À l’aube de notre modernité, le romantisme a transformé la littérature, la musi

À l’aube de notre modernité, le romantisme a transformé la littérature, la musique, les Beaux-Arts. Mais, plus généralement, il a bouleversé notre manière de penser, d’aimer, de percevoir la nature ou l’Histoire – en un mot, de vivre. Né en terre germanique, il a brillé d’un éclat formidable dans la France postrévolutionnaire, avant d’essaimer dans l’Europe entière et, au-delà, dans les empires coloniaux et en Amérique, où il a toujours accompagné la naissance des États nationaux. Ce dictionnaire, le premier à en présenter une vision globale, propose en 649 articles de tout connaître des poètes, artistes, penseurs ou hommes politiques qui ont fait le romantisme : Byron, Hugo, Beethoven, Novalis, Chopin, Turner, Delacroix, Pouchkine, Garibaldi… Le lecteur y découvrira également les idées, les motifs, les modes qui dessinent les contours de la culture romantique et permettent d’en saisir les multiples visages à travers le monde. Un ouvrage exceptionnel qui restitue le mouvement romantique dans toute sa complexité. Alain Vaillant, professeur de littérature française à l’université Paris-Ouest, est directeur de la revue Romantisme. Il a écrit ou dirigé de nombreux ouvrages sur le XIXe siècle français et sur l’histoire littéraire. Introduction Pour une histoire globale du romantisme Prologue : le romantisme existe-t-il ? Il est possible de caractériser ce que fut le romantisme allemand, ou français, ou italien – voire le romantisme anglais, même si l’appellation, apparue seulement à la fin du XIXe siècle, fut très tardive et pour ainsi dire rétroactive. On admettra aussi sans peine l’existence d’un romantisme scandinave – en harmonie avec l’image à la fois majestueuse et un peu mystérieuse qu’on se fait de l’Europe du Nord – et d’un romantisme russe ou polonais – qu’on relie alors volontiers avec la mythique « âme slave ». Mais, à partir de tous ces « romantismes » locaux, dont on pourrait démesurément allonger la liste, peut-on inférer l’existence du romantisme, d’une dynamique culturelle unifiée, homogène, cohérente ? Ou ne s’agit-il que d’un mot qui, parce que la mode en aurait été lancée dans la presse européenne du XIXe siècle, aurait servi à désigner et à recouvrir des réalités très diverses, parfois sans vrai rapport entre elles et beaucoup plus enracinées dans les traditions nationales qu’on a bien voulu le voir ? Et quel point véritablement commun réunit le romantisme en littérature, en peinture, en musique, en philosophie ? En somme, le romantisme serait-il le premier d’une longue série de mirages médiatiques, inventé à l’aube de notre modernité mondialisée et favorisé par l’extraordinaire intensification des échanges culturels, à l’échelle du monde ? À l’orée de cet ouvrage sur « le romantisme dans le monde », le doute mérite d’être formulé, pour être levé une fois pour toutes. On ne peut se contenter de résoudre la difficulté en caractérisant le supposé romantisme par l’exacerbation de la subjectivité et de la sphère personnelle, selon la représentation la plus largement partagée par l’École et le grand public. Si le romantisme n’était que cela, il se confondrait avec la lente et longue émergence du sujet individuel – doté de prérogatives intellectuelles, juridiques, économiques et politiques –, qui est entamée dès les premiers temps de la Renaissance. Peut-être faudrait-il même remonter au-delà, si l’on admet, avec le Victor Hugo de la Préface de Cromwell, que le Moyen Âge chrétien, en inoculant chez le croyant l’inconfort métaphysique (lié à sa double nature corporelle et spirituelle), avait déjà joué un rôle décisif. Il n’y a d’ailleurs pas de raison de s’arrêter en si bon chemin et de ne pas admettre, comme le font certains romantiques allemands, qu’il y eut à toute époque (dans l’Antiquité grecque, singulièrement) des « romantiques », convaincus de la nature essentiellement subjective et spirituelle de l’homme : on sait la dette immense du romantisme à l’égard du platonisme – ou, du moins, à l’égard du platonisme christianisé que l’Europe a façonné pour son usage. Toutes ces généralisations sont loin d’être fausses et ont le mérite de faire apparaître la profonde continuité de ce qu’il faut bien appeler la civilisation européenne. Mais elles retirent évidemment toute pertinence à la notion même de romantisme, réduite à une coque vide. Surtout, elles ne permettent pas de comprendre pourquoi le romantisme européen, comme nous le montrerons, s’est résolument construit contre le classicisme – français, en l’occurrence – qui, en plein XVIIe siècle, marque pourtant le triomphe du rationalisme individuel. La conviction qui a donc d’abord guidé ici notre démarche est que le romantisme existe bien, et que se réfugier trop commodément dans le scepticisme historique et le relativisme notionnel ne serait que paresse intellectuelle. Mais encore faut-il parvenir à le définir : ceci posé, avançons. Le romantisme et son lexique Tournons-nous d’abord vers les mots eux-mêmes (leurs significations et leur histoire) : ils ne disent pas tout sur les réalités qu’ils ont charge de désigner, mais ils permettent du moins de comprendre l’enchaînement ininterrompu des représentations collectives. Cependant, afin d’éviter toute interprétation anachronique dans cette entreprise de lexicographie historique, il faut distinguer soigneusement le sort de l’adjectif (« romantique ») et celui du nom (« romantisme »). L’emploi de l’adjectif marque seulement les prémices d’une prise de conscience littéraire et artistique, l’apparition progressive d’une nouvelle réalité culturelle, dont les contours restent flous et mouvants ; seule l’invention du nom permet de dater une claire revendication esthétique, avec la dimension réflexive et le métadiscours théorique qu’elle suppose. Logiquement, c’est l’adjectif qui apparaît le premier, au XVIIe siècle en Angleterre (« romantic »). Le mot, employé pour qualifier des productions littéraires ou artistiques, renvoie à la tradition du « roman » français médiéval et sert à désigner soit une ambiance moyenâgeuse (« gothique »), soit un romanesque échevelé et volontiers merveilleux, soit les deux à la fois : rappelons-nous en effet que la littérature anglaise moderne, en adoptant le terme de la Renaissance « novel » pour nommer le genre « roman », a clairement tourné le dos à la tradition médiévale – au contraire de la France qui, après quelques hésitations, a gardé le « roman » dans son lexique usuel, donc sans la connotation de pittoresque et de romanesque dont s’est chargé outre-Manche le vocable « romance ». Dès la fin du XVIIe siècle, le mot est passé en Allemagne (« romantisch »), où il a aussi servi à souligner (et, souvent même, à stigmatiser) l’imagination affabulatrice propre au roman. Mais, puisque imagination il y avait, l’art romantisch impliquait aussi le regard subjectif du créateur : c’est ainsi que, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, le mot a dérivé vers une signification plus positive, plus pleinement philosophique et plus proche de sa valeur moderne. Notons enfin que, comme en Angleterre, il est annexé au vocabulaire artistique – notamment pour caractériser des paysages dont le pittoresque évoque l’univers des romans. Par ailleurs, la notion, d’usage de plus en plus fréquent, sert à cristalliser les oppositions, nombreuses et virulentes, au classicisme français. Justement à la même époque, le mot est à son tour importé en France, grâce à sa double origine anglaise et allemande : d’abord en 1776 dans la traduction de Shakespeare par Le Tourneur, puis en 1782 dans les Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau dont ses origines genevoises font un passeur idéal entre les cultures allemande et française. En français, si le lien étymologique avec le roman n’est plus guère perceptible, la qualification de « romantique » englobe aussi bien la référence au Moyen Âge chrétien (considéré comme le berceau de l’Europe moderne) que le recours à l’imagination et à l’émotion. Puis le mot sera aussi employé par Mme de Staël, notamment dans son De l’Allemagne (1810). Or, sur la scène intellectuelle, Mme de Staël est le principal adversaire de Napoléon I er, et la Prusse l’un des protagonistes des guerres napoléoniennes. Le détail est loin d’être insignifiant : dans l’ambiance de nationalisme exacerbé qui caractérise l’Empire, le romantique est réputé amateur de littératures étrangères, anglophile (à cause de la référence au théâtre shakespearien) et surtout germanophile : autant dire un mauvais français, le fossoyeur de la grande tradition classique nationale. De la même source allemande – et en partie grâce à la médiation staëlienne –, naîtront ensuite le romantico italien et les autres équivalents européens. C’est encore au tournant des XVIIIe et XIXe siècles qu’apparaissent le mot et l’idée de « romantisme ». D’abord en terre germanique (die Romantik) : à cet égard, il est incontestable que les intellectuels allemands, notamment autour de la revue Athenæum et grâce à leur effort de théorisation, ont joué un rôle décisif pour sortir le fait romantique de son cadre étroitement thématique (le Moyen Âge) ou formel (le pittoresque ou le romanesque) et pour englober sous une étiquette commune un ensemble varié d’aspirations artistiques et philosophiques, toutes fortement teintées d’idéalisme. Puis, la Romantik a essaimé en Europe – devenant ainsi romanticismo en Italie ou en Espagne et romantisme en France –, à l’exception de l’Angleterre où, comme on l’a vu, il est resté longtemps innommé. Il semble donc bien que, pendant ou peu après la Révolution française (nous uploads/Litterature/ dictionnaire-du-romantisme-d-x27-alain-vaillant.pdf

  • 100
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager