ÉLÉMENTS D'UN PARCOURS D'ÉTUDE ET DE RECHERCHE POUR ENSEIGNER L'ALGÈBRE AU CYCL

ÉLÉMENTS D'UN PARCOURS D'ÉTUDE ET DE RECHERCHE POUR ENSEIGNER L'ALGÈBRE AU CYCLE 4 Yves MATHERON Institut Français de l’Éducation - ENS de Lyon Institut de Mathématiques de Marseille Résumé : Le point de vue sur l’algèbre élémentaire développé en Théorie Anthropologique du Didactique (TAD) permet de la considérer comme processus de modélisation de « programmes de calcul » (Chevallard, 2005). La question fondamentale pour des ingénieries didactiques de développement consiste à rechercher des situations faisant rencontrer la nécessité du savoir à partir d’une question qui puisse l’engendrer et soit dévolue aux élèves. Dans cet article, nous exemplifions trois types de situations expérimentées dans les classes, incluses dans un Parcours d’Étude et de Recherche (PER) permettant une entrée dans l’algèbre reprise en plusieurs fois au long du cycle 4, s’appuyant sur la nécessité de la modélisation de programmes de calcul pour réaliser des calculs plus économiques, puis pour calculer sur ces programmes modélisés. Mots-clés : programmes de calcul, modélisation, parcours d’étude et de recherche, algèbre élémentaire. Abstract : The Anthropological Theory of Didactics (ATD) considers the elementary algebra as a modeling process of “calculation programs” (Chevallard, 2005). The fundamental question for didactical developmental engineering is to look for situations that make the need for knowledge coming from an engendering question for students. In this article, we exemplify three types of situations that we had experienced in classes, included in a Study and Research Course (SRC) allowing an entry into algebra repeated several times at the junior secondary school. It is based on the need for modeling of calculation programs to perform more economical calculations then to calculate on these modeled programs. Keywords : calculation programs, modeling, study and research course, elementary algebra. Introduction - épistémologie de l’algèbre et programmes de calcul Lorsqu’on se penche sur l’histoire et l’épistémologie de l’algèbre, on rencontre tôt ou tard les Élémens d’algèbre de Clairaut édités en 1746. C’est un ouvrage didactique — la visée en est l’enseignement de l’algèbre commencé de zéro — qui s’ouvre, dès les premières pages, sur l’une des questions auxquelles elle répond. Dans l’introduction, et parce qu’il est « l’un des plus propres à faire voir comment ils [les algébristes] sont parvenus à former la science qu’on nomme Algèbre ou Analyse », Clairaut aborde un problème, devenu classique, de partage d’une somme d’argent, des livres à cette époque, dont il expose deux techniques de résolution1. D’une part, comment « aura raisonné un homme, qui, sans aucune teinture de l’Algèbre, sera parvenu à résoudre ce problème » : le type de techniques qu’emploierait cet homme prendrait la forme d’un programme de calcul rédigé en français, selon l’usage en vigueur avant l’« invention » de l’algèbre. Quelques extraits du texte de résolution de Clairaut permettent de montrer cela : Supposons, par exemple, qu’on connaisse la troisième [part] qui est la plus petite, il faudra y ajouter 115 livres, & l’on aura la valeur de la seconde ; ensuite pour avoir la troisième, il faudra ajouter 180 livres à cette seconde, ce qui revient au même que si on ajoutait 180 livres plus 115 1 Il s’agit de partager 890 livres entre trois personnes de sorte que la première en ait 180 de plus que la seconde et la seconde 115 de plus que la troisième. Petit x - n° 108, 2018 - pp. 67 à 86 67 livres ou 295 livres à la troisième. [...] De là, il faut que le triple de la plus petite part, plus 115 livres plus 295 livres ou en une fois plus 410 livres est égal à 890 livres. Or, si le triple de la part qu’on cherche plus 410 livres est égal à 890 livres, il faut donc [...]. D’autre part, en montrant comment « l’Algébriste fait pour résoudre son problème et en caractères Algébriques, ce qui lui suffit d’écrire pour aider sa mémoire ». Clairaut, en opposant ces deux techniques de résolution, retrouve ici le point de vue de Descartes sur la mémoire, dans les Règles pour la direction de l’esprit (1628-1629), qui met l’accent sur le bénéfice que procure l’algèbre : elle soulage la mémoire dans la résolution des problèmes. Car, écrit Clairaut à propos des « non algébristes » dont il montrait la technique recourant à l’usage du français, « à mesure qu’ils avançaient vers la solution d’une question, ils chargeaient leur mémoire de tous les raisonnements qui les avaient conduits au point où ils en étaient ». A contrario, la justification mise en avant par Clairaut pour l’étude de l’algèbre repose sur la nécessité de trouver « une manière plus courte de s’exprimer », grâce à « quelques signes simples, avec lesquels, quelqu’avancés qu’ils fussent dans la solution d’un problème, ils pussent voir d’un coup d’œil ce qu’ils avaient fait et ce qu’il leur restait à faire ». L’écriture et le raisonnement algébriques procurent ainsi une vision plus large de la résolution du problème, ce qui en permet un contrôle à partir du point auquel on est parvenu lors du travail de résolution. À l’opposé, la technique non algébrique de résolution nécessite un effort de mémoire soutenu car elle s’appuie sur des raisonnements assez longs, écrits dans le langage courant, associés à des calculs arithmétiques, soit ce qu’on peut désigner du terme de « programme de calcul ». Sous réserve d’une recherche exhaustive, il ne semble pas exister de définition canonique du terme en dehors de la pratique sur laquelle on s’accorde dans les institutions qui l’utilisent : en France, essentiellement l’Éducation Nationale à travers les documents officiels, programmes et accompagnements, et les manuels. On en trouve une définition dans un mémoire de M2 de l’Université Joseph Fourier (Geoffroy, 2014) : Nous appellerons programme de calcul la description d’une suite d’opérations à effectuer sur un nombre de départ quelconque afin d’obtenir un nouveau nombre, dépendant a priori du nombre de départ. Chevallard (1990) précise que « la description d’une suite d’opérations » a historiquement recouru au langage ordinaire ; c’est le cas de l’exemple utilisé par Clairaut. L’usage partagé au sein des classes du cycle 4 fournit une définition fonctionnelle, en extension, de ce que l’on entend par programme de calcul, qui recouvre les exemples évoqués dans cet article. En ne perdant pas de vue l’épistémologie de l’algèbre élémentaire telle que succinctement exposée ci-dessus à partir de Descartes et Clairaut, il est possible de faire en sorte qu’à travers le parcours d’étude et de recherche (PER) dont quelques grandes lignes sont exposées dans cet article, les élèves éprouvent par eux-mêmes la nécessité d’une entrée dans l’algèbre. Les raisons en sont mathématiques, et non pas imposées par le suivi docile du professeur ou du programme. Mais avant cela, et pour mettre en évidence certains traits présents caractéristiques du travail algébrique, il est nécessaire de faire un petit détour par un exemple. Pour d’évidentes raisons liées aux connaissances d’élèves en début de cycle 4, et aussi parce qu’il apparaîtra purement gratuit au lecteur qui dispose d’une calculatrice ou maîtrise l’algorithme de la multiplication, il ne fait pas partie du PER. Le voici sous forme de programme de calcul P tel qu’on aurait pu le formuler « avant l’invention » de l’algèbre « pour calculer le carré d’un nombre dont l’écriture décimale se termine par 5, prendre la demi-somme des carrés des dizaines encadrant ce nombre, et retrancher 25 ». Selon P : Petit x - n° 108, 2018 68 85 2=1 2(80 2+90 2)!25=1 2 (6 400+8100)!25=1 2 "14500!25=7250!25=7225 Une calculatrice permet d’obtenir ce résultat ; la connaissance de P est donc grandement inutile. Dans le langage contemporain, ce programme de calcul est une technique qui interroge cependant, dès son premier abord : la proposition qui lui est associée est-elle vraie, ou fortuitement vraie pour 85 2 seulement ? Pour répondre, le lecteur sera sans doute tenté de traduire le programme sous forme d’écriture algébrique, puis de mener à bien un calcul élémentaire afin d’établir son degré de vérité, c’est-à-dire de rédiger un raisonnement qui s’apparente à celui-ci : si n est un nombre qui se termine par 5, alors les nombres des dizaines qui l’encadrent sont n!5 et n+5. La demi-somme de leurs carrés moins 25 peut s’écrire et se calculer de la manière suivante : (n!5) 2+(n+5) 2 2 !25=n 2!10n+25+n 2+10n+25 2 !25=2(n 2+25) 2 !25=n 2+25!25=n 2 Ceci prouve que la proposition associée au programme de calcul est vraie quel que soit n. À partir de cet exemple peuvent être relevés plusieurs points qui montrent l’apport du recours aux écritures algébriques pour les programmes de calcul. Une première modélisation permet de désigner par n le nombre dont l’écriture décimale se termine par 5. Elle permet ensuite, et grâce à des ostensifs2 (dans ce cas, les ostensifs scripturaux n, +, !, 2, 5, =, (...) 2 et le trait de fraction) que l’usage familier nous rend transparents, de modéliser les nombres des dizaines qui l’encadrent : n!5 et n+5. Elle se poursuit par l’écriture de leurs carrés. En ce point, il faut remarquer que l’algèbre nous a libérés du fait de uploads/Litterature/ elements-d-x27-un-parcours-d-x27-etude-et-de-recherche-pour-enseigner-l-x27-algebre-au-cycle-4.pdf

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