De l’image au stereotype. Une introduction à l’histoire des systèmes de représe
De l’image au stereotype. Une introduction à l’histoire des systèmes de représentations de l’Autre dans la littérature et l’iconographie aux XIX et XXème siècles. Christianne Benatti Rochebois, Doutoranda: Université de Franche-Comté (França) / Résumé L’étude des représentations de l’Autre dans la littérature française du XIXème et du XXème siècles implique necéssairement la perception et l’analyse de plusieurs supports qui ont servi à leur propagation. En croyant à l’intertextualisation qui actue dans les représentations du collectif français, nous observons l’influence (la répétition) de l’image du noir colonisé, sur le noir et l’arabe habitants d’aujourd’hui en France En mariant quelques lignes (la publicité, l’affiche politique, le manuel scolaire, la carte postale, etc), à l’écriture littéraire, nous verrons comment ces moyens de représentation se citent et s’étayent, construisant ensemble l’image de l’autre. Introduction La question qui se pose est la suivante: la manière dont l’Autre est appréhendé aujourd’hui n’est-elle pas la conséquence de la façon dont on le montrait hier ? Ne faut-il pas remonter aux sources de l’invention de l’étranger pour décrypter comment sa perception se projette aujourd’hui sur l’immigré, tout particulièrement sur le Maghrébin ? Nombre de stéréotypes dont l’immigré est affublé trouvent leur origine dans ce qui, dans un passé proche, stigmatisaient l’indigène, le colonisé. Cette évocation de la colonisation est centrale dans cet exposé parce qu’à l’évidence le colonisé est le père de l’immigré. On s’aperçoit très vite que l’histoire des représentations, qui est aussi une histoire du regard, oblige le chercheur à interroger les multiples supports qui ont servi à leur propagation et à réfléchir sur l’intention des différents opérateurs au travail et les publics qu’ils visaient. Le regard dit plus sur le regardant que sur le regardé, vérifiant ainsi cet acquit fondamental de la psychanalyse selon lequel nous projetons sur autrui l’image de ce qui nous effraie et nous fascine (O. Mannoni). Parler aujourd’hui des représentations des migrants ou des immigrés dans l’inconscient collectif français passe obligatoirement par l’observation d’un passé qui ne passe pas. Rappel de définitions du dictionnaire Représenter: rendre présent à la vue par l’image. Renvoyer l’image de quelque chose. Faire apparaître à l’esprit par l’effet d’une analogie réelle ou supposée. Représentation: fait de représenter par une image, un signe, un symbole. Ce que l’on se représente, ce qui forme le contenu concret d’un acte de pensée et en particulier, la reproduction d’une perception antérieure. Freud oppose la représentation à l’affect. Stéréotype (terme d’imprimerie: cliché métallique): poncif, cliché réduisant les singularités. Idée, opinion toute faite, acceptée sans réflexion et répétée sans avoir été soumise à un examen critique, par une personne ou un groupe, et qui détermine, à un degré plus ou moins élevé, ses manières de penser, de sentir et d’agir. Dans le racisme le stéréotype possède les deux catégories d’économie (éviter de réfléchir) et de justification (je juge les Noirs ou les Arabes, sales, paresseux et voleurs parce que, par opposition, je me définis comme propre, travailleur et honnête). Un stéréotype est une représentation à deux dimensions, comme une image, sans profondeur et sans plasticité. Pour que le stéréotype devienne représentation, il faut que les expériences de la relation avec l’étranger soient multiples et variées. (SIMONDON, 2001) Stéréotypé: qui a le caractère convenu du stéréotype. Qui semble sorti d’un moule, tout fait, figé. Modes et supports de représentations Dès le XIXème siècle, en France, tout un dispositif de représentations de l’Etranger, perçu de plus en plus dans une altérité irréductible, s’enclenche et occupe dans les chaînes de la transmission du savoir une place importante. Ce dispositif se manifeste autant par l’écrit que par l’image. Son but, voulu ou non, est d’inscrire dans l’imaginaire de la société française une série de signes qui deviendront les caractères reconnaissables des sujets composant à l’époque l’empire colonial. Ils viendront justifier la colonisation et légitimer la dépossession d’immenses territoires s’étendant de l’Afrique du Nord et subsaharienne à l’Asie du Sud-Est dénommée alors l’Indochine. Noirs, Arabes, Berbères, Asiatiques seront dès lors représentés de telle sorte que leurs images – la façon dont ils sont regardés, mesurés, décrits, expliqués – marquera presque de manière indélébile la conscience de la population métropolitaine. Des images qui les englobent de manière indifférenciée, grossissant certains de leurs traits qui gomme paradoxalement leur personnalité et les place tous dans un même moule racial ou culturel, comme s’ils étaient interchangeables, indéfiniment répétés, jusqu’à provoquer cette « inquiétante étrangeté » dont parlait Freud. Ces images formées (qui insistent par exemple, en ce qui concerne les Noirs, sur la peau, le nez, les lèvres, les cheveux, le langage, le corps) circulent pour la plupart à l’insu des principaux concernés. Elles ne suscitent donc aucun contre-discours qui viendrait rectifier ou atténuer leurs effets. Elles constituent les seules représentations d’une société qui n’en produisaient pas. C’est ce processus de fabrication de l’image de l’Autre que je voudrais examiner ce matin. Il ne s’agira pas pour moi d’interpréter ce processus mais de suivre pas à pas les modalités d’une mécanique habilement mise en œuvre par les tenants de l’entreprise coloniale. Et de rendre compte de la transformation de ces images, massivement diffusées, en stéréotypes, en clichés. Je puiserai, pour alimenter ma démarche, dans les textes écrits – qu’ils soient de fiction: la nouvelle et le roman ou de témoignage: le récit et notamment le récit de voyage. J’aborderai ensuite l’image purement esthétique: la peinture, le dessin ou l’image documentaire à vocation parfois esthétique: la photographie et son extension innombrable, la carte postale. La littérature et la peinture, puis la photographie seront plus particulièrement examinées pour y débusquer ces représentations de l’Autre. Nous verrons comment ces modes de représentations font système, se citent et se fécondent les uns les autres pour aboutir à une trame discursive intertextualisée qui traverse les genres et que nous pouvons voir à l’œuvre encore aujourd’hui alors que la loi, la connaissance ou le bon sens, n’autorisent plus ce type de productions. D’autres supports, épousant d’autres canaux et s’adressant à d’autres publics, interviennent dans cette fabrique de l’image de l’Autre. Signalons, liste non exhaustive, les suivants dont certains pourront être convoqués de manière incidente pour étayer mon propos: le manuel scolaire, la bande dessinée, la publicité, l’imagerie enfantine, l’affiche politique, l’image de la femme noire dans les revues, le cinéma, les ouvrages parlant de l’action évangélisatrice des missionnaires, les traités de médecine coloniale, les premiers essais d’anthropologie et d’ethnologie qui sont contemporains de la colonisation. Enfin, pour asseoir mon propos, j’emprunterai aux domaines de l’histoire, de la sociologie et de la psychologie. Etude de cas Tout a commencé, je le disais, au XIXème siècle quand a surgi dans les cercles scientifiques et artistiques le besoin d’aller à la rencontre de l’Orient. Désir romantique de l’ailleurs, soif de connaissance scientiste, nécessité de vérifier l’état du monde pour en dresser l’inventaire et, sous-jacent, un formidable appétit de conquête territoriale commandé par l’idée de puissance que partagent les nouveaux pays industrialisés (l’Angleterre et la France essentiellement). Ernest Renan (1823-1892), philosophe et historien, présente l’Orient dans une « éternelle enfance », lieu de sagesse, de rêverie et de passivité. C’est un Orient féminisé et immuable que Renan confronte à l’Occident mâle détenteur du logos, de la dialectique, de la réflexion et de l’action. Cette affirmation de la supériorité occidentale, confortée par la théorie évolutionniste et l’analyse des sociétés indigènes qui en découlent, vient renforcer – et à son tour subir – l’influence de la logique coloniale de l’invention de l’Autre. Cet intérêt pour l’Orient, proche ou extrême, se traduit par une profusion d’images – scripturales et iconiques – qui bâtissent un mode de représentations foncièrement paternaliste et péjoratif des peuples colonisés. Il faut savoir que le système colonial ne s’impose pas par simple transfert des structures politiques ou autres, il s’accompagne toujours d’une série de fables et de descriptions-représentations qui légitiment ce transfert. Procédons à l’examen de ces descriptions-transferts. Le regard écrit Le récit de voyage, publié dans un premier temps dans les journaux, utilise un style essentiellement métaphorique – cette manière d’écrire qui fait image. Il raconte le plus souvent l’itinéraire du voyageur. Les péripéties de son aventure et les pensées qui lui viennent durant son séjour. La couleur locale, omniprésente dans ces textes, évite la réalité en parlant des curiosités et sert de décor à cette narration. Elle a pour fonction de rappeler au lecteur la distance, pas uniquement spatiale, qui le sépare des hommes et des endroits dépeints. Il faut dire cependant que, parlant de l’Algérie conquise en 1830, certains premiers récits décrivent avec une certaine bienveillance les populations rencontrées. Citons ceux de: Théophile Gautier (1845): Voyage pittoresque en Algérie (1865) ; Eugène Fromentin, peintre et écrivain, (1846, 1847, 1852): Un été au Sahara (1857) et Une année dans le Sahel (1859); Alphonse Daudet (1861): Tartarin de Tarascon(1872). Mais le regard changera, en se durcissant, avec la politique de colonisation à outrance initiée au début de la IIIème République (1870). Après l’occupation en 1863 de la Cochinchine et du Cambodge, du Sénégal (1865), de la Tunisie (1881) et du Tonkin (1885), Madagascar passera sous l’autorité de la France uploads/Litterature/ de-l-x27-image-au-stereotype-une-introduction-a-l-x27-histoire-des-systemes-de-representations-de-l-x27-autre.pdf
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- Publié le Apv 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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