LE VISITEUR ROYAL de HENRIK PONTOPPIDAN lauréat 1917 (DANEMARK) réalisée par LE
LE VISITEUR ROYAL de HENRIK PONTOPPIDAN lauréat 1917 (DANEMARK) réalisée par LES PRESSES DU COMPAGNONNAGE est une sélection des ÉDITIONS ROMBALDI réservée à LA GUILDE DES BIBLIOPHILES LA "PETITE HISTOIRE'' DE L'ATTRIBUTION DU PRIX NOBEL A HENRIK PONTOPPIDAN PAR LE Dr. GUNNAR AHLSTROM MEMBRE DE LA SVENSKA INSTITUTET Traduite du manuscrit suédois par Malou Hôjer N était en 1917; de graves événements s'annonçaient. La guerre, qui entrait dans sa troisième année, faisait rage. A l'anémie dans laquelle s'étaient figés les antagonistes après la terrible saignée de Verdun, succédait la fièvre de nouveaux combats qui se livraient sur une aire plus vaste que le terrain des forts de Vaux et de Douaumont. En février, l'Allemagne déclenchait sur les océans la guerre sous-marine totale qui allait avec une précision inéluctable, amener la déclaration de guerre des États-Unis. Woodrow Wilson entrait en scène, le visage barré d'un pince-nez, et portant déjà dans sa poche les quatorze points. Dans la lointaine Russie, le colosse impérial chancelait sur ses pieds d'argile. La révolution qui avait éclaté à Pétrograd en février décrivait sa trajectoire fatidique, passant par l'abdication du tsar pour arriver en octobre à la prise de pouvoir soviétique. A tous les horizons s'amoncelaient les nuages de la catastrophe. Tout indiquait que l'affrontement final aurait lieu au-delà des barbelés de la pauvre Europe meurtrie et des assauts à la baïon- nette qui s'y livraient. De sa paisible estrade, l'Académie suédoise pouvait dire avec Shakespeare : « La vaste scène du monde offre de plus gran- des tragédies que l'acte que nous jouons ici ». Le sombre duc de Comme il vous plaira aurait trouvé avec qui partager sa mélancolie désabusée autour de la table qu'abritait ce que certains commen- tateurs français se plaisaient à désigner par l'euphémisme de « la coupole de Stockholm ». Dans la situation qui s'était créée, le prix Nobel avait cessé de plaire. La mission, naguère prestigieuse, de désigner les lauréats était devenue un lourd devoir dépourvu de gloire, privé d'applaudissements, et qui n'éveillait même plus l'estime. Le petit acte qui se jouait en même temps que l'immense drame du siècle baignait dans une atmosphère de terne indifférence. Le monde officiel s'en désintéressait. Plus de solennités le 10 décembre. Tout au plus quelques lignes dans les journaux et, au mieux, un ou deux portraits de lauréats. On réservait les gros titres à des actualités plus sensationnelles et plus sanglantes. A ceci s'ajoutaient les préoccupations politiques. Il fallait rester neutre, strictement neutre, dans une situation internationale où une telle attitude n'allait pas sans risque, ce qu'illustraient amplement les nouvelles répandues quotidiennement par la presse. La position de la Suède était — pour le moins — délicate. Le voisinage du riverain germanique de la Baltique, et les rela- tions de plus en plus politisées, de plus en plus sentimentalement intimes avec l'Allemagne amenèrent en 191 7, précisément, une grave tension entre la Suède et les Alliés. La méfiance légitime qu'éprouvaient ceux-ci fut prise en considération, ce qui con- tribua, en mars, à provoquer une crise gouvernementale. Il semblait urgent de prouver que la fidélité à l'idéal de neutralité ne signifiait pas nécessairement une compréhension trop com- plaisante à l'égard des visées guerrières de l'Allemagne. « Les neutres ont décidément toutes les aubaines. Ils ne nous laissent que les risques et les soins d'assurer leur indépen- dance, par-dessus le marché», avait-on pu lire en 1915 dans le Petit Journal^ qui avait en outre évoqué, sans mâcher ses mots, le rapport qui existait entre les prix Nobel, les grenades qui labouraient les champs de bataille et les torpilles lancées au travers des océans : « Les prix Nobel doivent leur origine à l'industrie des explosifs. Après avoir beaucoup travaillé pour que les hommes se tuent plus aisément, le chimiste Nobel voulut que le fruit de son travail encourageât les sciences et les arts de la paix. » Mais il ne fallait pas s'attendre à ce que les hommes chargés d'attribuer ce Prix paradoxal fussent à même de com- prendre que les vrais amis de la paix se trouvaient dans le camp des alliés, poursuivait l'auteur de l'article. « Ne comptons pas dessus : le comité Nobel, qui n'a pas osé naguère donner le Prix 8 à Tolstoï, ne couronnera ni d'Annunzio, ni Wells, ni aucun de ceux qui luttent chez nous pour le triomphe du Droit ». Le raidissement suédois à l'égard de l'Allemagne, qui eut lieu en 191 7, ne porta pas ses fruits immédiatement dans le monde nobélien. On y restait fidèle à la prudence observée dès le début. L'attribution du Prix à un écrivain appartenant à l'un ou à l'autre des états belligérants ne pouvait qu'être interprétée de façon tendancieuse; il fallait donc s'en abstenir. En 191 7, il était d'autant plus facile de se montrer circonspect vis-à-vis des grandes puissances que ni la France ni l'Angleterre n'avaient présenté d'acte de candidature. Aucun candidat allié n'allait donc tour- menter l'esprit des académiciens. Les Allemands, de leur côté, n'avaient proposé qu'un seul de leurs écrivains : Paul Ernst, une étoile de seconde grandeur. En outre on lançait un outsider : Elisabeth Fôrster Nietzsche. C'était le professeur Hans Vaihinger, de Halle, qui renflouait son ancienne proposition. Mais le labeur consacré par cette énergique sœur à l'édition des œuvres de son illustre frère, et le souci qu'elle prenait des archives Friedrich Nietzsche, à Weimar, avaient été jugés de trop peu de poids sur la balance de la grande littérature. Dans cette situation, une solution impliquant un pays Scan- dinave voisin offrait à l'Académie suédoise une élégante manière de sortir indemne des difficultés. En décembre 19 14, les rois de Danemark, de Norvège et de Suède s'étaient rencontrés à Malmoe, entrevue qui avait eu un certain retentissement. La présence, côte à côte, des trois monarques neutres révélait l'existence d'une cohésion nouvelle dans ce coin de la planète, et marquait aussi la fin des dissensions qui avaient antérieurement troublé l'atmos- phère nordique, apaisait surtout les répercussions de la séparation de la Suède et de la Norvège qui s'étaient fait sentir depuis 1905. La célèbre « réunion des trois rois », répétée à Christiania en 191 7, manifestait une heureuse volonté de coopération, le désir de se soutenir mutuellement en cette heure de détresse, ce qui ne resta pas sans résultat. On se mit à penser avec plus d'acuité en termes Scandinaves, et cette orientation créa tout naturelle- ment la perspective dans laquelle le Prix Nobel de littérature de 191 7 fut attribué aux écrivains danois Karl Gjellerup et Henrik Pontoppidan. Pour une raison ou pour une autre, le Times de Londres s'intéressa au choix et y consacra un long article intitulé « Les Danois et le Prix Nobel ». L'auteur, de toute évidence très bien informé sur la littérature Scandinave, avouait ne pas pouvoir discerner les mérites qui avaient valu à Gjellerup une si brillante distinction. Il lui semblait incompréhensible qu'on pût comparer ce nom à ceux d'Anatole France, de Gabriele d'Annunzio ou de Thomas Hardy. Sans compter qu'au Danemark, il existait nombre d'écrivains supérieurs au lauréat. Et il concluait que sans doute d'autres facteurs étaient entrés en jeu. « Nous craignons que ce ne soit pas au seul hasard qu'est dû le fait que l'Académie suédoise a choisi le seul écrivain danois qui soit profondément absorbé par l'esprit de l'Allemagne. Il ne nous appartient pas de critiquer le goût des Académiciens suédois, mais qu'il nous soit permis de déplorer que le Prix Nobel de littérature ait été ainsi amené à constituer une annexe du parti activiste pro-allemand dont la position reste si éminente à Stockholm, en dépit du changement apporté au gouvernement. » Selon cet observateur, l'attribution du Prix aurait donc été une concession accordée aux intérêts germaniques, un geste qui s'intégrait à la puissante accolade que Germania donnait à ses bien-aimés Suédois. En Angleterre, on avait depuis des années négligé la petite Suède, on ne s'était jamais soucié d'y faire con- naître les richesses de la culture anglo-saxonne. Les Allemands en revanche, alertes et empressés, s'étaient toujours montrés affables, bien organisés, prompts à servir une citation de Gœthe ou de Schiller. Et maintenant les Anglais s'apercevaient, mais un peu tard, des lacunes de leur politique culturelle. Devant cette cruelle découverte, ils accusaient les Suédois de germanophilie aiguë. Tout récemment, le célèbre helléniste et pacifiste d'Oxford, Gilbert Murray, s'était rendu à la vénérable université d'Upsala, et il avait eu la douleur d'y constater que, spirituellement, c'était un faubourg de Berlin. Il avait raison, bien entendu, mais il ne fallait pas en accuser exclusivement les pauvres Suédois. Ils avaient bien des motifs de se demander pourquoi l'Angleterre s'était si peu occupée de ses relations universitaires. Mais retournons à nos Danois. Les on-dit les plus extra- vagants ont souvent recelé un grain de vérité, dans le monde 10 nobélien; et en efl'et : dans ce cas, il s'avérait, blanc sur noir, que le choix correspondait à des intérêts allemands. Les actes de candidature étaient explicites et éloquents, non seulement en cette année fatale de 191 7, mais déjà uploads/Litterature/ el-visitante-real-frances.pdf
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- Publié le Fev 22, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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