G ALLIMAR D ROBERT DARNTON ÉDITER ET PIRATER Le commerce des livres en France e
G ALLIMAR D ROBERT DARNTON ÉDITER ET PIRATER Le commerce des livres en France et en Europe au seuil de la Révolution DU MÊME AUTEUR Aux Éditions Gallimard ÉDITION ET SÉDITION. L’univers de la littérature clandestine au xviiie siècle, coll. NRF Essais, 1991. BOHÈME LITTÉRAIRE ET RÉVOLUTION. Le monde des livres au xviiie siècle, coll. Tel (n° 370), 2010. LE DIABLE DANS UN BÉNITIER. L’art de la calomnie en France, 1650‑1800, coll. NRF Essais, 2010. APOLOGIE DU LIVRE. Demain, aujourd’hui, hier, coll. NRF Essais, 2011 : éd. augmentée Folio essais (n° 570), 2012. L’AFFAIRE DES QUATORZE. Poésie, police et réseaux de communication à Paris au xviiie siècle, coll. NRF Essais, 2014. DE LA CENSURE. Essai d’histoire comparée, coll. NRF Essais, 2014. UN TOUR DE FRANCE LITTÉRAIRE. Le monde du livre à la veille de la Révolution, coll. NRF Essais, 2018. Chez d’autres éditeurs GENS DE LETTRES, GENS DU LIVRE (Odile Jacob, 1992), Éditions du Seuil, coll. Points, 1993. LA FIN DES LUMIÈRES. Le mesmérisme et la Révolution (Perrin, 1984), Odile Jacob, 1995. POUR LES LUMIÈRES. Défense, illustration, méthode, Presses universitaires de Bordeaux, 2002. LA SOCIÉTÉ TYPOGRAPHIQUE DE NEUCHÂTEL, 1769‑1789. L’édition neuchâteloise au siècle des Lumières (avec Michel Schlup et Jacques Rychner), Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel, 2002. LE RAYONNEMENT D’UNE MAISON D’ÉDITION DANS L’EUROPE DES LUMIÈRES. La Société typographique de Neuchâtel 1769‑1789 (dir. avec Michel Schlup et Jacques Rychner), Bibliothèque publique et universitaire de Neuchâtel / Éditions Gilles Attinger, 2005. Marquis de Pelleport, LES BOHÉMIENS. Roman (éd.), Mercure de France, coll. Le Temps retrouvé, 2010. LE GRAND MASSACRE DES CHATS. Attitudes et croyances dans l’ancienne France (Robert Laffont, 1985), Les Belles Lettres, coll. Le Goût des idées, 2011. L’AVENTURE DE L’ENCYCLOPÉDIE, 1775‑1800. Un best-seller au siècle des Lumières (Perrin, 1982), Points, coll. Points Histoire, 2013. Robert Darnton Éditer et pirater Le commerce des livres en France et en Europe au seuil de la Révolution Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-François Sené Ouvrage traduit avec le concours du Centre national du livre Gallimard Darnton, Robert (1939-) Histoire culturelle : Histoire du livre : France deuxième moitié du xviiie siècle ; pro priété littéraire ; imprimeurs-éditeurs : Société typographique de Neuchâtel ; libraires-éditeurs ; contrefaçons ; commerce. Histoire politique : censure ; privilèges ; corporations France deuxième moitié du xviiie siècle. Titre original : pirating and publishing the book trade in the age of enlightenment Pirating and Publishing. The Book Trade in the Age of Enlightenment was originally published in English in 2021. This translation is published by arrangement with Oxford University Press. Gallimard is solely responsible for this translation from the original work and Oxford University Press shall have no liability for any errors, omissions or inaccuracies or ambiguities in such translation or for any losses caused by reliance thereon. © Oxford University Press, 2021. © Éditions Gallimard, 2021, pour la traduction française. Préface « Tout l’univers connu n’est gouverné que par des livres », déclara Voltaire, revoyant à la fin de sa vie les batailles qu’il avait menées contre les préjugés, l’ignorance et l’injustice1. Les Lumières furent dirigées par le pouvoir des livres. Néanmoins l’édition et le commerce du livre s’inscrivirent dans un monde qui étouffait la liberté d’expression, un monde encombré de conditions qui sembleraient incroyables aujourd’hui. Sous l’Ancien Régime en France il n’y avait pas de liberté de la presse, de copyright, de droits d’auteur, de retours de livres, de responsabilité limitée, d’alphabétisation universelle, d’instruc tion scolaire obligatoire, et quasiment pas d’auteurs vivant de leur plume. Il n’y avait guère de banques et très peu d’argent liquide, en fait aucune monnaie sous la forme de billets en papier garantis comme espèce légale par l’État. En de telles conditions, comment les livres pouvaient-ils exercer une telle influence ? Cet ouvrage a pour objet d’expliquer le pouvoir des livres à l’époque des Lumières en montrant comment fonctionnait l’in dustrie de l’édition2. Il examine de quelles façons les éditeurs se comportaient, leurs modes de pensée et leurs stratégies pour donner vie aux livres, non pas seulement en tant que créations littéraires, mais aussi comme objets qui acquéraient une valeur commerciale et circulaient dans la société. Certes, le pouvoir des livres était exprimé par leur contenu. L’esprit piquant de Voltaire, l’emprise de la passion chez Rousseau, l’audace des réflexions de Diderot ont légitimement mérité d’être reconnus au cœur de l’histoire littéraire. Mais l’histoire n’a pas trouvé de place pour les entrepreneurs et les intermédiaires qui apportèrent la littérature aux lecteurs. Les éditeurs jouèrent un rôle crucial dans ce milieu où s’entrecroisaient l’histoire de la littérature, la politique et les affaires. Le récit qui suit relate de quelles façons elles se réunirent — une approche improbable mais qui puise son inspiration chez Balzac. Ses Illusions perdues saisissaient la teneur de la vie dans le monde du livre au début du xixe siècle. Éditeurs, libraires et auteurs habitaient un monde semblable à l’époque des Lumières et leurs vies méritent d’être rapportées non seulement pour ce qu’elles révèlent sur la culture du xviiie siècle, mais aussi en elles-mêmes. Elles ont une fascination qui leur est propre en tant qu’histoires dans une comédie humaine propre à l’Ancien Régime. Pour apprécier les particularités, il est important d’avoir une vue d’ensemble des règles du jeu telles qu’elles étaient détermi nées par les tiraillements de la politique et les intérêts investis. Grâce aux politiques centralisées de l’État, la Communauté des libraires et imprimeurs de Paris* détenait une position dominante dans le commerce du livre à la fin du xviie siècle. Les membres de la corporation monopolisaient les privilèges des livres et détruisaient presque l’édition dans les provinces sauf dans le cas de certains genres de publications telles que les ouvrages locaux, brochures liturgiques et livres de colportage populaires. En 1777, quand l’État émit une série de réformes largement inefficaces, il fit montre de plus de compréhension à l’égard des éditeurs et des libraires de province. Mais les provinciaux demeurèrent hostiles à l’encontre des Parisiens et tout au long du xviiie siècle ils s’approvisionnèrent de plus en plus auprès de maisons d’édition qui produisaient des livres français en des lieux stratégiques hors des frontières de la France, dans ce que j’ai nommé un Croissant fertile. D’Amster dam à Bruxelles, par la Rhénanie, à travers la Suisse et en descendant sur Avignon, qui était un territoire de la papauté au xviiie siècle, les éditeurs pirataient tout ce qui en France se vendait avec quelque succès. Les maisons étrangères produisaient également tout ce qui ne pouvait obtenir l’approbation des censeurs employés par le gouvernement français. Hormis des exceptions notables telles * Nous emploierons tantôt le titre de Communauté des libraires et impri meurs tantôt simplement celui de corporation des libraires et imprimeurs (N.d.T.). Éditer et pirater 10 que l’Encyclopédie, presque tous les ouvrages des Lumières françaises étaient imprimés à l’étranger, passés par la frontière en contrebande et diffusés au moyen d’un commerce souter rain dans tout le royaume. Les Lumières étaient pour une large part une campagne visant à éclairer les esprits — c’est-à-dire à répandre des idées et pas simplement à les forger. Les livres français produits dans les maisons d’édition hors du royaume concrétisaient les Lumières. En véhiculant leurs idées, intellec tuelles et politiques, au-delà des frontières, les livres en firent une force qui se répandit dans l’Ancien Régime. Néanmoins les livres des philosophes n’occupèrent qu’une petite part du marché comparés aux éditions piratées des ouvrages légaux. Grâce à une main-d’œuvre et à un papier peu coûteux, les contrefaçons (terme conventionnel pour les livres piratés) étaient moins chères que les œuvres produites avec privilèges à Paris. En conséquence, une alliance naturelle se développa entre les éditeurs étrangers et les libraires de province. Elle fonctionna si efficacement que la moitié au moins des livres — ouvrages ordinaires de type commercial à distinguer des colportages, brochures locales et éphémérides (documents de circonstance) — vendus en France entre 1750 et 1789 étaient piratés. C’est là mon estimation fondée sur une longue étude de tous les documents disponibles et j’admets que je ne peux la certifier ; mais je doute que qui que ce soit conteste l’impor tance de comprendre l’industrie du piratage, non seulement en elle-même car elle reste mal connue, mais aussi pour ce qu’elle révèle sur l’infrastructure de la culture littéraire. Loin d’être un aspect exotique et marginal de l’histoire socio-culturelle, le piratage mérite une place en son centre3. En fait, l’émergence de l’éditeur comme acteur majeur dans les industries de la culture ne peut être comprise sans référence au pirate. Bien que généralement antagonistes, ils se dévelop pèrent tous les deux à la même époque au cours de la seconde moitié du xviiie siècle, et ils représentèrent deux aspects du même processus, l’offre d’une culture littéraire à un large public. Avant 1750 en France, et à divers degrés dans le reste de l’Europe, publier se faisait au sein d’un monde corporatiste clos placé sous le contrôle minutieux de l’État. Les éditeurs pirates opéraient dans un autre monde, hors la loi, ou tout au moins hors de la uploads/Litterature/ darnton.pdf
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- Publié le Oct 09, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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