Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 2009 Ce document est protég

Tous droits réservés © Cahiers de théâtre Jeu inc., 2009 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 24 sept. 2021 18:00 Jeu Revue de théâtre Danse avec le conte Guylaine Massoutre Conte et conteurs Numéro 131 (2), 2009 URI : https://id.erudit.org/iderudit/1283ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Cahiers de théâtre Jeu inc. ISSN 0382-0335 (imprimé) 1923-2578 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Massoutre, G. (2009). Danse avec le conte. Jeu, (131), 136–142. Dossier Conte et conteurs • GUYLAINE MASSOUTRE DANSE AVEC LE CONTE La fiction narrée se présente sous mille formes, parmi lesquelles les contes. Et dans ces contes, la forêt des mots s'écarte parfois, pour qu'une parade advienne dans la clairière. Comme si danser était un détail hyperbolique, échappé de la gestuelle éludée du conteur, le recours du conte à la danse est réversible : telle que jadis, en ses intermèdes dansés, la comédie classique se don- nait un autre tour, la danse actuelle marie sa sobriété, forte de la présence de l'interprète, à la récitation monologique et poétique du conteur, lequel ne s'interdit nullement de soulever son rêve du dedans. Ils sont nombreux, ces performeurs sans complexe - comme Cindy Sherman, experte en mé- tamorphoses, ou Jan Fabre, touche-à-tout des décalages provocants, ou Sophie Calle, en Belle au bois dormant installée dans un lit de princesse au sommet de la tour Eiffel, qui y écoutait des contes lors d'une Nuit blanche en 2003 - à avoir détourné le mode oral de la littérature en matériau intime de leur art. Louise Bourgeois et Annette Messager, artistes visuelles, ont mis en abyme la vie d'enfant dans leurs performances. En aérant l'anecdote autobiographique et leurs âmes angoissées par des incursions dans le domaine imprenable des contes, elles ont surexposé leur art aux fantasmes immémoriaux. De même, l'expression dansée du conte, faisant fi de sa tradition statique, déconstruit la présence et le geste. On y joue entre la surprise et la dé- monstration, car, en soutenant l'activité corporelle d'une trame narrative, on fait davantage que placer de la musique en bruit de fond. 136 jeu 1 3 1 / 2009.2 TABLEAUX VIVANTS QUI PARLENT Dans/e suis sang (conte de fées médiéval) (2001), présenté à Avignon, Fabre livrait sa version chorégraphique d'un archétype médiéval, conté en images vivantes et en puissants tableaux. Dans l'Histoire des larmes et la Vérité nue, installations vivantes de sa compagnie théâtrale Troubleyn/Jan Fabre, il jouait avec des univers clownesques et grandguignolesques. Ses cha- rivaris postmodernes accompagnent de grands jets critiques : la culture populaire s'y entrelace à des narrations dansées et à des danses narratives, sur une voie qu'on dirait issue de Warhol et prolongée dans l'esprit de Forsythe, tandis qu'une déconstruction politique, ironique et es- thétique y trouve son plaisir et son sens. Le chorégraphe pousse ainsi la recherche organique, où sa curiosité, telle celle du Chaperon rouge, guide l'improvisation et l'expérimentation jusqu'à confronter les loups. Ainsi retrouve-t-on le conte : à faire confluer la peinture, le cinéma, l'anatomie du corps humain, l'écriture et la performance dansée, la parole archétypale s'éveille dans l'imaginaire. Inversement, les structures héritées du conte fournissent un cadre commode pour magnifier le moi créateur et dansant, au même titre que les images d'art (publicités, tableaux, natures mortes, etc.) offrent un réservoir sans fin d'épisodes drôles, dramatiques ou oniriques, qui inspirent les danses et les fictions. Autre figure incontournable des danses avec le conte : mythomanie, obsessions, fantasmagories, Pina Bausch a présenté des mémoires vives en patchwork, comme ce Barbe-Bleue de 1977. Comme Forsythe et Fabre, Bausch crée un théâtre dansé, affranchi de la cohérence narrative. La narration n'y occupe plus la place primordiale, mais elle complémente les arts du corps, démentant alors les principes de Propp et ses invariants du conte : on peut danser les contes populaires, le merveilleux et l'effroi, en bouleversant séquences, personnages, fonctions ; le motif est conservé, la transgression revue et repensée. Je suis sang (conte de fées médiéval) de Jan Fabre (2001). Sur la photo (à l'avant-plan) : Heike Langsdorf et Cedrick Charron. © Wonge Bergmann. j e u 131/ 2009.2 137 Du Lac des cygnes à Giselle, le livret classique offre le support sur lequel se greffe la danse. L'art contemporain la libère du conte : on comprend que ce sont les interprètes qui font l'art du conte : ils livrent en scène plus que des personnages, eux-mêmes singuliers, travestissant l'histoire de leur propre humanité. Une fois les conventions ôtées et le magistère gommé, la perception simultanée et librement recomposée tant par le chorégraphe que par le spectateur autorise les chorégraphes à puiser librement dans le répertoire généreux des contes, à leurs referents mons- trueux à l'histoire réelle, comme aux faits de société et aux mésaventures de la vie. Sur les glaces du Labrador de Sarah Chase (Montréal Danse, 2008). Sur la photo (à Tavant-plan) : Benoît Leduc. © Valérie Simmons. CONTES DANSÉS AU QUÉBEC En danse contemporaine, la matière organique du corps interne est parfois si brute qu'un sous-texte semble animer sa fébrilité, sa motricité créatrice. Objet inquiétant, puisque l'oeil est impuissant à accéder à ces réalités vivantes, l'impression d'une réalité vécue, une mémoire urbaine, déporte l'imaginaire corporel vers notre souvenir des contes. Telle est l'expérience intime et mystérieuse, proposée par Alain Francœur et Dominique Porte dans Un homme et une femme, créé en 2007 sur l'opéra Barbe-Bleue de Bartok (1918), d'après le livret de Balâzs. Comme si une histoire était sur le point de se dire, les corps dansants se meuvent dans un espace interne contraint, minimal, informulé, que la collectivité sensible perçoit comme atteint, par- fois blessé et chargé. La danse questionne subtilement cette présence au monde. Des énergies grondantes y déploient des rituels sobres et des énergies individualisées, qui mettent en place des dispositifs radicaux d'affirmation de soi, sans qu'il soit nécessaire que les interprètes in- teragissent en scène. On a affaire à un spectacle dirigé vers le public, qui fait sentir chaque être, par son corps à l'écoute de l'étrangeté musicale. La peur, la crainte, la curiosité, le danger dans le conte de Barbe-Bleue font imaginer les forces perçues dans cet environnement chargé. Avec ces artistes inspirés par des états latents, toujours justes, jamais démonstratifs ni illustratifs, on plonge à l'intérieur des grandes constellations d'angoisses inconscientes, dans le labyrinthe des châteaux, entre les portes ouvertes et fermées, au cœur des relations impossibles et hostiles entre un châtelain moult fois veuf et sa jeune épouse, qui découvre les vestiges de secrets venus d'un mystère très ancien. Bird, de la Canadienne Sarah Chase, présenté par Danse Danse en 2005, a été un autre moment inoubliable d'imaginaire et de sensibilité sociale, une autofiction délicatement contée et dansée, en un art hybride de spoken words, moins illustratif qu'intime et personnel. On l'a revue, captivante, au FTA en 2007, dans A Certain Braided History, partageant une double histoire d'enfance croisée avec l'interprète Andrea Nann. En 2008, elle est revenue à Montréal, invitée par Montréal Danse, diriger et présenter Sur les glaces du Labrador, sa dernière complicité, fort réussie, entre danse, interprètes et univers conté - un domaine que lui a ouvert, disait-elle, Benoît Lachambre. La chorégraphe s'est dotée d'un langage gestuel qui évoque en silence ce qu'elle narre avec un naturel égal à son aisance : sa vie, des anecdotes, des histoires entendues, celles qui l'environnent. Dans sa dernière pièce, sept interprètes, Dominic Caron, Maryse Carrier, Annik Hamel, Rachel Harris, Benoît Leduc, Manon Levac et Frédéric Marier, en- dossent cette esthétique de maturité : ils racontent et dansent, chacun pour soi, un épisode marquant de leur vie. Pour Hamel, c'est l'image de son père aviateur qui est venue ; dans un conte d'enfance, Leduc s'est déjà pris pour un shogun, malgré son diabète ; Levac et Carrier se sont tournées vers la chanson. Marier a eu un grand-père sauveteur d'aviateurs, par exemple. Mémoire et monologues disparates cherchent l'émotion dans le corps, une ethnologie incarnée par la présence active, les hasards qui se recoupent, les partages inouïs. Tout solo a un aspect de conte. L'attention qu'il requiert ressemble à l'écoute des non-dits lors d'un dévoilement intime. Lorsque Sarah Chase chorégraphie The Disappearance of Right and Left, une pièce écrite et interprétée par Peggy Baker, au premier Festival TransAmérique 138 j e u 131 / 2009.2 de mai 2007, la superbe danseuse torontoise, qui évoque douze moments-clés de sa vie, dont l'accouchement de sa sœur, range sa parole du côté de la gestuelle sobre qui ébranle son corps majes- tueux en motions minimalistes. On retrouve en elle, ressuscité par Chase, son ancienne élève, un goût du théâtre vers lequel Baker s'était initialement dirigée avant de devenir danseuse. uploads/Litterature/ danse-avec-le-conte.pdf

  • 33
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager