COBRESPONDANCE LETTRE DE M. G. MONOD EN RÉPONSE A L'ARTICLE DE M. FUSTEL DE COU
COBRESPONDANCE LETTRE DE M. G. MONOD EN RÉPONSE A L'ARTICLE DE M. FUSTEL DE COULANGES, INTITULÉ De l'analyse des textes historiques. RÉPLIQUE DE M. FUSTELDE COULANGES. MONSIEURET CHER confrère, La situation d'un historien sévèrement critiqué pour un de ses écrits est toujours un peu embarrassante. S'il ne dit rien, c'est qu'il n'arien à répondre et qu'il souscrit à sa condamnation; s'il riposte, c'est qu'il a un mauvaiscaractère et un amour-propre singulièrement chatouilleux. Cet embarras s'accroît encore si son critique lui est notoirement supérieur par l'âge, la position et le talent, et s'il ne peut, sans présomption,lui répondre du même ton sur lequel il a été attaqué. J'éprouve quelque chose de cet embarras en présence de l'article si sévère que M. Fustel de Coulangesa publié dans la Revue dès questions historiques du 1er janvier dernier, à l'occasion d'un article de moi sur les Aventures de Sichaire, paru dans la Revue historique du l« juillet 1886. Si je n'écoutais que mes inclinations, ma déférence pour la personne de M. Fustel de Coulanges, mon respect pour son érudition, mon admiration pour son talent, je garderais en ce moment le silence; je me contenterais d'étudier de nouveaules points sur lesquels il a fait porter ses critiques et de profiter de ce qu'elles contiennent de juste.Mais son articleayant paru dans une Revue dont beaucoup de lecteurs ne peuvent juger de mon travail que par ce que M. Fustel de Coulanges lui-mêmeen dit, je suis presquecontraintdeleurexpliqueren quoises attaquesmeparais- sent excessives ou injustes.Je suis aussi obligé de me défendre par ma situationmême de professeur. Ce n'estpas seulementtelle outelle opi- nion soutenue par moi que M. Fustel de Coulangescombat; c'est la méthodemême de mes travauxet de mon enseignement qu'ildéclare pernicieuse. L'articledeM. Fustel de Coulangescontient à la fois une réfutation du commentaireque j'ai donné des chapitres xlvii du 1. VII et xix du 1. IX de Grégoirede Tourset une critique de la méthodeque, selon lui, j'appliquerais à l'étude de l'histoire.Je dirai brièvementen quoi cette réfutation et cette critique ne me paraissent pas fondées. Je n'entrerai pas dans une discussion approfondie; elle serait sans intérêt pour ceux de vos lecteurs qui n'ont pas mon travail sous les yeux. Je tiens seulementà leur prouver que je n'ai pas été aussi légerqu'ils ontpu le croire, sur la foi de mon éminent et persuasif contradicteur. Je ferai observer tout d'abord que la réfutation de M. Fustel de Coulangesest purement négative. Il conteste la légitimité et l'exac- titude de mon explicationdu texte de Grégoire de Tours; il ne nous dit pas quelle explicationil substituerait à la mienne. Je dois donc me borner à prouverque mon essai d'interprétation était légitime et n'a pas le caractère d'absurdité et de fantaisie que mon critique lui attribue. Or, qu'ai-je tenté de faire ? Je me suis trouvé en présence de personnagesque, d'après leurs noms, leurs sentiments et leurs mœurs, j'ai pris pour des Francs. J'en ai conclu qu'ils avaient dû agir conformémentaux coutumes franques et que, traduits en justice pour leurs actes, ils avaient été jugés conformément à ces mêmes coutumes, sauf dans le cas où l'intervention épiscopale les a décidés à y déroger. Ces prémisses une fois posées, mon système me parais- saitrendre assez bien compte des diverses péripéties du dramepour que mon interprétation devînt, dans l'ensemble, assez plausible.Je dis plausible et non certaine, car je crois difficile, en ces matières, d'atteindre à la certitude. Je ferai d'ailleurs remarquer que ma seule prétention dans cet article sur les aventures de Sichaire a été de tracer un tableau de mœurs, de compléter,d'après ce que noussavons des coutumes franques, ce qui dans le récit de Grégoire est incom- plet ou obscur.Je n'ai point cherché, comme on le fait trop souvent, à tirer des textes de Grégoire des conclusions juridiques rigoureuses sur les institutionsdu vie siècle. M. Fustel de Coulanges me conteste mon pointde départ lui-même et toutes les conséquencesque j'entire. Il nie queje puisse avoir aucune opinion sur la nationalitédesperson- nages mis en scène par Grégoire il me reproche aussi d'avoir dit que Sichaire était un assez riche propriétaire.Pourtant M. Fustel de Coulangeslui-même écrivait, il y a quelques mois, dans ses Recherches sur quelques problèmesd'histoire(page 448, 1. 1.) à propos du même texte « Le principal personnage est Sichaire, assez riche pro- priétaire foncier. Les autres s'appellent Austrésigile, Chramnisinde, Ebérulf. Il est assez vraisemblable qu'ils étaient de race franque. » Je sais bien qu'il ajoute que la race importe peu et que la forme des noms n'est pas un sûr indice pour déterminer les nationalités; il n'en est pas moins vrai que sa méthode d'analyse lui donnait dans ses Recherches des résultats sensiblement différents de ceux qu'il m'oppose clans son article. Je crois que quiconque lira sans préven- tion les deuxchapitresde Grégoire et surtout le second dont M. Fustel de Coulanges s'est abstenu de parler, n'hésitera pas un instant à reconnaître que c'est des barbares quisont en scène, et.que dès lors mon commentairepourraitbienn'être pas tout à fait erroné. Je n'abuserai pas de la patiencede vos lecteurs en entreprenantde discuterchacun des points sur lesquels M. Fustel de Coulanges me critique. Comme ils n'ont pas mon texte sous les yeux, cette discus- sion les ennuierait sans les convainere.Ilen est oùje reconnais avoir fait des hypothèses hasardéeset inutiles(quandj'aisupposerai- exem- ple,que le grand-père de Sichaires'appelaitSichaire,maisj'ai indiqué que c'était une pure hypothèse) il en est d'autres où j'aurais dû mieux motivermon opinion et indiquerqu'on pouvait comprendrele texte autrement que moi (par exemple dans ce que j'ai-dit desparti- cipes villa) mais le fond même demon commentaire ne me paraît pas avoir été ébranlé par les objections de M. Fustel de Coulanges; sur plusieurs points de détail, il me semblem'avoir opposé desargu- ties plutôt que des raisons et avoir même involontairementtravesti ma pensée. Il prétend (p. 8) que d'après moi le meurtrierdu servi- teur duprêtre de Manthelanétait ivre, « par la raisonque Tacite rap- porte que les Germains étaient sujets à s'enivrer. » Je n'ai point dit une pareille niaiserie. J'ai supposé que ce meurtre était causé par l'ivresse, parce qu'îLn'est pas vraisemblablequ'un homme dans son bons sens tue le serviteurqui vient l'inviter « à une collation » (ce n'est pas moi, c'est M. Fustel de Coulanges qui, au nom de la méthode analytique,traduit: act Mbendian par à une collation), parce qu'onl'invitaità venirse joindre à un ivrogne notoire et parce que nous savons d'ailleurs à quels excès la fête de Noël donnaitocca- sion. Voici mon texte <c On ne peut mettre que sur le compte de l'ivressel'acte de furieusebrutalité dontl'un d'euxse rendit coupable. A la vue du serviteurqui venaitl'inviter,iltira son épée et, d'un coup, l'étendit raide mort. C'était là un de ces accidents quin'étaientpoint rares dans la société germanique.Tacitenous parle des terribleseffets de l'ivresse sur les lourdes et silencieuses natures germainesqui se ruaient aux coups et aux meurtres sans même avoir commencé par s'insulter. » Il faut vraiment avoir bien grande envie de me prendre en fautepour trouver à redireà ce passage, et surtoutpour le trans- former eommefaitM.FusteldeCoulanges.il est si désireux de me contredire, qu'il ajoute que cet homme n'était certainementpas ivre, puisqu'ilsortaitdePoffiee.Jelui dirai à mon tour « Qu'ensavez-vous? •Grégoirede Tours ne nous dit pas qu'il sortaitde l'office, et d'ailleurs <ce ne serait pas la premièreni la dernière fois qu'on aurait vu un iiomme ivre dans une église.» M. Fustel de Coulanges me critique encore pour avoir traduit injitclicio civium, par « le tribunal des hommes libres, » et il soutient que civis signifie la classe intermé- diaire entre les grands et le peuple. « Civis, ajoute-t-il, se dit de tout ce qui est inférieur à la classe sénatoriale, mais supérieur aux classes infimes de la société, » et il affirme que Grégoiredistingue absolument ceux qui sont gêner s senatorio de ceux qui sont simplementcives. Je répondrai que cives n'a nullement dans Grégoire le sens juridique précis que M- Fustel de Coulanges, toujours préoccupé d'idées romaines,lui attribue. Il signifie simplementles habitants libres d'une civitas, et plus spécialement d'une ville. Il distingue les senatores parmi les cives, mais il ne les place nullementen dehors des cives. Ommatiusest ex semttoribuscivïbusqiiefirvertzz.s Francilien est e:z senatoribiis civis Pictcmus (Grég. x, 31, 12, 14). Nous savons que l'élection des évêques était faite par le populus tout entier, clerici, nobUitas, plehs tirhana vel rustica, comme dit laVifaS.Germani. Or, les formules disent que l'élection est faite consensu civium. Ici encore ce n'était vraiment pas la peinede me chercher noise pour un détail que je pouvais aisément 'justifier. Ailleurs j'ai traduit: Pars Chramnislncli, par « le parti de Chramnisinde.» M. Fustel de Coulanges me reproche à ce sujet d'ignorer quepartes signifie « les parties » et non les « partis.» Je ne l'ignorais pas, puisqu'â deux re- prises, pages 279 et 283, j'ai traduitpartes par « les parties, » Mais nous savons aussi que l'on venait rarement seul dans les tribunaux à cette époque; on y venait entouré de eojurateurs, de parents, d'amis nous voyons que Sichaire, Austrighysèle,Chramnisinde n'agissent pas seuls, mais avec des troupes armées leurs complices sont solidaires de leurs crimes j'étais donc fondéà penserque si Grégoirea dit: Pars Chram.nisindi,ei non Chramnisindits, uploads/Litterature/ de-l-x27-analyse-des-textes-historiques-pages-from-revue-des-questions-historiques-avril-1887-reponse-de-monod-pdf.pdf
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- Publié le Mar 02, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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