47 Joanna Pychowska Université Pédagogique de Cracovie, Pologne Résumé : Henry

47 Joanna Pychowska Université Pédagogique de Cracovie, Pologne Résumé : Henry Bauchau, écrivain contemporain belge, prend souvent pour thèmes de ses écritures des mythes et des archétypes. Dans cet article nous analysons sa version du mythe d’Œdipe, proposée aux lecteurs dans le roman Œdipe sur la route. Œdipe aveugle, accompagné d’Antigone, part en quête d’identité. Dans son chemin labyrinthique et sinueux il a pourtant la chance de rencontrer l’Autre qui le réconforte et qui est souvent, comme lui, à la recherche du destin idéal. La voie d’Œdipe est étroitement liée avec l’Art - le dessin, la sculpture, le chant, la danse - qui possède une valeur cathartique. Pourtant, vers la fin de son pèlerinage, c’est l’écriture qui s’avère être un Art Suprême. Mots-clés : mythe, chemin labyrinthique, identité, autre, art, écriture Abstract : The theme of contemporary Belgian writer Henry Bachau’s works often employs myths and archetypes. The article analyses Bachau’s version of the Oedipus myth as told in his novel Oedipus on the road. Accompanied by Antigone, the blind Oedipus sets off on a pilgrimage in search of his identity. However, on his labyrinthine way he fortunately meets the Other, who support his endeavour and who also tries to achieve an ideal. Oedipus’s travels are closely related to Art (drawing, sculpture, singing, dancing) with its cathartic value. At the end of the journey though it is writing which turns out to be the highest form of Art. Key words : myth, labyrinth way, identity, the other, art, writing Henry Bauchau, écrivain contemporain belge de langue française, né en 1913, puise dans des mythes et des archétypes pour présenter et analyser le destin de l’Homme. L’auteur dira dans un entretien avec Nancy Huston : « [...] la vie humaine est aveugle [mais il y a] une voix intérieure qui nous guide » (Bauchau, 1999 : 37). Ses personnages romanesques sont tous à la recherche de l’équilibre dans la vie. À propos de son roman Œdipe sur la route, Bauchau lui-même expliquera : « Œdipe sur la route n’est pas une course, personne n’y perd souffle, c’est une longue marche vers la vie intérieure » (Stan, 2005 : 322-323). Nous allons analyser le long chemin labyrinthique d’Œdipe aveugle qui est parti de Thèbes (un an après le désastre) vers Colone en quête d’identité. Ce sera également une réflexion sur l’espace sacré de la rencontre avec l’Autre ainsi que sur le temps mythique De Thèbes à Colone, un récit parabolique de l’existence humaine (Henry Bauchau, Œdipe sur la route) Synergies Pologne n° 8 - 2011 pp. 47-53 48 du dialogue qui aide dans la découverte de soi. Le cheminement éternel d’Œdipe est lié étroitement avec l’espace sacré de l’Art : le chant, la danse, la sculpture et, finalement, comme aboutissement, l’écriture. Œdipe sur la route serait, d’après Robert Jouanny, un « récit d’une thérapie en forme de parabole, dotée d’une valeur exemplaire, mais non contraignante, de l’aventure héroïque d’un homme qui se découvre anti-héros, pour mieux assumer, librement, son destin héroïque » (Jouanny, 1993 : 311). Bien qu’il s’inscrive dans une tradition millénaire, ce roman est, comme le remarque Jouanny (1993 : 289), d’une extrême modernité, aussi bien par sa structure que son écriture. Déjà Apollinaire, dans Zone, semblait persuader le lecteur que tout ce qui était éternel était actuel, moderne. Tandis que Tournier nous rappelle que « l’homme ne s’arrache à l’animalité que grâce à la mythologie. L’homme n’est qu’un animal mythologique », mais, d’autre part, pour ne pas rester figés, sclérosés, morts « les mythes [...] ont besoin d’être irrigués et renouvelés » (Tournier , 1977 : 191-193). La structure labyrinthique du roman possède un but bien précis, à savoir « traduire l’errance comme réalité et comme symbole et d’accumuler des signes qui sont comme autant de signaux » (Jouanny, 1993 : 295). La narration apparaît également labyrinthique. Il y a plusieurs narrateurs, et trois récits « à tiroirs » dont chacun ajoute de nouvelles significations symboliques aux aventures d’Œdipe poursuivant sa route de Thèbes vers Athènes. (Dans l’un de ces récits, une mise en abyme « classique », Œdipe raconte une aventure de sa jeunesse, la traversée du Labyrinthe et la rencontre avec le Minotaure.) Par contre, le style du roman est plutôt classique, nous y voyons peu de liens de subordination, les phrases sont plutôt simples bien que très poétiques. On dirait « l’évidence » du style biblique. Gaston Bachelard1 souligne que « Le chemin des initiations est toujours un labyrinthe » (Bachelard, 1964 : 225). Œdipe, accompagné d’Antigone et de Clios, ancien bandit, continue « sa marche inexorable [dans laquelle] il ne tient pas compte des chemins ni des obstacles [...] en suivant une route invisible » (Bauchau, 1990 : 47). Antigone l’explique à Diotime : « Où veut-il aller ? – Il ne sait pas, il dit parfois n’importe où, parfois nulle part, mais il marche, il marche tout le jour. Toujours tout droit » (Bauchau, 1990 : 50). La structure de son parcours est paradoxale : il ne sait plus où il va, par des sentiers sinueux, rudes, franchit des obstacles, glisse dans des abîmes, se cache dans des grottes, revient aux mêmes endroits et finalement le chemin s’avère être une ligne droite. Nous avons envie de dire, que l’auteur nous suggère, que dans la vie l’essentiel est de marcher, d’avancer, de refuser surtout la stagnation, l’inertie. La place d’Œdipe est sur la route, il doit « obéir » à la route, même s’il ne la connaît pas. Comme l’a compris à un certain moment Constance (Bauchau, 1990 : 250), un des personnages rencontrés, la route d’Œdipe qui a pris la forme d’ « un vaste labyrinthe dont il est seul à éprouver les aspérités et les risques » (Bauchau, 1990 : 270) ne peut pas s’arrêter avant qu’il ne sorte de son labyrinthe intérieur. Le roi banni se voit lui-même comme « ce pesant magma, ces labyrinthes inutiles qui forment ce que les autres et moi-même appelons Œdipe » (Bauchau, 1990 : 273). Józef Tischner2, représentant de la philosophie du dialogue, dira que dans un dialogue il faut toujours montrer, « apporter » son visage. « Tu ne peux pas y entrer comme un magma », nous avertit le grand philosophe (Tischner, 2000 : 141). Synergies Pologne n° 8 - 2011 pp. 47-53 49 Ainsi au début de leur errance, Œdipe-mendiant explique à Antigone : « Je demande du pain et je dis ce qui est » (Bauchau, 1990 : 17). Un peu plus tard, ce « tyran de lui- même » (Bauchau, 1990 : 143) demandera aux habitants des quatre coins du monde de l’« accueillir à nouveau comme un suppliant, un aveugle et un homme parmi les autres hommes » (Bauchau, 1990 : 143). Il dévoile son identité courageusement, assumant les risques d’être rejeté, repoussé, humilié. Et justement, petit à petit, Œdipe comprendra que « plus on cherche à posséder l’espace extérieur, plus on se voit intérieurement anéanti » (Watthee-Delmotte, 2001 : 40). Œdipe aveugle, secouru par Antigone (surtout) ainsi que par d’autres personnages aura la chance de « voir », d’évoluer et d’accepter son destin, de trouver, de découvrir son identité après de multiples épreuves erratiques. Comme le dit Kapuściński (2007 : 12), la route de chaque homme est importante parce que chaque pas le rapproche de la rencontre avec l’Autre. L’expérience de la rencontre cache en soi la force, c’est quelque chose d’autre qu’un simple contact avec l’Autre : c’est un événement, dira Tischner (1993 : 512). Tandis que le dialogue, nous persuade le philosophe polonais, aide à déterminer les limites, à percevoir les différences entre le vrai visage de l’homme (l’icône) et son masque (le fantôme) (Tischner, 1993 : 520). Il est donc évident que cet espace labyrinthique d’Œdipe est aussi étroitement lié avec d’autres personnages, ainsi leur sert-il également de terrain d’action où ils passent par des épreuves pour assumer finalement leurs personnalités. L’abondance des pronoms personnels-sujets est presque obsédante, ce qui nous suggère que ces hommes-là sont tous, tout le temps, à la recherche de leur identité (Jouanny, 1993 : 302). Concentrons- nous maintenant sur le rôle des deux personnages qui accompagnent Œdipe dans son pèlerinage et de ceux, rencontrés sur la route. Œdipe quitte Thèbes accompagné d’Antigone, celle-ci persuadée qu’elle doit suivre son père, son frère « vers ce gouffre sombre sur lequel Œdipe est penché » (Bauchau, 1990 : 19), c’est-à-dire partager son destin. Antigone, comme d’autres Antigones littéraires à travers les siècles, incarne l’amour–même. « Il y a quelqu’un qui nous aime, parce qu’il y a Antigone » (Bauchau, 1990 : 179), dira à un certain moment Clios. Elle s’occupe de Clios et d’Œdipe un peu comme une mère « ils la suivent comme deux enfants » (Bauchau, 1990 : 95), elle les accompagne et les renforce dans leurs recherches identitaires. Pourtant, elle aussi a des moments de doutes, elle ne sait plus « qui elle est » (Bauchau, 1990 : 184). Amoureuse de Clios, désirée et aimée par Clios elle nous paraît plus uploads/Litterature/ oedipe-chapter-3.pdf

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