Drame et théorie du drame Peter Szondi et le theatre moderne Michael Hays p. 75

Drame et théorie du drame Peter Szondi et le theatre moderne Michael Hays p. 75-103 TEXTE NOTES AUTEUR TEXTE INTÉGRAL Parce que la forme d’une œuvre d’art semble toujours exprimer quelque chose d’inquestionnable, nous n’atteignons d’ordinaire une claire compréhension de ces énoncés formels que lorsque l’inquestionnable a été questionné et lorsque l’évidence est devenue problématique. Peter Szondi Théorie du draine moderne 1De nos jours, à la lumière du structuralisme et de la sémiotique, ces mots sembleront sans grande originalité. Certains d’entre vous auront certainement saisi l’allusion à la chouette de Hegel – ou devrais-je dire Minerve ? Ainsi Peter Szondi pourrait n’apparaître au premier abord que comme un avatar récent de la « vieille » esthétique hégélienne. Son œuvre a certes insufflé une nouvelle vie à cette tradition, mais elle s’en distingue aussi notablement, et ces frontières définissent la position historique de Szondi, et sa contribution à la critique moderne et à la théorie herméneutique. J’espère parvenir à rendre justice à une partie de cette contribution en examinant la nature et les implications du travail de Szondi sur le drame. 2Il est certain que Szondi a puisé sa première inspiration dans Hegel et ses successeurs, Lukács et Adorno. La relation est évidente dans les sections initiales de son premier livre, La théorie du drame moderne, où il impose pour la première fois l’idée que la forme dramatique n’est pas une entité abstraite, indépendante du temps et de l’espace, étant inextricablement liée au contenu qu’elle informe. Szondi cite Hegel : « Le contenu n’est que l’inversion de la forme dans le contenu, et la forme n’est rien que l’inversion du contenu dans la forme ». Il cite également une métaphore chimique employée par Adorno pour exprimer la même idée : la forme est un « précipité » du contenu. Avec des emprunts de cette sorte, il est en mesure d’établir rapidement le point de départ théorique de sa propre analyse du drame : la structure formelle est aussi importante que son contenu pour le processus de signification dans une pièce. Pour Szondi, il n’y a pas de forme qui existerait au-delà de son usage. Il n’y a que des ensembles particuliers de relations forme/contenu, et la forme, ainsi que le contenu, doit être « lue » comme un énoncé sur la nature et la signification de l’entreprise esthétique dans son ensemble : la forme dramatique codifie les énoncés sur l’existence humaine. • 1 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris 1958, p. 28. 3Szondi propose donc un modèle « structurel » du drame, mais à la différence des structures imaginées par Lévi-Strauss, celles de Szondi ne sont pas « fondamentalement les mêmes pour tous les esprits, anciens et modernes, primitifs et civilisés... »1. Elles sont inextricablement liées à la situation historique et idéologique dans laquelle elles se développent. Cette historicisation de l’idée de forme élimine la possibilité de toute poétique systématique et normative. Les distinctions formelles qui ont été utilisées traditionnellement pour désigner les caractéristiques « universelles » de chacun de ces genres supérieurs ont été transformées en catégories historiques. On ne peut étudier un genre en dehors d’un contexte historique spécifique, et, de ce fait, il est inutile d’étudier le drame grec – par exemple – ou médiéval dans les termes que l’on emploierait pour le drame du 18ème siècle ou le drame moderne. La signification de cette historicisation du drame et de la critique n’est pas dépourvue de profondeur. Il n’est plus possible d’établir une continuité simple à l’intérieur de la tradition, critique ou littéraire. L’histoire de la littérature cesse d’être histoire au sens où l’est une série diachronique de relations causales. Szondi en fait paraît sur le point de proposer le même type de structure non linéaire que l’on reprochait à Lévi-Strauss. A cet endroit, l’histoire de la littérature semble n’être qu’une série de moments juxtaposés, synchroniques, chacun ayant ses propres systèmes de structure et de sens, chacun étant indépendant de ce qui, provisoirement, le précède ou le suit. • 2 TMD, I, p. 12. 4La théorie de Szondi évite cependant cet écueil historique de deux façons. En premier lieu, il démontre dans son propre ouvrage qu’il est non seulement possible, mais parfois nécessaire d’examiner une forme, un moment, en relation avec ce qui le précédait immédiatement. L’histoire se manifeste alors dans la démonstration de la différence. C’est là (j’y reviendrai) ce que fait Szondi dans son ouvrage sur le drame moderne, quand il l’analyse du point de vue de son échec à maintenir la relation forme/contenu du drame antérieur : l’auteur moderne essaie de résoudre la contradiction entre un contenu social renouvelé et une forme qui, parce qu’elle est historiquement déterminée, n’est plus capable d’informer l’énoncé du contenu. L’histoire et le processus de changement apparaissent ici comme des « contradictions techniques », comme des « difficultés techniques internes à l’œuvre concrète elle-même »2. Ce point est de la plus haute importance pour la compréhension de la méthode de Szondi. On voit qu’à la différence d’autres critiques, également préoccupés par l’histoire, il admet que la problématique sociale d’un âge ne se manifeste pas simplement dans le contenu de l’œuvre d’art. Elle apparaît comme une partie du processus formel de signification : les contradictions sociales se présentent comme des problèmes esthétiques que l’œuvre d’art elle-même tente de résoudre. Ainsi, comme l’indique Szondi dans son essai sur Diderot, le mouvement du cercle herméneutique doit aller du texte au contexte social pour ensuite retourner au texte (je reviendrai par la suite plus précisément sur la façon dont il faut définir ce « texte »). Pour le moment, je souhaite simplement montrer comment Szondi organise, avec succès selon moi, le processus d’étude de l’interrelation entre langage, texte et histoire. 5La deuxième source du mouvement diachronique se trouve dans la relation du critique à l’objet de son étude. Szondi nous rappelle que la critique et les modèles critiques sont aussi des phénomènes reliés à l’histoire, et que, de ce fait, les interprètes ont tendance à isoler, à fixer ce qui en réalité peut faire partie d’un processus. Une construction de modèle peut s’avérer réussie, quand le critique se tourne vers le passé. Il prouve en fait sa propre distance historique vis-à-vis de ce passé par sa capacité de définir et de cerner les processus formels antérieurs. Mais il marque également sa position historique par son incapacité à sortir de son propre cadre historico-conceptuel de référence. Les critiques, Szondi inclus, nous permettent de comprendre les processus socio-esthétiques et de percevoir ce qui est fondamentalement nouveau à leur époque, par leur impuissance à rendre compte adéquatement de ces nouvelles structures artistiques. L’histoire se manifeste dans ce qui est laissé de côté, dans ce que la rhétorique critique ne peut nommer. 6Malgré ces limitations, le critique peut essayer d’établir ce que Szondi appelle une « sémantique de la forme », et l’on peut l’employer à analyser la relation forme/contenu d’une période historique donnée. Il semble que Szondi pense ici à la possibilité d’une analyse sémiotique des structures signifiantes qui organisent l’action dramatique dans son ensemble. S’il ne l’a pas exactement dit, c’est parce que ces termes n’existaient pas encore pour lui. Le langage de Szondi, et le choix de ses centres d’intérêt, comme l’annonce sa théorie, dépendent de sa situation. Les termes qu’il emploie ne sont pas moins adéquats à l’analyse des formes et de la théorie du drame antérieur. S’ils ne fonctionnent que partiellement pour le drame moderne, c’est que Szondi ne peut échapper à sa contemporanéité avec l’objet de son étude. Comme je vais essayer de le démontrer, un autre mouvement historique est nécessaire pour traiter des principes formels de ce qui est moderne dans le sens absolu. Szondi a pu anticiper ce problème, mais il n’a pas vécu assez longtemps pour le dépasser. C’est pourquoi nous devons considérer son œuvre sous deux angles : tout d’abord du point de vue de la description, réussie, des premières formes dramatiques, et ensuite du point de vue de sa méthode, et pour ce qu’elle nous apporte dans notre approche du drame récent. 7En analysant le drame du 17ème et du 18ème siècles, Szondi entreprend de montrer les homologies qui existent entre les propriétés signifiantes de l’espace, de l’action, du décor, du langage, et du geste. Il montre comment ces systèmes collaborent pour créer une « perspective » conceptuelle unique. J’ai emprunté ce terme à la peinture, mais il paraît particulièrement approprié au processus, idéologiquement déterminé, de construction des tableaux, décrit par Szondi. Le drame de ces périodes présentait le tableau d’un monde dans lequel la vie était définie exclusivement du point de vue de la structure des relations interpersonnelles et de leurs produits. Comme le dit Szondi : « Le médium verbal de ce monde interpersonnel était le dialogue. Pendant la Renaissance, après l’exclusion du prologue, du chœur et de l’épilogue, le dialogue devint, pour la première fois peut- être dans l’histoire du théâtre..., le seul élément constitutif de la texture dramatique. A cet égard, le drame classique se distingue non seulement de la tragédie antique, mais aussi uploads/Litterature/ drame-et-theorie-du-drame-03.pdf

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