Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle Œuvre intégrale
Objet d’étude : La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle Œuvre intégrale : Gargantua de Rabelais Oral : explication linéaire n°3 François Rabelais est un auteur du XVIe siècle. Il appartient au mouvement de l’Humanise. Parmi ses œuvres principales, nous citons Pantagruel et Gargantua de laquelle est pris l’extrait à expliquer. Après les avoir interpellés dans un « avis aux lecteurs » où il déclarait entre autre que « rire est le propre de l’homme », Rabelais, sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier (anagramme de son nom), s’adresse à nouveau à ses lecteurs dans le prologue dont nous allons étudier le premier paragraphe. Nous soulignons que tous les livres de Rabelais s’ouvrent sur un prologue dans lequel il s’explique sur son ouvrage et donne son mode de fonctionnement, celui-ci n’échappant pas à la règle. Lecture de l’extrait. Nous nous demandons en quoi cet extrait, qui s’inscrit parfaitement dans les aspirations humanistes de la Renaissance, donne le ton de l’ouvrage Gargantua. Nous tenterons de répondre à cette problématique en suivant un plan composé de trois mouvements. Le premier, qui va de la ligne 1 à 4 s’intitule « l’interpellation des lecteurs », le deuxième, de la ligne 4 à 10, aborde « la description des silènes ». Le dernier, quant à lui, de la ligne 10 à 19, est consacré à « la description de Socrate ». Mouvement I : L’interpellation des lecteurs (l. 1 à 4) Cette apostrophe aux lecteurs est à la fois comique et élogieuse. En effet, les destinataires d’Alcofribas Nasier sont des « buveurs » et des « vérolés » connotés tous les deux négativement, mais associés à des adjectifs mélioratifs « illustres » et « précieux », qui soulignent l’inversion des valeurs chère à l’auteur, accentués par l’adverbe d’intensité « très ». Cette dédicace s’adresse donc à ceux qui profitent de la vie, aux épicuriens qui aiment boire, et aux débauchés, qui, à l’instar de Rabelais, sont de bons vivants. La mise en valeur de « vous » au moyen du présentatif « c’est » (l.1) ainsi que l’hyperbole « à personne d’autre » (l.1) montrent l’importance accordée à ce lectorat et l’exclusivité de cette dédicace. Dès la deuxième ligne, Alcofribas Nasier fait référence à un texte antique, Le Banquet de Platon, et évoque l’un des protagonistes, Alcibiade. Cette référence érudite, qu’on peut presque voir ici comme un argument d’autorité, met en avant l’intérêt des humanistes pour la littérature gréco-latine et inscrit ce prologue dans ce mouvement littéraire et artistique. Une fois encore, les valeurs sont inversées, puisque c’est avec les « buveurs » et « vérolés » que Rabelais évoque cette œuvre classique : le corps et l’esprit sont deux entités complémentaires, indissociables pour l’auteur, mais parfois antithétiques : on peut profiter des plaisirs de la vie et être néanmoins instruit et réfléchi. En outre, à la fin de ce mouvement, Socrate est comparé à des «silènes», tandis que le narrateur le désigne par la périphrase «le prince des philosophes» à laquelle est associée l’assertion « sans conteste ». Cette comparaison a tout pour intriguer le lecteur. Mouvement II : La description des silènes (l. 4 à 10) Ici commence une explication très pédagogique de ce que sont les silènes, ainsi que le prouve l’emploi de l’imparfait de description « étaient » et l’adverbe de temps « jadis ». Le narrateur en donne une définition très précise. Il les compare à des objets qui nous sont connus « comme on en voit à présent dans les boutiques des apothicaires » (l.4-5). De plus, au moment de les décrire, il propose un parallélisme entre ce qui est «au-dessus» (l.5) de ces boîtes et ce qui est «à l’intérieur» (l.8). Le narrateur insiste d’abord sur leur aspect extérieur humoristique, divertissant (et sans intérêt » « figures amusantes et frivoles » (l.5). A travers une énumération (figure de style qui souvent sert de colonne vertébrale aux descriptions rabelaisiennes), Alcofribas Nasier liste des créatures imaginaires qui ornent lesdites boites « harpies, satyres, lièvres cornus… » (l.6). Ces animaux sont propres à provoquer la surprise, l’étonnement, et surtout le rire. Cet objectif est d’ailleurs fixé explicitement à la fin de la description. Tout cela est « arbitrairement inventé pour inciter les gens à rire » (l.7). Il en est de même de l’auteur qui surprend et fait rire par ses personnages extraordinaires et ses situations inattendues. Enfin, on apprend que le mot « silène » est issu du nom propre « Silène » qui fait référence à un célèbre personnage mythologique, père adoptif de Bacchus (ou Dionysos), dieu du vin, de l’ivresse, de la débauche, référence qui doit parler aux «buveurs » et autres « vérolés » convoqués précédemment. Mais ces silènes sont bien moins modestes qu’ils le paraissent. Le narrateur crée une disproportion entre la partie extérieure et la partie intérieure de ces boîtes. L’extérieur est évoqué comme nous venons de le voir de manière plus développée et plus fantaisiste. L’intérieur, quant à lui, est traité de manière plus brève et plus sérieuse. Si le narrateur cite des éléments certes rares par le biais d’une nouvelle énumération « le baume, l’ambre gris, l’amome, … » (l.9), ce sont des éléments réels et précieux. Ils sont souvent limités ici à des noms, sans adjectifs, ni compléments. De plus, lorsqu’il parle du contenu précieux des boîtes, il emploie un ton plus sobre et solennel. Mouvement II : La description de Socrate (l.10 à 19) L’expression « tel était Socrate » (l.10) souligne l’aspect étrange du philosophe (et à travers lui le livre, mais aussi le lecteur lui-même). Le narrateur se livre ensuite à une description physique de Socrate et interpelle, à nouveau, le lecteur, par la deuxième personne du pluriel « vous » (l.11). Celui-ci ne peut que sourire en étant associé, au conditionnel, à une réaction comique: il trouverait que Socrate ne vaut pas une «pelure d’oignon» s’il le voyait. Une nouvelle énumération, longue, s’attache à décrire l’aspect extérieur de Socrate, à travers 13 éléments risibles qui insistent sur l’extrême bizarrerie de Socrate. Presque tout dans cette énumération fait ressortir l’étrangeté ridicule du personnage: les métaphores qui déprécient parallèlement des éléments de son visage («le regard d’un taureau, le visage d’un fol »), les éléments parallèles qui évoquent ses mœurs («simple dans ses mœurs, rustique dans ses vêtements »), le jeu, en chiasme encore, sur sa « fortune » matérielle et sentimentale («pauvre de fortune, infortuné en femmes»). Mais s’il est risible, Socrate est loin d’être ridicule. Au-delà de sa laideur physique, c’est un personnage attachant, intéressant, ouvert aux autres. Les parallélismes qui clôturent ce portrait « toujours » + participe présent (« riant, buvant, plaisantant ») dessine un homme affable et bon vivant (tout comme l’auteur et les lecteurs auxquels il s’adresse). La dernière partie de la phrase « toujours dissimulant son divin savoir » à pour vocation d’interroger le lecteur, le surprendre, créer une attente : Socrate n’est pas qu’une enveloppe corporelle, et à l’instar des silènes recèle une grande profondeur d’âme. Cette expression est la clé de l’œuvre : sous l’écorce légère se cache quelque chose de plus profond. La conjonction de coordination « Mais » (l.15), qui marque l’opposition, souligne une rupture et laisse découvrir le vrai visage de Socrate, son esprit, son for intérieur, à travers une nouvelle énumération de ses qualités intellectuelles regroupées sous la métaphore « un céleste et inappréciable ingrédient ». Le narrateur liste, pour parler de ce qui est synthétisé au singulier par le terme de «ingrédient», sept qualités morales chaque fois accompagnées d’un qualificatif hyperbolique: ces hyperboles, dont trois sont construites en écho avec le préfixe in- («inappréciable», «invincible», «sans pareille», «parfaite», «incroyable»), font bien ressortir la grandeur de Socrate. Le narrateur en fait l’éloge ici. Ce portrait se termine sur l’opposition entre Socrate et les vaines préoccupations des hommes à travers une ultime énumération de verbes à l’infinitif annoncée par le verbe « s’appliquent » au présent de vérité générale « veiller, courir, travailler, naviguer, guerroyer ». Il s’agit d’actions quotidiennes du commun des mortels qui est toujours dans l’agitation et l’inquiétude constante, loin des aspirations intellectuelles du philosophe. C’est son éloignement des ces actions qui lui confère sa supériorité. En guise de conclusion, nous pourrions dire que ce prologue présente des échos et des parallélismes très forts, marquant clairement la distinction entre être et paraître en insistant sur l’aspect modeste et comique du dehors et sur la force profonde du dedans. Il met en valeur le goût du plaisir et du rire et interroge le lecteur sur le fait que les apparences peuvent être trompeuses. Cette entrée en matière propose donc une première piste de lecture de Gargantua, récit apparemment léger, mais qui recèle une interprétation plus profonde, voire ambigüe. D’autres images viendront enrichir ce prologue comme « le buveur qui crochète la bouteille » et « le chien rencontrant un os à moelle ». Par ailleurs, on comprend ici que le rire est un élément profondément positif: qui détend le lecteur, bien sûr, mais aussi qui est uploads/Litterature/ explication-line-aire-n03.pdf
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- Publié le Mai 02, 2021
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