Annales littéraires de l'Université de Besançon Aurea Catena Homeri. Une étude

Annales littéraires de l'Université de Besançon Aurea Catena Homeri. Une étude sur l'allégorie grecque Pierre Lévêque Citer ce document / Cite this document : Lévêque Pierre. Aurea Catena Homeri. Une étude sur l’allégorie grecque. Besançon : Université de Franche-Comté, 1959. pp. 3-90. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 27); doi : 10.3406/ista.1959.1009 http://www.persee.fr/doc/ista_0000-0000_1959_mon_27_1 Document généré le 15/05/2017 7 PIERRE LÉVÊQUE ANCIEN MEMBRE DE L'ÉCOLE D'ATHÈNES PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE BESANÇON AUREA CATENA HOMERI UNE ÉTUDE SUR L'ALLÉGORIE GRECQUE Ouvrage publié avec le concours du C.N.B.S. Annales Littéraires de l'Université de Besancon Vol. 27 LES BELLES LETTRES 95, BOULEVARD RASPAIL PARIS-VI* 1 959 r '??? de ?a? p??? t? ?a?ep?tat?? t?? a?a????a? ???? ?p?de????. « Quant à moi, je suis rempli de crainte devant les difficultés de l'analogie. » Michel Psellos, La chaîne d'or chez Homère. 1- INTRODUCTION Le début du chant 8 de VIliade est trop connu pour qu'il soit besoin de le rappeler longuement. Zeus a assemblé les dieux sur le plus haut sommet de l'Olympe ; il leur interdit d'aller porter secours aux Troyens ou aux Danaens ; malheur à celui qui désobéirait, car il serait précipité dans le Tartare brumeux. Il termine sa menaçante allocution par ces mots : G??set' epe??' ds?? e?µ? ?e?? ???t?st?? ap??t??. ?? d' ??e pef?sas?e, ?e??, ??a e?dete p??te?, se???? ???se??? e? ???a???e? ??eµ?sa?te?, p??te? d' ???ptes?e ?e??. pasa? te ??a??a?* a?? ??? a? e??sa?t e? ???a???e? pe???? ?e ???' ?pat?? µ?st??', ??d' e? µ??a p???? ??µ??te' ???' dte d? ?a? e?? p??f??? ??????µ? ???ssa?, a?t? ?e? ?a?? ???sa?µ' a?t? te ?a?ass? * se???? µ?? ?e? ?pe?ta pe?? ???? ????µp??? d?sa?µ??, ta d? ?' adte µet???a p??ta ?????t?' t?ss?? e?? pe?? t' e?µ? ?e?? pe?? t' e?'µ' a????p??. « Alors vous comprendrez combien je l'emporte sur tous les dieux. Tenez, dieux, faites l'épreuve, et vous saurez, tous. Suspendez donc au ciel un câble d'or ; puis accrochez-vous y, tous, dieux et déesses : vous n'amènerez pas du ciel à la terre Zeus, le maître suprême, quelque peine que vous preniez. Mais si je voulais, moi, franchement tirer, c'est la terre et la mer à la fois que je tirerais avec vous. Après quoi, j'attacherais le câble à un pic de l'Olympe, et le tout, pour votre peine, flotterait au gré des airs. Tant il est vrai que je l'emporte sur les dieux comme sur les hommes !» (1) Le texte est sans ruses : il s'agit, comme le notent bien tous (1) Iliade, 8, 17-27, donné ici dans la traduction P. Mazon... (GUF), modifiée seulement au vers 25 pour introduire le mot câble, comme au vers 19 : le texte a le même mot, se????, qui désigne certes en général dans Homère une corde (cf. par ex. Iliade, 23, 115 : se???? t' e?p???t???, « des cordes bien tressées », en parlant des cordes de bûcherons ; cf. aussi Odyssée, 22,192) ; mais il s'agit ici d'une corde d'or. ? AUREA CATENA HOMERI les commentateurs, de la transposition d'un jeu d'adolescents. Voici, par exemple, ce qu'écrivent les éditeurs de la Collection des Universités de France : « Les Grecs connaissaient comme nous... le jeu qui oppose deux équipes tirant en sens opposés sur une même corde, pour éprouver leurs forces respectives (1). C'est à une épreuve de ce genre que Zeus convie les dieux. Seulement, cette fois, on ne tirera pas horizontalement, mais verticalement, Zeus restant seul dans les hauteurs du ciel, tandis que les autres dieux, en bas, s'accrocheront à la terre. Il se fait fort, en pareil cas, de tirer à la fois les dieux et la terre jusqu'à l'Olympe, puis d'accrocher le tout, comme un trophée, à un des sommets de la montagne divine » (2). Il faut toutefois ajouter une seconde différence entre le jeu et l'épreuve dont Zeus menace les dieux : la corde devient une corde d'or (se???? ???se???). Détail qui est en soi sans véritable importance, et aisé à expliquer (dans l'épopée tout ce que touchent les dieux est en matière précieuse, et plus particulièrement en or (3)), mais qui va être de grande conséquence pour l'utilisation ultérieure de l'image. Il n'est pas impossible que cette anecdote reproduise un vieux thème de mythologie ou de folklore indo-européen. D'une part en effet, elle nous présente Zeus sous les traits d'un « dieu lieur » : or des études récentes ont à bon titre insisté sur l'importance que revêt, dans le domaine indo-européen, le pouvoir magique des liens (4). D'autre part et surtout, elle nous reporte à un monde très primitif où la puissance d'un dieu dépend de sa vigueur (1) Ce jeu se nommait, semble-t-il, d?e???st??da ou ????st??da. Cf. Pollux, 9, 112, pour le premier de ces mots ; Eustathe, Commentarii ad Homeri Iliadem, édition de Leipzig, tome IV, 1829, p. 27, 1. 37 sq. (= 1111 Éd. Rom.), ad Iliadem, 17, 389, pour le second. Eustathe seul mentionne la corde, et les érudits ne sont pas d'accord sur la question de savoir s'il s'agit d'un seul jeu ou de deux jeux différents. Cf. les remarques de G. Dindorf, Julii Pollucis Onomasticon, V, 2, p. 1170-1 (les deux textes se rapporteraient à un même jeu décrit de deux manières différentes). Opinion contraire dans G. Lafaye, in Daremberg-Saglio, s. v. Ludi, III, p. 1359, pour qui, dans G????st??da, les deux adversaires tirent chacun l'extrémité d'une corde, tandis que, dans le d?e???st??da, ils se saisissent à bras le corps. Cf. aussi L. Becq de Fouquières, Les jeux des Anciens, p. 94 sq. : Le jeu de la Iraction; Mau, in PW, s. ?. d?e???st??da. Quoi qu'il en soit de son nom précis, il semble bien qu'il faille voir une allusion à ce jeu dans au moins deux autres textes : Plaute, Poenulus, 116 sq. ; et surtout Tertullien, De pudicitia, 2 (éd. Reifferscheid et Wissowa, tome I, p. 223, 1. 20 sq.) : « non decet ultra de auctoritate scripturarum ejusmodi funem contentiosum alterno ductu in diversa distendere ». (2) Iliade (CUF), tome II, p. 26, n. 1. (3) Cf., par exemple, dans G Iliade, 2, 447-9, les franges tressées, tout en or, de l'égide d'Athéna. (4) L'expression de « dieu lieur » remonte, je crois, à G. Dumézil. La bibliographie récente de la question est commodément rassemblée par M. Delcourt, Héphaïstos ou la légende du magicien (Liège, 1957), p. 15 sq., dans un chapitre intitulé Le pouvoir des liens. Cf. aussi l'important article de M. Eliade, Le « dieu lieur » et le symbolisme des nuds, RHE, 1948, 2, p. 5-36. INTRODUCTION 9 physique, à une société divine patriarcale où l'épreuve de force joue un rôle capital pour asseoir l'autorité du maître (1). L. Radermacher (2) a justement rappelé que les Germains semblent avoir connu ce thème. Ainsi Thorr suspend à une corde le serpent de Midgard, qui enlace la terre (3). Ainsi un conte du Mecklembourg (4) montre un paysan rencontrant la chasse de Wotan : le dieu, monté sur un étalon blanc, lui propose le jeu de la corde ; le paysan accepte, mais, matois, il prend soin d'attacher la corde à un aune et peut ainsi résister à Wotan. L'histoire est, dans son principe, fort voisine de celle d'Homère, encore qu'ici la ruse du paysan se joue de la force physique du dieu : dans les deux cas, le dieu suprême participe à un concours et, dans les deux cas, il s'agit de haler l'adversaire avec une corde. Dans le conte germanique (sur lequel aucune influence directe de l'Iliade n'est évidemment concevable) comme dans le mythe grec, peuvent subsister des vestiges d'une conception religieuse beaucoup plus ancienne. Les rappels de cet épisode de l'Iliade ne sont pas rares dans les textes antiques. Lucien, par exemple, évoque plusieurs fois l'anecdote à des fins sceptiques : dans un Dialogue des dieux, il met en scène Ares, qui fait part à Hermès des doutes qu'il conçoit sur la possibilité pour Zeus de mettre sa menace à exécution (5). Dans le Zeus tragédien, où Zeus est traité avec tant d'irrévérence, Momos s'adresse ainsi à Zeus, mort de peur : « Mais toi, quand tu le voudras, tu n'as qu'à descendre une chaîne d'or et tu les enlèveras tous, avec la terre et la mer elles-mêmes » (6). Enfin, dans le Zeus confondu, un autre contempteur de Zeus, Cyniscos, fait remarquer au maître des dieux qu'il ne peut rien contre le destin : « A présent je te vois toi-même suspendu avec ta chaîne et tes menaces à un fil ténu, comme tu le reconnais. Aussi trouvé-je que Glotho aurait plus de raison de se vanter que toi, puisqu'elle t'enlève et te tient suspendu, toi aussi, à son fuseau, comme les pêcheurs enlevant les petits poissons au bout de leur ligne » (7). Mais, à côté de ces textes où se trouve simplement rappelée l'anecdote, il en est d'autres, en nombre considérable, dont les (1) Sur les qualités physiques exigées des rois et les épreuves dans lesquelles ils les doivent manifester, cf. l'étude classique de J. G. Frazer, Les uploads/Litterature/ leveque-p-aurea-catena-homeri-une-etude-sur-l-x27-allegorie-grecque-pdf.pdf

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