0 UNIVERSITÉ DE BOURGOGNE Faculté de Dijon École doctorale : Langage Idées Soci

0 UNIVERSITÉ DE BOURGOGNE Faculté de Dijon École doctorale : Langage Idées Société Institutions Territoires U.F.R. Lettres et Philosophie Le moi, la fiction et l’histoire dans les œuvres de Serge Doubrovsky, Georges Perec et Jorge Semprun Thèse présentée par Catherine PONCHON sous la direction de M. le Professeur Jacques POIRIER pour l’obtention du doctorat de Lettres modernes. Membres du jury : M. Bruno BLANCKEMAN M. Claude BURGELIN M. Jacques POIRIER M. Philippe WEIGEL Soutenance : 18 septembre 2014 1 Je tiens à exprimer toute ma gratitude à Monsieur le Professeur Jacques Poirier qui m’a patiemment accompagnée tout au long de ce parcours de recherche. Sa générosité et l’érudition dont il m’a fait bénéficier ont permis à cette thèse d’aboutir. 2 UNE PETITE HISTOIRE Nous souhaiterions commencer cette recherche en racontant plusieurs « petites » histoires. La lecture des œuvres de Serge Doubrovsky, Georges Perec et Jorge Semprun a fait résonner leurs échos. Écho crescendo que nous n'entendions tout d'abord pas, puis qui nous a surpris. Des petites voix se sont faites ainsi plus insistantes, des ombres ont commencé à prendre corps. Notre lecture est devenue à notre plus grand étonnement symphonie, une symphonie de petites voix chantée par un cortège d'ombres. La Wehrmacht franchit le Rhin le 15 juin 1940. L'Alsace est maintenant aux mains des Allemands. Le 17 juillet, l'Alsace est à nouveau attachée à l'Allemagne. Le soldat Georges Ponchon n'aurait pas dû partir sur le front russe en 1943, il n'était pas Alsacien. Il n'aurait pas dû être enrôlé dans l'armée allemande, incorporé de force. Le 24 août 1944, le soldat Georges Ponchon est mort sur le front russe. Il laisse derrière lui une veuve et deux petits garçons. Le petit Georges est l'aîné, il a six ans. Il ne comprend pas bien. Il devine la tristesse, les silences. L'armée allemande a renvoyé une boîte contenant les affaires du soldat mort, une boîte secrète. Il n'a pas le droit d'y toucher. À l'intérieur se trouve une gourmette avec un numéro et un portefeuille, troué par un éclat d'obus. Une photo avait été glissée dans le portefeuille, le petit Georges y est représenté en compagnie de son frère. La photo est, elle aussi, trouée. Longtemps, le petit Georges attendra le retour de son père soldat. Certaines nuits, il fera même le guet, croyant entendre ses pas. Il n'y aura pas de retour, pas de corps, pas de sépulture. En 1962, un nouveau monument aux morts est érigé au village, le premier datant de la Grande Guerre avec ses inscriptions en français, avait été détruit par les 3 Allemands. Le nom du soldat Georges Ponchon y est gravé. Beaucoup de noms suivent et précèdent le sien. « À nos morts ». La petite fille que j'étais alors se souvient : le jour de l'armistice, le 8 mai, les enfants de l'école venaient toujours réciter un poème. L'instant était solennel. Je regardais alors toujours le nom de mon grand-père, gravé dans la pierre blanche. Un jour, ce fut mon tour de déclamer un poème. Rencontre de deux petites voix. Promesse d'une petite fille de toujours être attentive aux voix du silence. Déjà une autre petite voix se faisait entendre. Voix de soprane. Une belle voix. Elle faisait écho à une voix espagnole, celle de la mère de Jorge Semprun, morte à trente sept ans des suites d'une septicémie. Duo. Ma grand-mère maternelle est morte à trente-six ans en 1937 d'une septicémie. Ma mère est alors âgée de quelques mois. Un voile de silence entoure cette mort. Sur la portée, les notes sont des blanches, suivies de soupirs. Elles racontent le blanc, les silences, les secrets des histoires familiales. Puis sont venues les voix des cœurs. À l'espagnol de Jorge Semprun, répond l'espagnol du père adoptif de mon père. Le Yiddish de Serge Doubrovsky fait écho à l'alsacien. Symphonie. La voix gutturale des Allemands, voix de stentor, leur concert de « los, los los! » « schnell, schnell! », c'était la voix de l'occupant. L'Alsace était allemande. Il était interdit de parler français. L'école était allemande. Mes parents ont appris à lire et écrire en allemand. Même les patronymes devaient avoir une consonance allemande. Ponchon, trop français, était devenu Ponchen. Voix dissonante. Finale. Les ombres disparaissent. 4 Sommaire Remerciements --------------------------------------------------------------------- page 1 Une petite histoire ----------------------------------------------------------------- page 2 Abréviations ----------------------------------------------------------------------- page 6 Introduction ------------------------------------------------------------------------ page 7 Chapitre 1 - LA PETITE ET LA GRANDE HISTOIRE--------------------- page 28 Chapitre 2 - « BIOGRAPHÈMES »--------------------------------------------- page 79 Chapitre 3 - UNE IMPOSSIBLE HISTOIRE---------------------------------- page 146 Chapitre 4 - « IL SERAIT UNE FOIS »---------------------------------------- page 213 Chapitre 5 - L’ÉCRITURE ET LA SURVIE----------------------------------- page 313 Conclusion-------------------------------------------------------------------------- page 372 Bibliographie ----------------------------------------------------------------------- page 386 Annexes ----------------------------------------------------------------------------- page 423 Table des matières ----------------------------------------------------------------- page 429 Résumé ------------------------------------------------------------------------------ page 432 5 Abréviations Les éditions de référence sont décrites dans la bibliographie. Ces abréviations, suivies du numéro de la page, seront mises entre parenthèses. Serge Doubrovsky Ds La Dispersion Fs Fils LVI La Vie l’instant AS Un Amour de soi LB Le Livre brisé AV L’Après-vivre LPC Laissé pour conte HP Un homme de passage Georges Perec LC Les choses QVC Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? HQD Un homme qui dort Da La Disparition Ree Les Revenentes LBO La Boutique obscure EsEp Espèces d’espaces WSE W ou le souvenir d’enfance JMS Je me souviens LVME La vie mode d’emploi Cdt Le Condottière JSN Je suis né 6 Elld Récit d’Ellis Island P/C Penser/classer E/C1 Entretiens et conférences I E/C2 Entretiens et conférences II IO L’Infra-ordinaire BO La Boutique obscure VH Le Voyage d’Hiver Jorge Semprun GV Le Grand Voyage Evt L’Évanouissement DRM La Deuxième mort de Ramon Mercader AFS Autobiographie de Federico Sanchez QBD Quel beau dimanche ! Alg L’Algarabie Mb La Montagne blanche NR Netchaïev est de retour FSVS Federico Sanchez vous salue bien EV L’Écriture ou la vie AVC Adieu vive clarté… MQF Le Mort qu’il faut MVC Montand la vie continue 7 INTRODUCTION 8 1° Des Mémoires du Vicomte à l’ « Autobiographie de Tartempion1 » Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ; Adieu, vive clarté de nos étés trop courts !2 « Il est passé le temps des félicités individuelles […]. En vain vous espérez échapper aux calamités de votre siècle par des mœurs solitaires […]. Nul ne peut se promettre un moment de paix : nous naviguons sur une côte inconnue, au milieu des ténèbres et de la tempête3 ». En 1794, Chateaubriand, malade, exilé à Londres, commence la rédaction de l’Essai historique sur les révolutions anciennes et modernes : « On y voit presque partout, dit- il, un malheureux qui cause avec lui-même ; dont l'esprit erre de sujet en sujet, de souvenir en souvenir […] ». « À sauts et à gambades », de Montaigne à Rousseau, l’aristocrate breton, 1 « L’autobiographie de Tartempion » est le titre d’un chapitre du Livre brisé de Serge Doubrovsky. 2 « Adieu, vive clarté … » : ces trois mots, hémistiche de Chant d’automne de Charles Baudelaire, ont été choisis par Jorge Semprun comme titre pour l’un de ces récits. 3 François-René Chateaubriand, Essai sur les révolutions, [1797], [1814], Génie du christianisme, M. Regard (éd.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1978. 9 « désormais isolé sur terre4 », cherchera avec les Mémoires de ma vie, futures Mémoires d’Outre-Tombe, à inventer une écriture pour raconter une vie dans son siècle et décrire deux mondes, le nouveau et l’ancien, séparés par « un fleuve de sang5 ». Mais comment inscrire ce moi dans le récit des évènements ? Quelle forme inventer ? Quelle posture énonciative trouver pour lier petite et grande histoire, l’homme et l’écrivain, l’homme politique et les événements généraux ? Ces interrogations poétiques, posées par cet « aristocrate dépossédé6 », seront reprises par un autre ancien ministre, « revenant » d’un autre monde et qui éprouvera le besoin d’écrire et d’interroger sa traversée du siècle : Dans mon expérience vécue, raconte Jorge Semprun, un peu parce que je l’ai choisie et beaucoup du fait des hasards du XXe siècle, de l’exil, de la Résistance, de la déportation, toutes choses que je n’ai pas choisies mais qui m’ont été imposées par l’Histoire, il y a une matière tellement romanesque que j’ai une tendance inévitable, objective à élaborer à partir de cette matière là7. Comment articuler l’histoire personnelle et l’histoire générale, comment écrire le moi et narrer l’Histoire ? L’individu doit-il se penser en elle par un retour sur soi ? « J’ai voulu engager une réflexion historique, non pas comme historien qui se penche sur les causes, mais simplement en retrouvant les traces de cette expérience dans mon histoire8 » précisera Serge Doubrovsky. Raccrocher ainsi le fil de soi à la trame de l’Histoire. Quête et enquête. 4 Les Rêveries de Jean-Jacques Rousseau débutent ainsi : « Me voici donc seul sur la terre ». 5 François-René Chateaubriand, « Préface testamentaire », Mémoires d’outre-tombe, édition établie et commentée par J.C. Berchet, Paris, Classique Garnier, uploads/Litterature/ le-moi-la-fiction-et-l-x27-histoire-these.pdf

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