Publications de l'École française de Rome Hagiographie et enjeux urbains au Mar
Publications de l'École française de Rome Hagiographie et enjeux urbains au Maroc. Une biographie d'Idrîs II Abdelahad Sebti Résumé Idrîs II (d. 828) est un roi sanctifié post mortem et aussi le patron de la ville de Fès dont la tradition historiographique lui attribue la fondation. En 1687, un lettré originaire d'Alep lui consacre une bio-hagiographie tardive. L'analyse de celle-ci permet de dégager différentes modalités de sanctification, lesquelles peuvent être ramenées à quatre moments significatifs : la fondation de la ville, la sanctification du fondateur, la constitution d'un centre symbolique et une protection se déployant de manière concentrique. Ce même ouvrage permet, par ailleurs, d'esquisser les caractéristiques d'un «style» marocain des rapports entre pouvoir central, religiosité et enjeux urbains. Citer ce document / Cite this document : Sebti Abdelahad. Hagiographie et enjeux urbains au Maroc. Une biographie d'Idrîs II. In: La religion civique à l’époque médiévale et moderne (chrétienté et islam) Actes du colloque organisé par le Centre de recherche «Histoire sociale et culturelle de l'Occident. XIIe-XVIIIe siècle» de l'Université de Paris X-Nanterre et l'Institut universitaire de France (Nanterre, 21- 23 juin 1993) Rome : École Française de Rome, 1995. pp. 77-88. (Publications de l'École française de Rome, 213); https://www.persee.fr/doc/efr_0223-5099_1995_act_213_1_4937 Fichier pdf généré le 30/03/2018 ABDELAHAD SEBTI HAGIOGRAPHIE ET ENJEUX URBAINS AU MAROC. UNE BIOGRAPHIE DlDRÎS II Idrîs Π est le patron de la ville de Fès dont la tradition lui attribue la fondation. Il est le fils homonyme d'un descendant du Prophète qui, échappé d'un massacre, ou plus probablement propagandiste d'un mouvement shiite modéré sur une marge de l'Empire abbasside fonde, au Maroc en 789 une dynastie locale1, en rupture avec le Khalifat de Baghdad, et plus tard en voisinage tendu avec un autre pouvoir transfuge du Mashriq, celui des Omayyades d'Espagne. Or le hasard veut qu'un lettré d'Alep, adopté par Fès, rédige en 1687 la première bio-hagiographie dldrîs II mort en 828. Retenons cet indice de durée dans la constitution du mythe idrisside, et dans l'élaboration du culte qui lui a été consacré. J'ai choisi d'examiner ici un ouvrage qui, dans une conjoncture précise, permet d'approcher la cohérence d'une figure magnifiée, et surtout d'esquisser des questions relatives à la problématique plus vaste du saint patron dans la tradition marocaine. Ahmad ibn Abd al-Hayy al-Halabî naît en Syrie; c'est au Mashriq qu'il effectue ses études auprès de grands maîtres, avant de rejoindre Fès à la fin des années 16602. Halabî maintient son appartenance à la doctrine shafiite, il s'interdit donc d'intervenir dans le débat des juristes marocains qui sont plutôt d'obédience malikite. Il compose par contre une vingtaine d'ouvrages, en prose et en poésie, brillant particulièrement dans le panégyrique du Prophète, avec une fougue qui ne manque pas de lui susciter des détracteurs. C'est 1 Sur l'histoire de cette dynastie, dont la connaissance est encore très lacunaire et les matériaux factuels peu consistants, voir D. Eustache, art. Idris- sides (Adarisa)», dans Encyclopédie de l'Iskm, 2e éd., 3, 1971, p. 1061-1063; J. Bri- gnon et al., Histoire du Maroc, Paris/Casablanca, 1967, p. 59-71; I. al-'Arabî, Dawht al-Adârisa muluk TUimsân wa Fâs wa Qurtuba, Beyrouth, 1983. 2 Sur Halabî, voir E. Lévi-Provençal, Les historiens des Chorfa. Essai sur la littérature historique et biographique au Maroc du XVIe au XXe siècle, Paris, 1922, p. 286-287; M. al-QâdirI, Nashr al-mathânî li ahi al-qarn al-hâdî 'ashar wa-thânî, éd. M. Hijji et A. Toufiq, Rabat, 1986, 3, p. 197-201; M. al-KattânÎ, Salwat al- anfâs wa muhâdathat al-akiâs bi-man uqbira min al-'ulamâ was-sulahâ bi-Fâs, lithogr., Fès, 1316 hég. [1899], 2, p. 164-171. 78 ABDELAHAD SEBTC notamment le cas du célèbre Yûsî3 : celui-ci l'admire, lui prodigue des dons, mais il est scandalisé par un poème dans lequel Halabî évoque Dieu à la première personne du singulier. Yûsî ne peut pourtant lui nuire outre mesure car le poète fréquente régulièrement la cour royale de Meknès où l'on admire ses talents. C'est d'ailleurs Dieu lui-même qui annonce à Halabî, en rêve, qu'il donnera naissance à des shurafâ (descendants du Prophète). Halabî donnera sa fille Fâtima à un idrisside, ce qui permet de concrétiser la promesse divine, l'honorant lui-même, et authentifiant du même coup la noblesse de la branche sharifienne à laquelle il s'intégra par alliance. Le sultan 'alawite Ismail arrive au pouvoir en 1672. En 1673, Fès se soumet à la suite d'une révolte qui lui a valu un siège de quatorze mois. C'est donc une reprise en main énergique, réalisée par des gouverneurs autoritaires comme Tilimsânî et Rûsî. Règne encore peu étudié, on en a surtout retenu des traits de centralisation monarchique et la création d'une armée noire de métier4. Et sur le terrain de la compétition politico-religieuse, les sources signalent la mise au pas des confréries religieuses, doublée d'une vaste opération de contrôle des généalogies sharifiennes. Dans ce contexte, Fès se dote de généalogistes notoires tels que Qâdirî et Masnâwî5. Une anecdote nous montre les shurafâ idrissides venus présenter leurs vœux au Sultan à l'occasion d'une fête religieuse. Un clerc, parmi les notabilités présentes, leur pose des questions relatives à leurs propres congénères, les idrissides sont confondus par leur ignorance. Et de retour à Fès, ils s'adressent à 'Abd as-Salâm al-Qâdirî, lui fournissent titres et documents familiaux, et lui demandent avec insistance de leur consacrer son savoir. C'est par ailleurs un temps d'épidémie, ces descendants du Prophète prennent peur, dit-on, à l'idée de mourir tout en laissant une progéniture ignorante de ses origines6. C'est ainsi que Qâdirî rédige Ad-Durr as-saniyy, inventaire des shurafâ hassanides de Fès7. Les idrissides y figurent comme noyau dur, et leur ancêtre fera l'objet d'un autre livre, écrit par Halabî, et intitulé Ad-Durr an-nafîs&. 3 Sur al-Yoûsî, voir J. Berque, Ulémas, fondateurs, insurgés du Maghreb {XVIl· siècle), Paris, 1982, p. 242-248. 4 Sur ce règne, voir J. Berque, op. cit., p. 231 sq.; M. Morsy, La relation de Thomas Pellow. Une lecture du Maroc au 18e siècle, Paris, 1983, p. 44-54. 5 A. Sebti, Au Maroc : sharifisme citadin, charisme et historiographie, dans Annales E.S.C., 41, 1986, p. 437-439. Voir aussi G. Salmon, Von Rahmoun et les généalogies chérifìennes, dans Archives marocaines, 3, 1905, p. 167. 6 M. al-Qâdirî, op. cit., p. 113-114. 7 G. Salmon, Les Chorfa Idrisides de Fès d'après Ibn At-Tayyib Al-Qadiry, dans Archives marocaines, 1, 1904, p. 425-453. 8 A. al-Halabî, Ad-Durr an-nafìs wa-n-nûr al-anîs ft manâqib al-imâm Idrîs HAGIOGRAPHIE ET ENJEUX URBAINS AU MAROC 79 Pourquoi cet ouvrage? C'est d'abord un acte de reconnaissance vis-à-vis du fondateur de Fès. Mais l'auteur nous fait aussi sentir des signes de tension, voire de malveillance au sein de l'élite lettrée de la ville. Dans la préface du Durr, Halabî dénonce les «historiens ignorants» qui évoquent rapidement Idrîs II et s'étalent longuement sur les hommes de commandement et de pouvoir (ahi ar-riâsa wa-l- imâra)9. Et à l'autre bout du livre, c'est une violente diatribe, appelant les châtiments divins exemplaires contre quiconque osera abréger l'ouvrage de Halabî, le modifier, le critiquer sans arguments valables, ou s'en attribuer malhonnêtement la paternité10. Ceci semble souligner une hostilité ambiante, d'autant plus que l'auteur omet de traiter de la configuration généalogique des descendants d'Idrîs Π. Le Durr se subdivise en quatre parties. Halabî commence par la généalogie ascendante d'Idrîs II. Il esquisse ensuite le portrait didrîs Ier. Puis l'auteur aborde les vertus (manâqib) didrîs II, avant de terminer par un relevé des prodiges (karâmât) du fondateur de Fès. C'est à cette dernière partie que je prêterai une attention particulière, car elle permet de saisir les modes d'articulation entre la vie du roi et les pouvoirs du roi sanctifié post mortem. Je suggérerai de distinguer quatre moments : la fondation de la ville, la sanctification du fondateur, la constitution d'un centre symbolique, et la protection. Fondation Fait significatif, la vie du roi-saint ne livre pas la panoplie miraculeuse à laquelle nous a habitués le genre hagiographique musulman. Au lieu de véritables prodiges comme transgressions de l'ordinaire, nous nous retrouvons plutôt devant des traits du roi prodige. Le langage du miracle sert donc à nommer des performances appartenant au registre de la figure modèle, telles que la justice, la science ou la force du pouvoir11. Exception, la fondation de Fès. Sur le site du chantier, Idrîs II rencontre un moine. Celui-ci lui apprend qu'un autre moine, mort depuis cent ans, lui a parlé d'une certaine ville, nommée Sâf qui12, selon les dires d'un livre, est tombée en ruines depuis mille ans, et ihn Idrîs, Fès, lithogr, 1300 hég. (1882-83), 428 p., dorénavant Durr. Édition critique en cours, par M. Qabil, dans le cadre d'un mémoire de D.E.S., Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat. 9 Durr, p. 12. 10 Durr, p. 421. 11 Durr, p. 372-373. 12 Retenons la figure de l'anagramme entre Sâf et Fâs. 80 ABDELAHAD SEBTI retrouvera vie grâce à un descendant du Prophète, portant le nom didrîs13. Au passé immémorial, la tradition associe l'avenir radieux. Piété et prospérité. Science, respect de la Loi, pureté doctrinale, attachement à la Sunna; mais aussi fécondité de la terre, prospérité du négoce, concorde et absence de uploads/Litterature/ efr-0223-5099-1995-act-213-1-4937.pdf
Documents similaires
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/2FmJ3pnEeC29bzNK5FijOmjuCZnLKvI2pZJOL0PfSTYFweFYHZMRr7nxsFKlKNbnWBjQuAj7JdAyDdEAlUwO1LDM.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/35wmOYGtOy6R03oeN2U4OyRLwJ68Vf8BeZqkzQdzFbrkUNzUwh3Y3euwdAtDpWPTBx86EcWmdcH7knMQ6ZjvuWDc.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/NaGOqZg1CTfODQ60C4pChTHzBs1wRqbSOgfMFLWZfH9T4IIe4wj0L2aeNBC3AkIBJVa0jI1FPI5L9sOIUlh3S4uj.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/qKowPDnx0o3vn8TdxS9siuK6Zt1GwewkOI2iC4N3mcp0VyHQpxJd5pqwsKsvuC2BvbFUrEFE7gFgXBD6qqyIsjiO.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/3AFcTQLDswvJz45utkWjZ9tCTvFZ9hbylXcn21vPTk2AKl5LLHnYcr0VnkcfJvdzqoPBOLIVSmduSWCNtsUxrMRw.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/Dkr1nMbrRFwwankShQRAGoP83wGesqQTk6o5q1nvcK6WWDUvUF8wg5EstQNJDu5DeicaSDdaiCIscwfKAKCe5eg5.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/vyweeINsNt2DWqJ9EwtBh9gV83JnOxDUSZ5TBFgsokmHaUrudMzOlqF7CROkmr0Z9bMpDi85uMfaz6gJAq0d7KKy.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/Yc70Qy9MH5AjGUbGfB2XZRRsB7VOKshCe3WbV1vWdnMr1rL1hdehPSoTtFYWhd5pE1EIJaNzLlZmbc9UyGUMKTfh.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/2QqOBNpR7D2FqHmafktTuXH1T7qG9QSjFmpPY0sGWzNehkfH0b1oanP1w8iq5LEEILmvZtAfbiwmkAXscyYmWIfd.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/eu90JrV2iafoRIFG3YZ1ORvdXJDCPDPhH6Ti82jfHRAbQsrYBW4rL2V1MQotV7Pbw6Y2jTy0y6lul08KXdsIJENo.png)
-
19
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Mai 01, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.8621MB