DARCOS, Xavier. Histoire de la littérature française. Paris: Hachette Éducation
DARCOS, Xavier. Histoire de la littérature française. Paris: Hachette Éducation, 1992. “Le XXe siècle a vu la mise en application à grande échelle de divers systèmes idéologiques (marxisme, capitalisme, fascisme) et il en a perçu les faiblesses ou l’effondrement. L’écrivain ne peut s’abstraire de l’Histoire, mais il prétend aussi garder ses distances. D’où un incessant va-et-vient entre des prises de positions contradictoires. Barrès ou Gide, qui firent d’abord l’apologie du « moi » et même d’une sorte d’égoïsme narquois, évoluent l’un en chantre du nationalisme, l’autre en sympathisant communiste. Camus, tenté par le plaisir de vivre ou par l’indifférence, proclame que l’écrivain est « embarqué » et qu’il doit parler pour les hommes sans voix. Les principaux surréalistes, jouisseurs débridés et iconoclastes, seront bientôt des militants sourcilleux, s’excluant les uns les autres. Céline, dénonciateur de la bêtise universelle, sombre dans un antisémitisme virulent. Sartre, en ce sens, n’a pas tort d’ironiser, dans Les Mots, sur la difficulté d’échapper à divers conditionnements sociaux et à la « mauvaise foi ». Ces flottements ne sont pas seulement liés à des versatilités militantistes. Pour rester proche d’un public large, l’écrivain est attentif aux mouvements d’opinion. Il veut être lu, reconnu. La communication de masse (télévision surtout) implique souvent quelque compromission. Enfin, après 1950, les grands maîtres à penser sont morts ou s’effacent : les grands systèmes philosophiques cédent la place au « bricolage » des sciences humaines. Certes, on peut vivre en retrait et se taire. Certains créateurs fuient les prix et les séances officielles, élaborant une œuvre secrète et forte qui s’impose lentement (Gracq, Leiris, Cioran). Mais ce mutisme est encore suspect, car qui ne dit mot consent. Les horreurs de ce siècle font de l’indifférence une indécence.” (DARCOS, Xavier. Histoire de la littérature française. Paris: Hachette Éducation, 1992, p. 363) “Paradoxalement, ce ne sont pourtant pas les idées qui ont fait évoluer la littérature. Les auteurs « à thèse » restent fort classiques dans la forme. D’autre part, face aux aberrations idéologiques, l’écrivain se détourne des idées pour de nouveaux savoirs. Le cinéma exerce par là une double influence : il imprime ses méthodes à l’écriture, notamment romanesque, et il sert de moyen d’expression à des écrivains (Malraux, Duras, Robbe-Grillet). De même l’ère de la relativité se traduit-elle par une nouvelle conception du temps e de l’espace dans le roman (le Nouveau Roman). C’est surtout entre les sciences humaines et la littérature qu’un | rapprochement s’opère, soit que des chercheurs écrivent avec talent (Lévi-Strauss), soit que les auteurs — et plus encore les critiques — exploitent de nouveaux moyens d’investigation (psychanalyse, grammatologie). Ce rapprochement, cette fusion sont tels que les grands mouvements littéraires du XXe siècle sont désignés par des étiquettes venues d’autres domaines : existentialisme (philosophie) ou structuralisme (psychologie, anthropologie). C’est la linguistique qui va surtout peser sur l’écriture littéraire. L’artiste se veut un analyste patient des structures du langage (Valéry) ou un virtuose des mots (Queneau). La création littéraire devient ainsi une partition à déchiffrer. La poésie fait rendre gorge à la syntaxe et au mot. La notion même de « message » disparaît : le lecteur est invité à édifier des sens à son gré. Une conception neuve, active, de la lecture se dessine. Les excès de ces expérimentations ont cependant lassé : la « postmodernité » de la fin du siècle réclame un retour au réel. L’accès aux textes antérieurs donne le vertige. L’écrivain sait bien que d’autres ont écrit avant lui. Certains pensent qu’il n’y a rien de neuf à dire, sinon ce rien lui- même. Ainsi préfère-t-on « réécrire », au besoin en parodiant (Proust, Tardieu) ou en réactivant des mythes (Tournier). Le « génie » personnel est englouti dans une vaste « intertextualité » : tout texte se relie à quelque autre. Ces vues « structuralistes» expliquent pourquoi ce siècle est celui de la critique, pour laquelle l’œuvre est un rébus. Elle devient un genre littéraire à part entière, fort savant.” (DARCOS, Xavier. Histoire de la littérature française. Paris: Hachette Éducation, 1992, p. 363-364) “L’existentialisme en littérature Introduit en France par le « personnaliste » Gabriel Marcel (Être et avoir, 1937), l’existentialisme, dans as version athée, repose sur l’idée que l’existence | ne se déduit pas. Elle n’est ni à démontrer, ni justifiée : elle surgit, s’impose. L’homme, pour donner un sens à sa vie, ne peut compter que sur lui-même, sur sa responsabilité, sur la liberté de ses engagements. Plongé dans un monde matériel et historique qui définit sa « situation », l’individu est confronté à une réalité objective opaque, impénetrable. Livré à lui-même, sans secours, l’homme perçoit l’existence comme une angoisse, un abandon à la solitude (« déréliction »). Pour ne pas sombrer dans le désespoir ou dans des rêveries chimériques, il faut tâcher de devenir soi-même, en inventant à chaque instant sa dignité et sa morale : L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. On voit d’emblée qu’une telle vision conditionne une fonction à l’écriture, forme de l’engagement inévitable. Sartre veut rappeler l’écrivain à son devoir (Qu’est-ce que la littérature?) et refuse le livre comme divertissement (ou mauvais foi). Sartre et Camus pratiquent, dans ce but, tous les genres, mais ils ne perdent jamais de vue l’actualité (Actuelles de Camus, Situations de Sartre). Car, selon un titre sartrien, L’Existentialisme est un humanisme (1946).” (DARCOS, Xavier. Histoire de la littérature française. Paris: Hachette Éducation, 1992, p. 400-401) “Sartre Grâce à son autobiographie, Les mots (1964), nous savons comment Jean-Paul Sartre (1905-1980), jeune bourgeois orphelin, brillant élève, s’est peu à peu insurgé contre son milieu. Ce schéma d’une découverte de la révolte est celui de presque tous ses romans. Par exemple, La Nausée (1938) montre, sous la forme d’un journal intime, un personnage (Roquentin) qui éprouve l’absurdité nauséeuse du monde. Les choses provoquent en lui la sensation d’une putréfaction molle et envahissante. Cette plongée dans le vécu ne trouve sa contrepartie, finalement, que dans le projet d’écrire un roman, pour transformer le vide et la crise en œuvre d’art. Cette idée « proustienne » de l’écriture salvatrice disparaîtra même dans les œuvres suivantes de Sartre. Car Sartre voit bien que fuir l’existence est illusion. Les cinq nouvelles du Mur (1939) montrent des personnages marginaux (condamné à mort, déséquilibrés sexuels, fou) qui s’aveuglent sur leur destin. D’autres s’inventent une fausse personnalité, se complaisent dans l’image que le regard des autres leur renvoie d’eux-mêmes. Sartre nomme salauds ces êtres inauthentiques qui peuvent, au besoin, s’afficher fascistes ou antisémites (L’enfance d’un chef) pour se donner une consistance. Enfin, la somme inachevée des Chemins de la liberté (L’âge de raison, 1945; Le sursis, 1946; La mort dans l’âme, 1949) montre qu’il reste au moins des choix et des actes pour substituer à une contingence absurde un refus fondateur de liberté.” (DARCOS, Xavier. Histoire de la littérature française. Paris: Hachette Éducation, 1992, p. 401) “Mais l’originalité littéraire de Sartre tient surtout à ses idées sur l’esthétique romanesque. S’opposant à Mauriac, il récuse la technique traditionelle du roman, fondée sur un narrateur omniscient. Il lui préfère une narration tissée par les points de vue subjectifs des personnages, pour que le lecteur coïncide avec leur conscience en action. Inspiré par le roman américain (Faulkner, Dos Passos, etc.), Sartre souhaite que le roman, contrairement au récit rétrospectif, se construise à l’aventure, en laissant aux personnages la liberté d’un avenir. Ces théories, illusoires, ont cependant inspiré les « nouveaux romanciers ».” (DARCOS, Xavier. Histoire de la littérature française. Paris: Hachette Éducation, 1992, p. 402) “La suprématie du roman dans la production romanesque n’a pas empêché le retour en force de l’autobiographie, dès l’après-guerre. Le phénomène s’est rapidement accentué par le jeu des médias qui jettent les auteurs (ou simplement les hommes connus) sur le jeu de la scène et les invitent à s’éxpliquer. Dans les années 70 et 80, il n’est guère de personnalités publiques qui n’aient rédigé quelque confession ou « lettre ouverte ». Mais l’autobiographie est d’abord acte littéraire et re-création de soi. Jean Genet (1910-1986) l’avait bien senti. Son Journal d’un voleur (1949) reflète son expérience (errance, vol, homosexualité, prostitution, prison), mais la transfigure en récit poétique et en légende, pour tirer d’une aventure sordide un sens et une | beauté. Ce projet sartrien (cf. la fin de La nausée) a frappé Sartre. Lui-même biographe de Genet (et de Flaubert ou Baudelaire), Jean-Paul Sartre rédige, en 1964, Les mots. Cette vraie histoire de vie suit la chronologie, de la naissance à la découverte de la vocation d’écrivain. En fait, le plan « Lire » / « Écrire » permet à l’auteur de récuser définitivement l’enfant qu’il a été, sur un ton vengeur et grinçant. Il s’agit moins de se raconter que de dénoncer une « névrose » créée par l’éducation.” (DARCOS, Xavier. Histoire de la littérature française. Paris: Hachette Éducation, 1992, p. 418-419) uploads/Litterature/ darcos-x-histoire-de-la-litterature-francaise.pdf
Documents similaires
-
19
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 05, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1015MB