révolte qu’aucune autorité n’a jamais pu empêcher d’éclater . Autant de jalons d’une histoire sociale qui n’est pas prête de s’arrêter. FJ / FL De la Résistance d’hier à celles d’aujourd’hui M akno (anarchiste ukrainien qui dut lutter pendant la révolution russe, aussi bien contre les russes blancs que les russes rouges !) ne disait-il pas que la nature de l’homme est anarchiste ? C’est une position généreuse qui ressemble bien à Makhno. Mais je ne sais pas définir la nature de l’homme. Sur ce point, j’ai un autre élément de réponse. Je pense que nous sommes nés de l’agonie d’une étoile. L’agonie n’est pas encore terminée puisqu’un jour tout va peut-être se dissoudre. Mais je vois bien tous ces morceaux épars dans l’Univers, toutes ces particules qui cherchent l’étoile primitive. Nous sommes tous des éléments de cette agonie. Des naufragés du temps et de l’espace. Et seul le verbe peut nous aider à retrouver l’éclat défunt de cette étoile. Nous parlerons souvent de l’anarchie, mais c’est tout de même ton père qui pose la première pierre. (…) il pose non seulement la première pierre de l’anarchie mais aussi de la poésie. Je me souviens du jour où il a voulu éventrer le ciel avec son couteau, un soir d’orage. (…) c’est lui qui venait me chercher le soir à l’école. C’était tout un trajet rempli d’histoires extraordinaires. J’en garde un souvenir inoubliable. Mon père a rempli mon enfance d’histoires, de mots, de contes fantastiques. A tel point que devant son cercueil – un jour de grève, la police lui a fracassé le crâne—j’ai dit « papa, tu sais, toutes les histoires que tu m’as racontées, je les raconterai un jour. Elles ne sont pas mortes ». Ce sont les derniers mots que je lui ai adressés. Tu vois, si j’ai écrit, c’est aussi pour ne pas laisser mourir le message de mon père. Tes résistants sont souvent des femmes ou des hommes de lettres… Oui, mais ce n’est pas un hasard. Même Makhno a écrit de belles choses. Il raconte d’ailleurs qu’un jour dans la campagne russe, il a vu un homme tuer un chien sous les yeux d’un enfant. Et Makhno a eu ces mots étonnants : ce n’est pas le chien que vous avez tué. C’est le chien qui est en l’enfant que vous avez assassiné. Hier, le Che nous parlait de la lune, aujourd’hui Marcos s’intéresse souvent aux étoiles. C’est dans leurs mots que l’on retrouve toute la générosité de leurs aventures. La parole de l’homme est-elle toujours errante ? Elle doit. Si elle s’arrête, elle meurt. A vrai dire, le point final n’existe pas. » Te demandes-tu aujourd’hui pourquoi tu écris ? Ma réponse est simple. J’écris pour rajouter un livre de plus sur la barricade de Madrid. Celle sur laquelle tous les membres de la Makhnovtchina (mouvement de Makhno) ont trouvé la mort en pleine guerre d’Espagne. Je veux être un livre supplémentaire sur cette barricade. Et puis quand j’écris, je ne cesse de m’adresser toujours à la même cause : je tente de combler ce creux laissé par un million cinq cent mille enfants juifs assassinés. Je souhaite un jour présenter les deux mille jouets abandonnés devant les chambres à gaz. Personne ne doit oublier cette petite fille qui avait cousu sur la robe de sa poupée, une étoile jaune, pensant ainsi qu’elle n’en serait jamais séparée. Entretiens avec Armand (Dante) Gatti (1997) tirés de La poésie de l’étoile édité par Descartes et Compagnie Les armes de Dante : des mots pour forger les résistances universelles « (Il existait à Limoges) un mouvement associatif très puissant avant la Deuxième Guerre mondiale avec l’Union, ses nombreuses succursales, ses centres de culture, notamment le Ciné-Union d’où partit, le 12 février 1934, l’imposante manifestation antifasciste. Ce mouvement associatif gagna la campagne et nous vîmes se créer des syndicats de paysans pour la vente et la livraison d’engrais, ainsi que pour l’organisation des battages. De sorte que, dans toutes les communes de la région, les battages s’effectuaient sous l’égide de ces syndicats. (…) C’est cette idée d’émancipation que je repris, plus tard, quand, maire de Limoges, à la Libération, je mis en autogestion ouvrière l’imprimerie Lefort-Lavauzelle dont le patron était un ancien conseiller de Pétain. C’est également dans le même esprit que le docteur Gagne, à mon exemple, mit en autogestion ouvrière neuf usines de Montluçon. Ce fut d’ailleurs un mouvement spontané qui se propagea dans toute la France. » (…) « Le problème est de préparer le mouvement réel en donnant plus d’intelligence – de cervelle – aux hommes. Il n’y a pas d’autre solution.(…) Mais si nous savons qu’il faut absolument semer de l’intelligence, par contre il est impossible de prévoir ce qui en résultera. 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