COMPTES RENDUS. AFRIQUE Éditions de l'EHESS | « Annales. Histoire, Sciences Soc

COMPTES RENDUS. AFRIQUE Éditions de l'EHESS | « Annales. Histoire, Sciences Sociales » 2009/4 64e année | pages 923 à 976 ISSN 0395-2649 ISBN 9782713222023 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-annales-2009-4-page-923.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de l'EHESS. © Éditions de l'EHESS. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Centré sur l’Afrique anglophone, celle de l’Ouest (Ghana et Nigeria) et du Sud en particulier, l’ensemble des contri- butions porte sur l’explosion scripturaire qui a eu lieu entre 1914 et 1930, non seulement au sein des élites éduquées ou des figures domi- nantes de l’histoire mais aussi dans la popula- tion qui précisément aspirait à ce statut d’élite. Cette prolifération soudaine d’écrits chez des artisans, des chefs de village et des commer- çants notamment se manifeste à travers divers usages de l’écrit constitué alors en un véritable nouvel espace social ; on assiste ainsi à la pro- duction et au maniement de toute une gamme d’objets écrits : sur des presses artisanales sont composés et imprimés, à faible tirage, pamphlets, tracts, annonces, mais également programmes paroissiaux ou guides d’interprétation des rêves. D’autre part, des écrits manuscrits sont pro- duits en profusion : la correspondance familiale et professionnelle se développe massivement ; les journaux personnels et carnets de bord deviennent des outils de maîtrise de soi tandis que, selon K. Barber, « la documentation de soi prend désormais une force extraordinaire ». À lire les auteurs, historiens et anthropo- logues, on croit comprendre que ce constat rompt avec l’idée longuement admise d’une absence d’écrits vernaculaires en Afrique avant 9 2 3 les indépendances. L’historien européen se souvient de l’événement similaire que constitua la parution des premiers travaux sur les écri- tures de soi sous le régime stalinien (on imagi- nait la pratique impossible) 1 ou de façon plus spectaculaire encore la découverte des usages populaires de l’écrit au XVIIIe siècle, usages long- temps sous-estimés et aujourd’hui documentés par les travaux déjà anciens de Roger Chartier pour les imprimés et par ceux plus récents d’Arlette Farge pour les manuscrits 2. Mais sans doute aurait-on apprécié ici que les auteurs, à l’instar des modernistes précédemment évo- qués, expliquent le silence sur ces sources et leur prise en compte tardive par les études africanistes. Pourquoi pendant un siècle, bien qu’ayant été conservés, ces documents n’ont pas été considérés comme des sources pour une histoire de l’Afrique, au point qu’aujourd’hui, comme le titre de l’ouvrage semble l’indiquer, une Afrique inédite nous serait révélée grâce à eux ? Inhabituelle est en effet cette galerie de portraits de petits lettrés que l’ouvrage pro- pose, ainsi que des archives (photographies, cahiers, coupures de presse) tout aussi fasci- nantes et dont on appréhende un peu la matéria- lité grâce à des fac-similés et des reproductions dans le volume. Parmi ces portraits de scripteurs/lecteurs, celui d’un commerçant et politicien local nigé- rian Akinpelu Obisesan qui, au terme de son existence, laissa une archive de pas moins de 72 boîtes pleines de papiers, dont un imposant journal tenu entre 1920 et 1960 et contenant par exemple des récits de rêves. Il faudrait évoquer aussi les scripteurs d’un petit groupe religieux local près de Durban, Ekuphakameni, étudié par Liz Gunner, et leurs récits de pro- phéties et de visions, mais aussi la commu- nauté de lecteurs qui se constitue en ce premier XXe siècle toujours en Afrique du Sud autour d’un journal tel que le Bantu World. © Éditions de l'EHESS | Téléchargé le 10/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 160.155.106.117) © Éditions de l'EHESS | Téléchargé le 10/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 160.155.106.117) C O M P T E S R E N D U S À la lecture de ces dossiers, certains pour- raient s’interroger sur cette valorisation soudaine par les historiens africanistes de documents uniques rarement appréhendés en série et se demander en outre si, sous prétexte d’avoir été négligées, ces archives personnelles peuvent pour autant être dispensées d’une critique tra- ditionnelle des sources ; car l’option méthodo- logique est nettement ethnographique : c’est bien au cours d’un terrain qu’une rencontre a lieu, comme par exemple Stephan Miescher avec Boakye Yiadom, un enseignant et caté- chiste retraité de Kwawu au Ghana, auteur d’une autobiographie, « My own life », qui s’inscrit dans ce que l’anthropologue désigne comme « a shrine to literacy » (« un autel d’écrits »). Cette observation des pratiques et des objets en situation, doublée d’un travail d’entretiens, est particulièrement féconde ici. Car, là où on estimait que les autres « literacy studies » atteignaient leur limite par leur difficulté à problématiser des dispositifs de mise en écri- ture, nombre des contributions démontrent le contraire en jouant en permanence sur des jeux d’échelle ; l’usage de l’écrit est toujours appré- hendé comme un acte individuel (s’inscrivant dans un parcours de vie), mais aussi fortement inscrit dans le social et relevant d’une histoire politique plus large. Se dessine ainsi en fili- grane une histoire du sujet dans l’Afrique colo- niale anglophone inconnue jusqu’à présent. En suivant ceux que K. Barber nomme des « innovateurs », l’ouvrage révèle une autre facette du rapport entre écriture de soi et colo- nialisme, avec la construction de nouveau type de personnalité («new kind of personnhood»), de nouvelles manières d’être ensemble et d’appréhender le monde officiel. Ces inven- tions d’écrits, de ce qu’ils désignent comme des « tin-trunk texts », apparaissent ainsi comme autant de points de résistance mais également comme des nouveaux modes de gouvernement de soi et des autres. Le livre éclaire pareillement dans cette pers- pective les questions d’archivages personnels et la manière dont ces « nouveaux » scripteurs associent à l’acte d’écriture l’acte d’archiver. Catherine Burns, à propos des centaines de lettres d’une guérisseuse sud-africaine Louisa Mvemve écrites entre 1914 et 1930, souligne combien la rédaction de courrier aux autorités 9 2 4 mais aussi de mémoires participe d’une entre- prise d’inscription de ses connaissances et de leur reconnaissance. Cette analyse par dossiers peut parfois donner l’impression d’une singularisation exces- sive des pratiques. Se pose en effet le problème essentiel des modèles. S’agissant de formes aussi constituées que le journal intime, la cor- respondance ou encore l’autobiographie ou le pamphlet, comment enquêter sur les modèles à l’œuvre ? Certains auteurs cherchent à les déceler mais comme l’histoire de ces pratiques en Europe et les travaux d’autres chercheurs ont pu le montrer, rien n’est moins évident (ainsi que Michelle Perrot l’a montré sur les autobiographies d’ouvriers). On s’étonnera et s’inquiètera ainsi de constater que Philippe Lejeune pour le journal et l’autobiographie, mais aussi Roger Chartier et Cécile Dauphin pour la correspondance sont absents des biblio- graphies de ces chercheurs africanistes anglo- phones. Il en découle, pensons-nous, que la caté- gorie ici en œuvre de « everyday literacy », qui englobe aussi bien la rédaction d’un journal personnel que le travail d’un écrivain public de nécrologies ou encore d’un rédacteur de presse, est trop large pour être opératoire. Aussi, il est à souhaiter que succède à ce premier grand panorama des pratiques soit une approche plus ouverte encore, appréhendant l’ensemble des manifestations d’une « culture graphique » (au sens d’Armando Petrucci 3) dans l’Afrique coloniale – il faudrait alors y adjoindre les écrits exposés –, soit une étude plus restreinte de pratiques, en particulier sur le journal per- sonnel (diary). Dans les deux cas, l’hypothèse de la notion d’innovateur graphique serait approfondie. PHILIPPE ARTIÈRES 1 - Natalia KORENEVSKAYA, Véronique GARROS et Thomas LAHUSEN (éd.), Intimacy and terror: Soviet diaries of the 1930’s, New York, New Press, 1995. 2 - Voir, par exemple, Arlette FARGE, Le bracelet de parchemin. L’écrit sur soi au XVIII e siècle, Paris, Bayard, 2003. 3 - Armando PETRUCCI, Jeux de lettres. Formes et usages de l’inscription en Italie, 11e-20e siècles, trad. par M. Aymard, Paris, Éd. de l’EHESS, 1993. © Éditions de l'EHESS | Téléchargé le 10/01/2021 sur www.cairn.info (IP: 160.155.106.117) © Éditions de l'EHESS | Téléchargé le 10/01/2021 sur uploads/Litterature/ anna-644-0923.pdf

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