1 2 STEPHEN JAY GOULD LA FOIRE AUX DINOSAURES RÉFLEXIONS SUR L’HISTOIRE NATUREL

1 2 STEPHEN JAY GOULD LA FOIRE AUX DINOSAURES RÉFLEXIONS SUR L’HISTOIRE NATURELLE Traduit de l’américain par Marcel Blanc OUVRAGE TRADUIT AVEC LE CONCOURS DU CENTRE NATIONAL DES LETTRES ÉDITIONS DU SEUIL 27, rue Jacob, Paris VIe Titre original : Bully for Brontosaurus Éditeur original : W. W. Norton & Company © 1991, Stephen Jay Gould isbn original : 0-393-02961-1 isbn 2-02-013631-7 © Février 1993, Éditions du Seuil, pour la traduction française 3 Pleni sunt coeli et terra gloria eius. Hosanna in excelsis. 4 Table des matières Prologue ................................................................................................... 6 Première partie L’histoire dans l’évolution...........................................15 1. La fesse gauche de George Canning et « L’Origine des espèces » ..................... 16 2. Le plus grand des contes de Grimm ...................................................................... 27 3. Les mythes créationnistes de Cooperstown ......................................................... 37 4. Le pouce du panda de la technologie .................................................................... 56 Deuxième partie Dinomania ................................................................ 72 5. Le nom du brontosaure ........................................................................................... 73 6. La foire aux dinosaures ........................................................................................... 87 Troisième partie L’adaptation.............................................................. 98 7. Les œufs du kiwi et la cloche de la Liberté ........................................................... 99 8. Mamelons masculins et crête clitoridienne ........................................................114 9. Pas nécessairement une aile ................................................................................. 127 Quatrième partie Modes et mystifications ........................................ 140 10. L’insidieuse expansion du clone du fox-terrier ................................................141 11. L’ironie d’une histoire évolutive ......................................................................... 154 12. La chaîne de la raison contre la chaîne des pouces ......................................... 169 Cinquième partie Art et science.......................................................... 184 13. « Madame Jeannette » ........................................................................................ 185 14. Des ailes rouges dans le soleil couchant ........................................................... 192 15. L’angle de Petrus Camper ................................................................................... 210 16. Travers littéraire sur la pente glissante............................................................. 221 5 Sixième partie Aux antipodes ............................................................. 233 17. Un brillant ver luisant ..........................................................................................234 18. Qu’est-ce qu’un ornithorynque ? ...................................................................... 248 19. Ce que l’on doit au capitaine Bligh ................................................................... 260 20. Advienne que pourra........................................................................................... 273 Septième partie Parcours intellectuels .............................................. 285 21. Dans le fouillis d’un tiroir .................................................................................. 286 22. Kropotkine n’était pas cinoque .......................................................................... 301 23. Et si l’on reparlait de Fleeming Jenkin ? .......................................................... 314 24. La passion d’Antoine Lavoisier ..........................................................................328 25. Le parrain de la catastrophe ............................................................................... 341 Huitième partie Évolution et création ............................................... 356 26. Le légendaire débat d’Oxford ............................................................................. 357 27. Genèse et géologie................................................................................................ 373 28. La dernière campagne de William Jennings Bryan ........................................386 29. À propos de méchantes moqueries ................................................................... 401 30. La conception erronée du juge Scalia ............................................................... 417 Neuvième partie Nombres et probabilités ......................................... 429 31. Erreur sur la médiane ......................................................................................... 430 32. La fourmi et la plante ..........................................................................................436 Dixième partie Des planètes en tant que personnes ......................... 443 Prologue ......................................................................................................................444 33. La face de Miranda ..............................................................................................445 34. La corne de Triton ............................................................................................... 455 Bibliographie ....................................................................................... 468 Du même auteur .................................................................................. 479 Présentation .........................................................................................480 6 Prologue En France, ce genre est appelé vulgarisation – mais la connotation est entièrement positive. En Amérique, nous disons qu’il s’agit d’« ouvrages populaires », et leurs auteurs sont qualifiés d’« écrivains scientifiques », même si, comme moi, ce sont des scientifiques de métier aimant faire partager aux autres ce qu’il y a de fort et de beau dans leur discipline. En France (et partout en Europe), la vulgarisation compte au rang des plus hautes traditions de l’humanisme et peut aussi se prévaloir d’une origine ancienne – de saint François conversant avec les animaux à Galilée choisissant d’écrire ses deux grands ouvrages en italien, sous forme de dialogues, et non dans le latin conventionnel de l’Église et de l’Université. En Amérique, pour des raisons que je ne comprends pas (et qui sont vraiment perverses), ce type de livres destiné aux non-scientifiques est constamment déprécié – et accusé d’« adultération », de « simplification », de « déformation en vue du sensationnel », de « recherche du spectaculaire », de « course au succès commercial ». Je ne nie pas que de nombreux ouvrages publiés aux États-Unis méritent ces qualificatifs – mais des pièces médiocres et affabulatrices, même majoritaires, ne suffisent pas à invalider tout un genre. Les romans « à l’eau de rose » n’ont pas empêché les grands romanciers de prendre l’amour comme sujet de leurs œuvres. Je déplore profondément que l’on mette ainsi le signe égal entre vulgarisation et simplification ou déformation, et cela pour deux raisons principales. Premièrement, ce jugement charge d’un handicap professionnel considérable les scientifiques (en particulier les jeunes sans poste stable) qui voudraient s’essayer à ce grand mode d’écriture. Deuxièmement, cela revient à dénigrer l’intelligence de millions d’Américains, avides de trouver une pâture intellectuelle dénuée de toute condescendance. Si nous, les auteurs, nous nous complaisons dans la médiocrité, cela signifie que non seulement nous méprisons nos contemporains, mais que nous contribuons aussi à éteindre le désir d’excellence. Le lecteur profane « intelligent et intuitif » n’est pas un mythe. Ils sont des millions – peut-être un faible pourcentage des Américains, mais un nombre absolu élevé et avec une influence dépassant de loin leur proportion réelle dans la population. Je le sais de la manière la plus directe qui soit – par les milliers de lettres qui m’ont été adressées par des non-scientifiques depuis vingt ans que j’écris ces essais, et tout spécialement par le grand nombre d’entre elles rédigées par des personnes âgées, dans leurs quatre-vingt ou quatre- vingt-dixième années, s’efforçant toujours aussi intensément de saisir ce qui fait la 7 richesse de la nature et d’augmenter encore les connaissances accumulées tout au long de leur vie. Nous devons tous nous engager à rendre la science accessible, pour redonner à cette pratique le statut d’une tradition intellectuelle honorable. Les règles sont simples : pas de compromis sur la richesse des concepts ; pas d’impasse sur les ambiguïtés ou les zones d’ignorance ; pas du tout de jargon, bien sûr, mais pas d’affadissement des idées (tous les concepts complexes peuvent s’exprimer dans le langage ordinaire). Nous sommes actuellement plusieurs, en Amérique, à écrire de cette façon et à jouir d’un certain succès, dans la mesure où nous nous appliquons à cette tâche. Il en résulte que nous sommes confrontés à de nouveaux devoirs, notamment dans le domaine des relations publiques : il nous faut définir clairement ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas, nous attacher à suivre inflexiblement la lignée humaniste de saint François et de Galilée et éviter les déclarations fracassantes et les photos à grands effets, qui sont actuellement les moyens privilégiés de la stratégie de communication et de persuasion – le dernier cri dans cette vieille et grande tradition américaine (cette pratique concrétise ce qu’il y a de dangereux dans l’anti-intellectualisme, car il flatte ces réactions émotionnelles et irrationnelles qui peuvent faire le lit du fascisme). Il y a deux lignées fondamentales dans l’abord humaniste de l’histoire naturelle. Je les appellerai respectivement « franciscaine » et « galiléenne », étant donné ce que je viens de dire. Les œuvres franciscaines traitent de la nature sur le plan poétique – il s’agit de célébrer la beauté organique en la dépeignant par des mots et des phrases bien choisis. Cette lignée va de saint François à Thoreau1 sur l’étang de Walden, de W. H. Hudson sur les collines anglaises 2 à Loren Eiseley3 à notre époque. Les œuvres galiléennes envisagent les grandes énigmes posées par la nature avant tout sur le plan intellectuel et cherchent à expliquer et à comprendre. Les auteurs galiléens ne nient pas la beauté profonde de la nature, mais éprouvent une plus grande joie à comprendre les causes des phénomènes et à bâtir, sur ces bases, de puissantes théories unificatrices. La lignée galiléenne (ou rationaliste) a des racines plus anciennes que l’astronome italien dont elle tire son nom, puisque l’on peut la faire commencer avec Aristote disséquant des calmars ; elle s’est poursuivie avec Galilée, qui renversa l’ordre des cieux, s’est prolongée jusqu’à T. H. Huxley4 reconnaissant à 1 Henry David Thoreau (1817-1862), philosophe et poète américain, auteur du célèbre livre, Walden ou la Vie dans les bois, qui a inspiré tous les mouvements de retour à la nature. [N.d.T.] 2 William Henry Hudson (1841-1922), naturaliste et romancier anglais, dont l’œuvre romanesque est marquée par l’amour de la nature. [N.d.T.] 3 Loren Eiseley (1907-1977), naturaliste et anthropologue américain, qui a écrit des livres de vulgarisation en employant un style poétique. [N.d.T.] 8 l’homme sa véritable place dans la nature et P. B. Medawar5 analysant les déraisons de notre monde contemporain. J’apprécie fort les bonnes œuvres dans la tradition franciscaine, mais me considère moi-même comme un ardent, impénitent et pur galiléen – et cela pour deux raisons. D’abord, je ferais sûrement mauvaise figure dans les rangs des franciscains. L’écriture poétique est le plus dangereux de tous les genres, parce que lorsqu’elle est médiocre cela saute aux yeux, et elle apparaît alors souvent comme une prose ridiculement précieuse (voir la satire de James Joyce, citée dans l’essai n° 16). Les cordonniers doivent s’en tenir à leur établi6 et les rationalistes à leur style mesuré. Deuxièmement, Wordsworth avait raison : l’enfant est le père de l’homme. Ce que je peux évoquer comme « magnificence des herbes7 » de ma jeunesse a la forme des gratte-ciel uploads/Litterature/ gould-sg-la-foire-aux-dinosaures.pdf

  • 68
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager