Distances et médiations des savoirs Distance and Mediation of Knowledge 24 | 20

Distances et médiations des savoirs Distance and Mediation of Knowledge 24 | 2018 Varia Raison d’être de l’Université Virtuelle Africaine (UVA) Nina Helga Lendrin Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/dms/3089 DOI : 10.4000/dms.3089 ISSN : 2264-7228 Éditeur CNED-Centre national d'enseignement à distance Ce document vous est offert par Université Grenoble Alpes Référence électronique Nina Helga Lendrin, « Raison d’être de l’Université Virtuelle Africaine (UVA) », Distances et médiations des savoirs [En ligne], 24 | 2018, mis en ligne le 17 décembre 2018, consulté le 05 octobre 2021. URL : http://journals.openedition.org/dms/3089 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dms.3089 Ce document a été généré automatiquement le 5 octobre 2021. DMS-DMK est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International. Raison d’être de l’Université Virtuelle Africaine (UVA) Nina Helga Lendrin Introduction 1 Cet article propose d’appréhender le lancement de l’Université Virtuelle Africaine (UVA) en 1997 comme une introduction anticipée des TIC et de la culture numérique par la Banque mondiale au sein d’universités traditionnelles d’Afrique subsaharienne avec pour objectif la transformation de l’enseignement supérieur et son rapprochement, en Afrique francophone, du modèle souhaité par la Banque mondiale et caractérisé par le fait d’être financièrement à la charge de l’étudiant. 2 Notre analyse s’appuie sur le concept d’« hypertélie » développé par Gilbert Simondon pour désigner la suradaptation d’un objet technique dans un milieu inadapté à son fonctionnement : « l’évolution des objets techniques manifeste des phénomènes d’hypertélie qui donnent à chaque objet technique une spécialisation exagérée et le désadaptent par rapport à un changement même léger survenant dans les conditions d’utilisation ou de fabrication » (Simondon, 1958, p. 50). 3 L’aspect propédeutique, et donc structurant de l’enseignement à distance pour l’enseignement supérieur traditionnel, est resitué dans le paradigme de l’industrialisation de l’éducation tel que défini par Moeglin (2016) à l’aide de trois marqueurs : « technologisation, rationalisation, idéologisation » (p. 234). 4 Dans cette perspective, la raison d’être de l’UVA est abordée non sous l’aspect de l’augmentation de l’accès à l’enseignement supérieur dans les pays d’Afrique subsaharienne, mais au regard des transformations auxquelles elle donne lieu. Ce faisant, une séparation apparaît entre la forme première de l’UVA et son fond idéologique, ce dernier étant ainsi rendu disponible pour se fixer sur d’autres formes et s’articuler avec d’autres idéologies comme en témoigne la décision prise par l’Union Africaine en 2017 de faire de l’UVA le sixième institut dédié à l’enseignement en ligne de l’Université Panafricaine (Union Africaine, 2017 ; Waruru, 2017). Raison d’être de l’Université Virtuelle Africaine (UVA) Distances et médiations des savoirs, 24 | 2018 1 Paradoxes de l’UVA, TIC en 2002 et impression d’anticipation 5 Lancée en 1997 par la Banque mondiale comme une start-up d’enseignement à distance supportée par les nouvelles technologies sans fil, l’UVA se présente comme un réseau de centres implantés dans les universités traditionnelles de 11 pays d’Afrique subsaharienne avec pour objectif d’améliorer significativement l’accès à l’enseignement supérieur. 6 Cependant, en raison de sa dépendance aux subventions de la Banque mondiale et de l’échec de son objectif d’autofinancement, l’UVA est transformée en 2003 en organisation intergouvernementale grâce à la ratification d’une charte par 15 pays d’Afrique subsaharienne. 7 Toutefois, en 2018, malgré les importants capitaux investis par plusieurs organisations internationales d’aide au développement au nom de la mission de bien public que représente l’enseignement supérieur, couplés à son implantation au sein de 53 institutions universitaires de 30 pays d’Afrique subsaharienne faisant de l’UVA le principal réseau panafricain en formation Ouverte, à Distance et eLearning (ODeL) (UVA, Rapport annuel 2014-2015, p. 8), l’UVA ne semble pas avoir permis d’accroitre significativement l’accès à l’enseignement supérieur d’Afrique subsaharienne. 8 En effet, selon l’Institut de Statistique de l’Unesco (2010), les effectifs d’inscrits dans l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne sont passés de moins de 200 000 en 1970 à plus de 4.5 millions en 2008. Ainsi, au regard des effectifs formés (et non diplômés) annoncés par l’UVA en 2017 sur son site web, soit 63 823 dans 53 institutions partenaires de 27 pays africains en 20 ans d’existence, il parait difficile de conclure à la contribution de l’UVA en termes d’accroissement significatif de l’accès des étudiants africains à l’enseignement supérieur. D’autant plus que ces effectifs font l’objet de controverses (Loiret, 2007) et sont difficilement vérifiables, ceux-ci ne faisant l’objet d’aucune publication régulière. 9 Un entretien mené auprès d’un ancien responsable de l’UVA (Lendrin, 2018) confirme ce paradoxe : l’UVA est un fournisseur d’enseignement à distance qui vise la « quantité » grâce à une technologie qui doit permettre de toucher un grand nombre d’étudiants, mais le dispositif n’aboutit pas à une augmentation du nombre d’étudiants dans les universités africaines. En revanche, l’apport et la sensibilisation technologiques constitueraient l’impact principal de l’UVA pour l’enseignement supérieur africain (Lendrin, 2018) dans le sens où l’UVA « est devenue le centre d’une culture TIC dans plusieurs universités africaines » (Prakash, 2003, p. 4). 10 Si l’implantation de l’UVA semble avoir été plus difficile en Afrique francophone, « Chez les anglophones, notamment d’Afrique, le scepticisme concernant l’impact de l’UVA s’exprime assez tôt » (Loiret, 2007, p. 169). L’entretien effectué confirme que le succès de l’implantation de l’UVA dépend surtout de la capacité de réception du milieu, y compris en Afrique anglophone puisque par exemple, pour l’université de Juba au Sud Soudan, qui est assez jeune et a peu de moyens, « le centre UVA n’a pas apporté grand-chose parce qu’ils n’arrivaient pas à mettre en œuvre le modèle alors que par exemple l’Université de Port Harcourt au Nigéria qui a beaucoup plus de moyens a eu beaucoup plus de facilité » (Lendrin, 2018). 11 Au regard des taux d’accès aux lignes téléphoniques et à Internet en Afrique à l’époque de son lancement, l’étude de cas de l’UVA donne ainsi une impression d’anticipation qui ne Raison d’être de l’Université Virtuelle Africaine (UVA) Distances et médiations des savoirs, 24 | 2018 2 semble pas attribuable à une autonomie du déploiement de la technique au sens d’Ellul (1977), puisque les infrastructures faisaient défaut. En effet, en 2002, avec 18,5 lignes téléphoniques pour 1000 habitants (à comparer avec plus de 300 pour 1000 en Amérique du Nord et en Europe) et un taux d’accès à Internet de 1 pour 5000 habitants (à comparer au taux de 1 pour 6 en Amérique du Nord et en Europe, et de 1 pour 40 dans le monde) l’Afrique présente les plus faibles taux d’accès aux lignes téléphoniques et à Internet du monde, et ceux-ci sont par ailleurs concentrés en zones urbaines et en Afrique du Sud (Murphy, Anzalone, Bosch et Moulton, 2002). 12 De plus, l’UVA étant un projet de la Banque mondiale, son introduction dans les universités traditionnelles africaines n’est pas non plus attribuable aux pays africains eux-mêmes, ces derniers auraient probablement intégré les évolutions technologiques à leur développement, comme le montre le cas du Centre de Télé-enseignement de Madagascar, mais peut-être par d’autres chemins que celui impulsé par la Banque mondiale, et qui par ailleurs, c’est particulièrement perceptible en Afrique francophone, est teinté de l’idéologie néolibérale qui vise à faire de l’enseignement supérieur un service au moins partiellement à la charge des étudiants. 13 À cela s’ajoutent les aveux de la Banque mondiale qui reconnait que le projet de l’UVA n’était pas adapté au contexte technologique africain puisque le manque d’électricité et d’accès aux lignes téléphoniques était déjà problématique, ni au contexte économique dans lequel « La plupart des Africains n’ont pas les moyens de s’acheter un ordinateur personnel » (Prakash, 2003, p. 4). Selon une étude de 2001 du Commonwealth of Learning, le contexte africain et notamment les infrastructures de communication étaient en effet inadaptés aux ambitions de l’UVA qui est censée être une réponse rapide, apportée par la formation à distance supportée par les TIC, au problème de la massification et de l’engorgement des universités africaines (Loiret, 2007). 14 L’UVA apparait ainsi comme « un objet politique » dont la contribution concerne principalement l’étape de diffusion des techniques les plus récentes et de l’idéologie qui les accompagne : l’UVA a « permis une dissémination des concepts, même si le modèle de développement qu’elle avait choisi n’était pas adapté au terrain auquel il était destiné » (Loiret, 2007, p. 23). 15 En effet, l’inadaptation par rapport au milieu africain, si évidente qu’elle soit, n’est pas essentielle au regard du déploiement de la technique puisque « la nécessité de l’adaptation non à un milieu défini à titre exclusif, mais à la fonction de mise en relation de deux milieux l’un et l’autre en évolution, limite l’adaptation et la précise dans le sens de l’autonomie et de la concrétisation. Là est le véritable progrès technique » (Simondon, 1958, p. 53). L’industrialisation de l’éducation comme processus de concrétisation 16 Selon Simondon (1958), l’objet technique « primitif » qui n’assume qu’une seule fonction donnée, évolue vers le stade d’objet technique « concret », c’est-à-dire industriel, par un processus de concrétisation au cours duquel, pour répondre à la multiplicité des usages, l’objet technique voit d’abord ses structures se diversifier. uploads/Litterature/ dms-3089-lendrin-raison-detre-uva.pdf

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