ENTRETIEN AVEC JEAN DELUMEAU-LE CHRISTIANISME VA MOURIR https://www.cairn.info/

ENTRETIEN AVEC JEAN DELUMEAU-LE CHRISTIANISME VA MOURIR https://www.cairn.info/revue-etudes-2004-5-page- 689.htm Dans Études 2004/5 (Tome 400), pages 689 à 695 format_quote Citer ou exporter Ajouter à ma bibliographie Suivre cette revue Article Bibliographie Sur un sujet proche file_downloadTélécharger 1En janvier dernier, une conférence-débat autour de Jean Delumeau réunissait à Paris, au Centre Sèvres, des lecteurs d’Etudes et de La Vie sur le thème : « Demain, quel christianisme ? » Plusieurs d’entre eux ont demandé à en retrouver les grandes lignes dans la revue, tandis que ceux qui n’avaient pu y assister exprimaient leurs regrets. L’entretien accordé à Laurence Devillairs répond à ces attentes. 2*** 3Dans son ouvrage récemment paru, Guetter l’aurore [*] [*] Voir la note de lecture de Henri Madelin dans Etudes, septembre…, l’historien Jean Delumeau, spécialiste incontesté du « fait religieux » et de l’histoire des mentalités religieuses, plaide pour une réconciliation de nos contemporains avec l’espérance, avec la volonté de croire en un destin divin de l’homme. C’est à l’explication de cet espoir en un christianisme résolument ancré dans le monde moderne et enthousiaste à annoncer un Dieu vivant que se livre ici Jean Delumeau, avec la rigueur de l’historien et la sincérité du croyant. 4– La première question est liée à un étonnement : comment un intellectuel, professeur honoraire au Collège de France, est-il amené à confesser sa foi alors qu’on pourrait penser, spontanément, que raison et foi ne font pas nécessairement bon ménage ? 5– J’ai eu l’occasion de dire dans plusieurs ouvrages, bien que je n’aie pas fait de biographie, que depuis le temps où j’étais étudiant j’avais toujours été très préoccupé par le problème de la déchristianisation. Cette interrogation sur christianisation et déchristianisation apparaît en filigrane dans tous mes ouvrages historiques. Si j’ai été intéressé très tôt par ce problème, c’est, bien entendu, parce que je suis chrétien et que je ne peux rester indifférent devant un problème aussi préoccupant. Il était donc normal que, d’une part, je fasse connaître dans mes livres d’histoire les résultats de mes recherches sur ce problème, et que, d’autre part, je prenne position devant le public pour dire comment et pourquoi, comme historien et comme chrétien, je restais fidèle – si j’ose dire – à la foi de mon enfance. 6– Ces confessions et analyses historiques de la foi ne datent pas d’hier. En 1977, vous aviez publié Le Christianisme va-t-il mourir ?, suivi, en 1985, de Ce que je crois, qui prenait le contre-pied du constat général de la mort de Dieu. Diriez-vous, dix-neuf ans après, que Dieu est bien vivant ? 7– Oui, je le dirais plus que jamais, même si je fais des réserves sur la formule à la mode du « retour de Dieu » ou du « retour du religieux ». Je constate, à l’échelle mondiale et comme observateur de la réalité contemporaine, que Dieu n’est pas mort et qu’il y a environ 80 % de la population de la planète qui pratique une religion (je ne parle bien évidemment pas du seul christianisme). Par ailleurs, en Europe, la région du monde où la déchristianisation est la plus sensible, l’on constate que si beaucoup ont pris leurs distances par rapport aux institutions religieuses, nombreux sont ceux, à l’inverse, qui demeurent préoccupés par les questions de Dieu et de l’au-delà. 8– Ne pourrait-on pas dire que le fait marquant de ces dernières décennies et du monde contemporain est le décalage entre les institutions religieuses et la pratique vécue ? 9– Ce décalage ne fait aucun doute. Perdurera-t-il ? Je ne suis pas futurologue et je me refuse à faire des prévisions dans ce domaine. On pourrait cependant concevoir que les institutions religieuses, dans le catholicisme en particulier, se rapprochent davantage des fidèles et qu’elles atténuent ou diminuent cette distance que l’on croit constater actuellement entre l’organisation et le message. 10– Il reviendrait donc à l’Eglise de diminuer cet écart, de combler la distance ? 11– Oui, puisque ce sont les individus qui ont précisément le sentiment d’une trop grande distance entre l’institution et le peuple chrétien : de différents côtés, j’entends le souhait de la part de chrétiens d’une multiplication des petites communautés locales. 12– Avec cette indépendance par rapport aux institutions et cette volonté de multiplier les petites communautés, n’assisterait-on pas à une protestantisation du catholicisme ? 13– Je refuse le terme de « protestantisation », parce qu’il revêt dans ce contexte précis un sens péjoratif. 14– Parlons alors d’effacement de la doctrine catholique. 15– Oui, c’est préférable, même s’il ne s’agit finalement de rien d’autre que d’une vie où les fidèles auraient davantage de poids qu’ils n’en ont actuellement. Et j’avoue souhaiter que les fidèles aient une plus grande responsabilité dans la vie de l’Eglise. C’est d’ailleurs aussi l’une des raisons pour lesquelles je ne m’oppose pas à l’idée qu’il y ait des prêtres mariés auxquels une mission de sacerdoce, même provisoire, pourrait être confiée : on pourrait ainsi être chargé d’une communauté pendant cinq, six ou sept ans, et passer ensuite la main à un autre responsable. C’est une chose qui n’est pas impensable du strict point de vue de la théologie de l’Eglise catholique. 16– En même temps que se dessinent de nouvelles formes de pratique, l’occasion de formuler un nouveau catéchisme semble se faire jour… 17– Je suis persuadé de cette nécessité de reformuler le Credo. Si l’occasion se présentait, il faudrait commencer ce Credo par la formule de saint Jean : « Dieu est amour. » Le Credo a été rédigé dans des termes du ive siècle, lors du concile de Nicée principalement, puis il a été légèrement reformulé dans le « Symbole des apôtres » ; il reste que c’est un langage qui, pour l’époque, convenait, mais qui devient de plus en plus mystérieux. Quel sens ont pour nos contemporains les formules suivantes : « est descendu aux enfers », « engendré non pas créé », « résurrection de la chair » ? Ma proposition n’est pas isolée ; elle correspond à un besoin ressenti par des prêtres et par des laïcs d’essayer d’exprimer la foi chrétienne dans le langage actuel. Cela devrait constituer un atout majeur de ce que l’on appelle l’inculturation – dans le langage et la société d’aujourd’hui. Il existe, certes, des vérités centrales, mais elles doivent être exprimées dans le langage qui est maintenant le nôtre. 18– Cette proposition d’un nouveau Credo témoigne de votre esprit d’historien qui cherche à « inculturer », à enraciner la foi dans le monde contemporain. Mais, précisément, nos préoccupations actuelles ne nous éloignent-elles pas du christianisme ? Notre inquiétude n’est-elle pas d’abord de parvenir au bonheur ou à la réussite ? 19– Il est certain qu’au moins dans nos pays, compte tenu du progrès technique, de l’allongement de la vie, de l’amélioration des conditions du quotidien, nous accordons beaucoup plus d’importance au bonheur terrestre et à la réussite que nos ancêtres, qui vivaient dans des conditions beaucoup plus difficiles. Cependant, nous buttons et butterons toujours contre un mur, à savoir que la vie a un terme, que nous n’échapperons pas à la mort et que, malgré les réussites médicales et scientifiques, nous n’évacuerons totalement ni la souffrance physique et morale, ni la maladie, ni l’échec. Ces questions-là resteront posées à l’humanité dans n’importe quel siècle et n’importe quelles circonstances. On peut, surtout quand on est jeune et en bonne santé, reporter ces questions à plus tard, s’efforcer de ne pas les poser, mais elles vous rattrapent : vieillir, être malade, mourir. Il est certain que l’une des fonctions majeures de la religion sera toujours d’essayer de répondre aux problèmes de l’échec apparent qu’est la mort. Il y a là une échéance que nous ne pourrons jamais éviter ni contourner, et il y aura donc toujours place dans la réflexion humaine pour une recherche de la solution aux problèmes de la souffrance, du mal et de la mort. 20– La religion parlerait donc davantage de la mort, dont elle nous consolerait, que de la vie, qu’elle « mépriserait » : de nos jours, le soupçon ne pèse-t- il pas sur le chrétien qu’il ne serait pas un « bon vivant » ? 21– Je ferai deux réponses à cette question qui, effectivement, est au cœur des débats contemporains, et en particulier de cette offensive contre le christianisme que nous constatons actuellement dans les médias français. La première est que, si nous lisons la vie de Jésus telle qu’on peut la deviner à travers les évangiles, nous voyons que Jésus n’a pas été un ascète : il est symbolique que le premier miracle relaté soit celui du changement de l’eau en vin (et en vin d’excellente qualité) à l’occasion des noces de Cana. Jésus a été fréquemment ému par la souffrance et a été attentif à la soulager, à tel point qu’il avait acquis une réputation de « thaumaturge ». Dans mon ouvrage Le Péché et la Peur, j’ai eu l’occasion de m’étendre longuement sur le thème du contemptus mundi (le « mépris du monde »). Cette doctrine, qui uploads/Litterature/ entretien-avec-jean-delumeau-le-christianisme-va-mourir.pdf

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