L’élégie romaine Bien qu’à ses débuts, la structure métrique de l’élégie ne soi
L’élégie romaine Bien qu’à ses débuts, la structure métrique de l’élégie ne soit pas réservée à l’expression de la tristesse amoureuse, les poètes romains vont rendre plus humaines les émotions des héros mythiques, le personnage de l’amant permettant une identification personnelle. L’élégie est alors associée au thème de la passion amoureuse. En effet, les poètes élégiaques romains étaient dans leur majorité de jeunes gens nobles, qui lassés de leurs devoirs militaires, ont transposé ces valeurs guerrières dans l’amour, c’est ce qu’on a appelé la Militia Veneris ou Service de Vénus. S’il y a tristesse, écrit Ovide, ça n’est pas du fait de l’essence de l’élégie, mais parce que l’amour le plus souvent donne naissance à des sentiments malheureux. L’élégie est l’occasion de donner naissance à une posture particulière de leurs auteurs : leur vision de l’amour s’accompagne d’une vision de la société, et de la position du poète, souvent en marge. L’amour élégiaque se place en marge des lois et de la convenance, particulièrement à l’époque augustéenne qui tente de revenir à un « nouvel ordre moral ». Les élégiaques n’ont pas toujours bonne réputation, d’autant plus qu’ils jouent avec l’autobiographie (même s’il ne faut pas voir dans les élégies un récit autobiographique, le je n’étant que conventionnel), peu appréciée à Rome. Avant d’être un genre littéraire, l’élégie romaine est donc un style, une façon de vivre, de penser et d’être, qui fait émerger un point de vue individuel. C’est le poète grec Parthénios, arrivé à Rome comme esclave en 73 av. J-C, qui importa le genre élégiaque. Catulle bientôt prit la relève, tout en donnant une orientation romaine à l’elegia. Catulle Il publie un recueil de poèmes en partie de métrique élégiaque ; l’inspiration érotique très nettement présente donne une première orientation à l’amour élégiaque. Seuls les poèmes 65 à 116 sont composés en distiques élégiaques. La thématique de la passion prend deux formes : la figure d’Ariane abandonnée par Thésée (poème 64), et les amours de Catulle et de Lesbie. La dimension fictionnelle de cette évocation d’expériences personnelles est très importante, le poète jouant avec cette « confusion entre l’auteur et le narrateur ». Il s’agit d’un récit s’appuyant sur de nombreux lieux communs ou topoï (tel que la porte close qui fait obstacle à l’amant), et non de la narration d’événements vécus. La question de la sincérité ne se pose pas au sens moderne. Cependant, on voit bien la naissance d’un je auteur et acteur du texte littéraire, et Catulle est le premier auteur latin à exposer publiquement son amour pour une femme. Cette prise de position est provocatrice, et perçue comme blâmable par ses contemporains. En effet, la passion éprouvée pour une femme est dégradante, puisqu’elle fait de l’homme un esclave, servus et de la femme une domina — thème sur lequel Ovide reviendra. L’homme amoureux d’une femme est un personnage typique et ridicule des comédies de Plaute. Catulle insiste sur le désarroi amoureux, sur l’alternance de bonheur et de désespoir, sur la difficulté de la fidélité. L’amour est perçu comme une douleur, et au poème 76 il en vient à prier les dieux de l’en délivrer. Catulle reste très inspiré par les modèles grecs, qu’il traduit, adapte et imite — à une époque où le concept de plagiat n’existe pas, et où imiter un écrivain est lui rendre hommage. Il assure la transition entre l’élégie hellénistique et l’élégie romaine. Tibulle Tibulle est le premier auteur élégiaque pour qui nous avons une œuvre importante. Né entre 54 et 48 avant J.-C. et mort en 19 avant J.-C., il est originaire du Latium et a passé son enfance à la campagne. Il appartenait à une famille d’ordre équestre (classe sociale riche) mais sa famille, elle, était désargentée. Orphelin de père très jeune, il est élevé par sa mère et sa sœur. Tibulle a reçu une éducation soignée en langue grecque. En 32 avant J.-C. il se place sous la protection d’un grand personnage: Valerius Messala Coruinus (mécène entouré d’un cercle de gens de lettres). Tibulle rencontre à Rome une femme mariée (Plania) qu’il chante dans son recueil élégiaque sous le nom de Dalia. En 31 avant J.-C., Tibulle doit, malgré ses réticences, accompagner Messala dans une campagne militaire en Orient. Mais son voyage est interrompu car il tombe malade. Son éducation à la campagne a une influence considérable dans son œuvre. Tibulle célèbre à la fois l’amour hétérosexuel et homosexuel. Les principaux thèmes de son œuvre sont : l’intuition de la proximité de la mort ; le thème de la recusatio (refus de la quête ambitieuse des richesses ou de la gloire et refus d’écrire par conséquent de la poésie épique) ; l’amour d’une nature rustique imprégnée d’une religiosité archaïque (thème propre à Tibulle). Properce Né à Assise en Ombrie vers 47 avant J-C et mort en 15 av. J-C., c'est un poète latin (sous le règne d'Auguste), auteur d'élégies amoureuses dédiées à Cynthia. Sa famille était d'un rang proche de l'ordre équestre, et fut ruinée en 42 av.J-C. Il étudia le droit à Rome, mais finit par y renoncer pour se consacrer à la poésie. Son premier ouvrage lui valut la protection de Mécène, homme politique et protecteur des arts qui prit également sous son aile Virgile et Horace). Il était l'ami du jeune Ovide et admirait Virgile. Mécène l'avait encouragé à écrire de la grande poésie nationale. L’œuvre de Tibulle Seuls les deux premiers livres de l’œuvre aujourd’hui publiée sous le nom d’Elégies de Tibulle sont entièrement de sa main. Mais on appelle « corpus tibullianum » l’ensemble des manuscrits groupés sous le nom de Tibulle. Il se compose de quatre livres : - le premier comporte dix poèmes de longueur variable. On y trouve deux figures féminines : Délie (1, 2, 3, 5, 6) et Marathus (4 ; 8 ; 9). L’élégie 7 célèbre l’anniversaire de Messala, et la 10e fait l’éloge de la paix. - Le deuxième évoque essentiellement la liaison tumultueuse avec Némésis. - Le reste du corpus est composite. Deux sentiments inspirent surtout la poésie de Tibulle : son amour pour Délie et son goût de la vie champêtre. Dans la seconde moitié du 1er siècle avant J.C. l’élégie latine connaît son apogée : une poésie où se mêlent une vaste érudition mythologique, l’évocation des amours légendaires, les variations de la passion, l’humour, l'expression de la quête du plaisir et l’ambiguïté du désir, une véritable initiation à l’art d’aimer, où la servitude volontaire de l’amour s’oppose à la morale officielle, brave les valeurs traditionnelles romaines, tourne le dos à l’épopée et au style sublime : « Mes chants, ni Calliope ne me les dicte ni Apollon, la femme que j’aime fait tout mon génie » ( Properce) "Catulle a été le premier auteur latin à se prendre comme sujet de son œuvre et à étaler sa passion pour une femme sur la place publique. Cette attitude était largement provocatrice car il était dégradant d'avouer ainsi une telle passion asservissante pour une femme. Le jeune homme amoureux est d'ailleurs le personnage-type des comédies de Plaute par exemple, largement raillé par le public. Ce mépris est sans doute dû à la mentalité selon laquelle la passion amoureuse qui rend l'homme servile devant sa maîtresse (domina) est indigne de l'homme libre, a fortiori d'un citoyen romain. Quand la situation se produisait, le vieux Caton conseillait de fréquenter davantage les courtisanes, pour que "ce bel amour dépérisse bien vite" ! Quand on observe Les Elégies de Catulle, on remarque que les épisodes relatés par les poèmes ne sont pas dans l'ordre chronologique et que certaines pièces sont très proches de celles d'auteurs grecs, de Sappho en particulier. C'est que Catulle traduit, adapte, imite des modèles grecs quelquefois perdus pour nous. L'Antiquité ne connaissait pas le concept du plagiat et reprendre un texte était pour un écrivain latin une manière de faire honneur, de célébrer et de rivaliser avec le modèle grec. Évidemment, si l'on considère l'élégie romaine comme un exercice littéraire, empreint de perfection formelle et d'érudition, on peut se demander si la voix du poète est aussi authentique qu'elle le prétend... Si le poète élégiaque est un écrivain qui dit "je", il n'en reste pas moins que sa sincérité reste un mystère. Le fait qu'il existe une tradition littéraire bien établie avec des lieux communs comme les invectives adressées à la porte close de la bien-aimée peuvent nous faire croire à un exercice de style bien échaudé, et à une poésie finalement bien impersonnelle. Mais la contrainte est-elle vraiment incompatible avec l'originalité ? Voilà ce que la littérature a déjà infirmé de nombreuses fois... La "génération élégiaque" a 20 ans au lendemain de la bataille d'Actium (-31), c'est-à-dire que ces poètes sont nés à la mort d'Ovide. Il s'agit de Tibulle, Properce et Ovide. Ces jeunes gens ont été sensibles à l'enseignement des Géorgiques de Virgile : le vrai sage est celui qui ne se laisse émouvoir "ni par la pourpre des rois ni par les faisceaux de la République" et uploads/Litterature/ elegie-romaine.pdf
Documents similaires










-
25
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 30, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.2306MB