- 27 - L’Enseignement de la Langue française et de la Littérature française dan

- 27 - L’Enseignement de la Langue française et de la Littérature française dans le Secondaire et à l’Université en Afrique francophone Guy Ossito Midiohouan Professeur de littérature africaine Université Nationale du Bénin (Cotonou) C’est en février 1972 que la Conférence des ministres de l’Education nationale des Etats d’expression française d’Afrique et de Madagascar adopta la réforme prescrivant l’introduction de la littérature africaine dans les programmes d’enseignement du français en Afrique dite francophone. Dans presque tous les pays concernés, l’application de cette réforme ne tarda point à devenir une réalité, même si la conception des programmes, leur exécution et la formation des formateurs posaient de nombreux problèmes. Quel bilan peut-on faire de cette réforme aujourd’hui, plus de vingt-cinq ans après ? Quels sont les nouveaux problèmes qui ont surgi et qui attendent des solutions pour une meilleure efficacité du système ? Bilan de la réforme de 1972 La réforme de 1972 a pour objectif de restituer aux Africains la parole que le colonisateur a longtemps confisquée, de leur permettre de cesser d’être simplement des objets, pour devenir des sujets pensants et maîtres de leur destin-malgré le handicap de la langue. Elle ne s’est pourtant pas imposée sans mal, certains enseignants la tenant même pour responsable de la baisse du niveau des élèves en français. Ainsi, selon célestin F. Nékpo, auteur de Comment parlons-nous français1 ?, ouvrage au demeurant opportun et fort utile, si nous avons de plus en plus tendance à mal parler le français, c’est parce que ‘‘l’enseignement de ‘la littérature africaine d’expression française’ a pris le pas (dans nos établissements secondaires) sur l’enseignement de la grammaire en tant que telle2’’. Cette situation serait imposée par le ‘’pouvoir politique’’ à l’enseignant à qui C.F. Nékpo ‘’fait justice’’ en le présentant comme un simple ‘’exécutant sans grande liberté de manœuvre, même s’il a eu à participer, dans des Commissions ad’hoc’, à l’élaboration des contenus qu’il devrait enseigner par la suite3. Cette opinion appelle quelques observations. D’abord, on peut se demander pourquoi C.F. Nékpo incrimine uniquement la littérature africaine, alors que la littérature française continue, elle aussi, de faire partie du programme avec une importance réduite, il est vrai. La littérature française serait-elle plus apte à l’enseignement de la grammaire ? On incline à croire que Nékpo rejoint certains professeurs de français qui pensent qu’on ne peut apprendre le français sans les auteurs français de Lagarde et Michard. Il va même un peu plus loin, puisqu’il écrit : ‘’Nous sommes pour la reconnaissance et le respect par l’Occident colonisateur et civilisateur de l’identité culturelle de l’Afrique, toutes choses qui passent par la promotion effective des langues africaines à la dignité de langues d’enseignement, et véhiculaires de notre culture propre. Mais en attendant l’avènement - 27 - - 28 - du ‘Grand Soir’, faisons ce que nous faisons depuis la colonisation et faisons-le bien. C’est notre credo4 !. Ensuite, comme l’on ne saurait considérer les facteurs politiques qui ont pu contribuer à la dégradation du français, particulièrement au Bénin, comme la cause exclusive du phénomène, de même l’introduction de la littérature africaine dans les programmes d’enseignement ne doit pas être perçue comme une simple décision des pouvoirs politiques. C’est plutôt la conséquence d’une remise en cause de l’enseignement colonial par les intellectuels, et cette décision s’inscrit dans un programme d’adaptation de l’enseignement au milieu souhaité par tous et qui est loin d’être réalisé. Enfin, sous prétexte de ‘’faire justice’’ aux enseignants, Nékpo ne fait que les flatter par esprit de corps en leur donnant bonne conscience. Car les enseignants ont bel et bien leur part de responsabilité dans la dégradation subie par le français. Comme l’a écrit Léopold Sédar Senghor : ‘’La faute essentielle de cette dégradation nous revient, à nous professeurs. Comme on le sait, dans les lycées et collègues, même dans le premier cycle […], les professeurs, dédaignant la grammaire, se jettent dans la littérature (sic) et la distribution à pleine bouche. La mode est d’abandonner la dissertation pour le compte-rendu de lecture, qui tourne souvent au bavardage stérile. Il est temps de revenir à l’enseignement vrai, qui est d’apprendre à parler et écrire correctement, à penser et à s’exprimer justement. Les professeurs doivent enseigner la grammaire jusqu’en seconde, et même au-delà, c’est-à-dire apprendre à observer les règles du vocabulaire, de la morphologie et, surtout de la syntaxe. Il est temps qu’en littérature, on cesse de paraphraser, mal, les écrivains pour étudier les techniques de leur écriture et les enseigner, qu’on finisse de s’extasier devant un poème pour dire par quels moyens stylistiques il est beau et nous charme5’’. Si le français se dégrade, ce n’est pas parce que la littérature française prend le pas sur la grammaire ; c’est bien, dans une large mesure, parce que les professeurs de français ne savent pas enseigner, ne savent pas se servir de la littérature, qu’elle soit africaine ou française. On peut enseigner ‘’la grammaire en tant que telle’’ à partir de textes d’auteurs africains. La solution ne réside donc pas dans un retour à la pédagogique coloniale, ni dans la réduction de la part de la littérature africaine dans les programmes, mais dans la définition d’une nouvelle pédagogie qui répond aux nouveaux objectifs de l’enseignement du français. Ces réticences qui viennent d’être évoquées n’ont pas résisté longtemps à l’épreuve des faits. L’auteur d’un article paru en 1984 sur ‘’l’enseignement des (sic) littératures africaines’’ au bénin écrit : ‘’Les instructions officielles accordent la priorité aux littératures africaines : cela signifie que la part de cette discipline dans les programmes est plus importante que celle accordée à la littérature française et aux œuvres étrangères traduites en français’’ ; et il ajoute : ‘’Etre professeur de lettres dans le second cycle de l’enseignement secondaire, c’est être d’abord professeur de littératures africaines6’’. Quant à l’université africaine, elle ne s’est pas toujours montrée à la hauteur des exigences de la réforme de 19727. En 1983, le programme des études de lettres modernes à l’Université Nationale du Bénin dénotait encore un culte persistant de la France et de la littérature française. Ce n’est que cette année-là qu’une réflexion générale sur l’enseignement dispensé dans ce département à abouti à l’affirmation de la primauté de l’Afrique et de la littérature africaine dans la formation de nos étudiants. Certes, ils sont malheureusement légion aujourd’hui les produits de ce système incapables de faire la différence entre un professeur de français et un professeur de littérature africaine (orale ou écrite)8. Il n’empêche que la réforme de 1972 marqua dans nos pays l’ouverture d’une ère nouvelle dans le domaine de l’éducation, en initiant un processus dont le développement s’est accéléré par la suite sous l’influence de plusieurs facteurs convergents. - 29 - Parmi Ces facteurs, il faut d’abord retenir la prise de conscience des Etats africains en général, et des responsables de l’enseignement en particulier, qui manifestent une volonté de plus en plus ferme d’enraciner l’enseignement dans le milieu et d’en faire un facteur de développement, de prise de conscience politique et culturelle. Un autre élément important est l’évolution du système éducatif qui, malgré ses insuffisances notoires, permet aujourd’hui aux jeunes Africains d’être formés de la maternelle à l’Université sur place en Afrique ; je veux dire sans être obligés, à une période cruciale de leur vie (grosso modo entre vingt et trente ans), de s’expatrier comme ce fut le cas naguère pour leurs aînés, faisant ainsi l’économie de certaines perturbations, voire de traumatismes aux conséquences parfois lourdes. Enfin, il y a l’indéniable engouement des élèves et étudiants eux-mêmes pour la littérature africaine, engouement que révèle non seulement le nombre des thèses, mémoires et autres travaux préparés chaque année dans nos Universités, mais surtout l’intérêt enthousiaste et actif que ces élèves et étudiants manifestent d’une façon générale à l’égard d’une discipline que l’histoire tourmentée du continent, la conscience aiguë d’une identité à sauvegarder et à affirmer ainsi que les anomalies quotidiennement vécues leur font aborder avec une forte charge émotive doublée d’un esprit passablement militant ; tant il est vrai que, pour l’écrivain africain autant que pour son public naturel, même aujourd’hui où l’on parle beaucoup de démocratie, la littérature est souvent un refuge, l’espace où l’on se retire pour traiter des questions fondamentales dont on ne peut débattre autrement en raison de la vigilance musclée des pouvoirs politiques. C’est dire la réforme de 1972 s’inscrit dans un processus irréversible. Après plus d’un quart de siècle d’application, il convient de se pencher sur les principaux problèmes qu’elle pose aujourd’hui afin de dégager de nouvelles perspectives pour l’enseignement de la langue française et la littérature africaine dans le Secondaire et à l’Université. Pour une révision du programme dans le Secondaire Il faut reconnaître que la réforme de 1972 a été mise en œuvre dans un contexte de pénurie (manque de livres, de manuels, de professeurs aguerris) qui ne s’est jamais notablement amélioré. La réflexion pédagogique sur l’enseignement de la littérature africaine dans le secondaire s’est effectuée, dans l’ensemble, dans la précipitation et demeure largement insuffisante. L’accent a été mis beaucoup plus sur le contenu uploads/Litterature/ enseignement.pdf

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