Le loup et l’agneau La raison du plus fort est toujours la meilleure : Nous l’a

Le loup et l’agneau La raison du plus fort est toujours la meilleure : Nous l’allons montrer tout à l’heure. Un agneau se désaltérait Dans le courant d’une onde pure. Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait. « Qui te rends si hardi de troubler mon breuvage ? Dit cet animal plein de rage : Tu seras châtié de ta témérité. -Sire répond l’agneau, que votre majesté Ne se mette pas en colère ; Mais plutôt qu’elle considère Que je me va désaltérant Dans le courant, Plus de vingt pas au dessous d’Elle ; Et que par conséquent en aucune façon , Je ne puis troubler sa boisson. -Tu la troubles, repris cette bête cruelle ; Et je sais que de moi tu médis l’an passé. -Comment l’aurais-je fais si je n’étais pas né ? Repris l’agneau. Je tête encore ma mère. -Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. -Je n’en ai point. –C’est donc quelqu’un des tiens ; Car vous ne m’épargnez guère vous vos bergers et vos chiens. On me l’a dit : il faut que je me venge. » Là-dessus, au fond des forêts Le loup l’emporte et puis le mange, Sans autre forme de procès. INTRODUCTION Le loup et l’agneau fait partie du premier livre des fables publié par la Fontaine en 1668, mais certaines d’entre elles, dont on peut penser que le loup et l’agneau fait partie, sont bien antérieures à cette période. En effet, on peut légitimement penser que le loup et l’agneau puisse, entre autres, avoir deux sources principales : -Tout d’abord les fables de Phèdre et d’Esope ; en effet, on remarque que la Fontaine s’est inspiré de la traduction de « la fable du loup » de Phèdre, pour mettre sa fable en vers. Le thème de cette fable est d’ailleurs très traditionnel et a inspiré beaucoup d’autres auteurs, on a même des variantes orientales. -La seconde source est beaucoup plus subversive : il s’agit de l’affaire Nicolas Fouquet, dont La Fontaine était un protégé mais aussi un ami, qui a beaucoup fait parler d’elle au début des années 1660. Nicolas Fouquet était le surintendant des finances du royaume, il aimait le luxe et fut le mécène de nombreux artistes, notamment la Fontaine, mais aussi Molière, Corneille, Nicolas Poussin etc. et il réunissait dans son château de Vaux le Vicomte toute une société brillante qu’on appelait la cour de Vaux et dont la Fontaine faisait partie. En 1661, après la mort de Mazarin, louis XIV commence son règne personnel et Colbert devient l’homme de confiance du roi. Or Colbert hait Fouquet et va tout faire pour lui prendre sa place : après avoir réuni de nombreuses notes accablant le surintendant, il va même jusqu’à l’accuser de complot contre l’Etat ! Mais Fouquet va commettre deux fautes qui vont le perdre : son attitude pressante avec mlle de la Vallière, la maîtresse du roi, et la fête qu’il va donner à Vaux le 17 août 1661, où le luxe s’étale partout. Tout le monde sait aujourd’hui que le roi quitta la fête vexé par tant de magnificence ; et qu’il fit arrêter Fouquet par d’Artagnan à Nantes, le cinq septembre suivant. Mais ce qu’on sait moins c’est que la façon dont le procès fut mené en indigna plus d’un à l’époque : car Colbert et le roi utilisèrent tous les moyens possibles pour l’abattre : falsification de documents, corruption des juges, et isolement total de l’accusé, à qui on refusa tout moyen de défense. Mais face à la rage des accusateurs, Fouquet reste calme et plein de dignité, ce qui retourne l’opinion en sa faveur et fait de lui le martyr de l’absolutisme. Enfin, en décembre 1664, après des réquisitoires qui soulèvent l’indignation par leur ton haineux, Fouquet est condamné au bannissement perpétuel, mais le roi use de son pouvoir pour le faire emprisonner à vie. Il mourra vingt ans plus tard dans sa prison en province. Nous verrons par quels procédés La Fontaine use d’un art dit naïf, afin d’en faire un discours subversif où, en termes à peine voilés, il accuse le pouvoir de corruption, mais surtout d’absence de discernement avec le personnage du loup. Nous verrons d’abord que l’auteur nous propose ici de réfléchir sur une anti-morale, avant de s’intéresser à l’aspect * * * I- La paix troublée par la bête (ise). La fable du loup et l’agneau est introduite de façon assez singulière, par une morale qui n’en est pas vraiment une. Cette moralité est assez ambiguë, par sa place tout d’abord, (au début de la fable). On peut penser que c’est par souci esthétique, car la Fontaine précise bien dans sa préface que la moralité n’est placée en premier ou en dernier, que si elle va bien dans le cadre de l’histoire qui la précède ou qui la suit. Mais dans ce cas, elle n’est pas dans un cadre à proprement parler puisqu’elle est séparée du reste de la fable et elle prend alors une dimension préventive voire menaçante. Au niveau de la métrique, on a un alexandrin d’abord, la Fontaine jouant sur le côté peu chantant, signe d’une vérité immuable, proverbiale. En effet, peut on réellement parler de moralité ici ? On devrait plutôt dire anti-moralité ; dans le cadre où elle démontre la suprématie du loup sur l’agneau, autrement dit, du méchant sur le gentil. Mais, on peut aussi penser que la Fontaine pense à la suprématie de la raison et de la sagesse de l’agneau par rapport à la bêtise et à l’incohérence du loup, et dans ce cas, la moralité prendrait alors une double dimension, à prendre au premier comme au second degré. C’est alors qu’intervient le « nous l’allons montrer tout à l’heure. », qui peut aussi être interprété de différentes façons. Premièrement la Fontaine dit une vérité générale et il la prouve : le faible peut dire tout ce qu’il veut, étant donné que le fort est avantagé physiquement, il aura toujours raison à la fin. Deuxièmement, la Fontaine dit bien une vérité générale : la raison du plus fort dans la sagesse, dans le raisonnement, dans la droiture, est forcément toujours la meilleure ; et il nous montre de quelle façon cet adage est respecté et ce que les loups, autrement dit les méchants et puissants font du respect dû à la morale. Dans ce cas, ce vers donnerait une dimension ironique et pessimiste à la moralité. Ensuite la fable illustre la morale. Et l’on peut voir d’entrée de jeu que le loup est la bête mais aussi la bêtise, qui vient troubler la paix de l’agneau. « Un agneau se désaltérait / Dans le courant d’une onde pure » : dans ce vers, L’agneau est représenté dans toutes sa pureté et son innocence. On a l’impression de contempler un tableau, où tous les éléments seraient en communion entre eux, l’agneau fait partie intégrante de cette partie de la forêt. La Fontaine utilise l’imparfait à son propos, ce qui montre le caractère statique de la scène. On peut donc dire que l’agneau ne dérange rien ni personne… On a ici une impression donnée de paix, voire d’âge d’or. Le symbole de l’agneau est très fort c’est une image du Christ : l’Agneau de Dieu. De plus, l’agneau se désaltère dans « une onde pure » : l’onde devient alors miroir réfléchissant la pureté de l’agneau, et son âme transparente. « Un loup survient à jeun qui cherchait aventure» : On a ici deux vers en alexandrin, au passé simple, temps de la rupture qui montre la soudaineté de l’apparition du loup. De plus, on a d’emblée un contraste fort entre le loup -qu’on imagine noir- et la couleur immaculée de l’agneau, entre son apparition surnaturelle et l’image immuable de l’agneau, entre le loup à jeun et l’agneau qui se désaltère, enfin, entre le loup « qui cherchait aventure » et l’agneau, lié à une image très pacifique. Cela rappelle alors la soudaineté de l’arrestation de Nicolas Fouquet, seulement quinze jours après avoir reçu le roi chez lui pour une fabuleuse fête, ce qui était une immense faveur. « Et que la faim en ces lieux attirait » : clôt les quatre rimes embrassées qui présentaient la situation de façon assez manichéenne : agneau : blanc donc bon, loup : à jeun donc qui cherche aventure. Le loup arrive donc de nulle part et le poète souligne son appétit : il est à jeun et fera n’importe quoi pour l’assouvir. On peut penser qu’il n’est pas question ici d’appétits culinaires mais d’appétit de pouvoir. Fouquet était le surintendant des finances et Colbert rêvait de ce poste. On a également l’impression de voir le diable apparaître par la soudaineté de sa venue, et son attitude d’entrée de jeu gratuitement provocante avec l’agneau contre lequel il lancera une accusation qui se révélera absurde. « Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? / Dit cet animal plein de rage : uploads/Litterature/ expose-loup-et-l-x27-agneau.pdf

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