EXTRAIT Mission BlaBlaCar Les coulisses de la création d’un phénomène pour Bert

EXTRAIT Mission BlaBlaCar Les coulisses de la création d’un phénomène pour Bertrand Jouvenot 1 CHAPITRE 1 CRÉER ET GRANDIR Tout concept, tout comportement, tout produit et tout service ont un jour été une nouveauté et ont rapidement subi l’épreuve du feu pour survivre : la confrontation à l’usage. Pour parvenir jusqu’à nous et entrer dans les vies de millions de personnes, ils ont ensuite connu un passage à l’échelle. Leur formidable aventure doit enfin naviguer dans nos sociétés en s’attirant un maximum de vent dans les voiles. LA NOUVEAUTÉ “ Fred, tu connais Google beta ? ” Un camarade de classe à l’université de Stanford, en 1999 u Laure Claire et Benoît Reillier : Que faisais-tu en Californie ? Frédéric Mazzella : J’arrive sur le campus de Stanford en février 1999 pour intégrer le National Biocomputation Center. Ce partenariat entre le centre de recherche NASA Ames et l’école de médecine de l’université me donne la possibilité passionnante de combiner physique et informatique. Je travaille sur la construction 2 Mission BlaBlaCar d’un environnement 3D de chirurgie virtuelle pour permettre à un chirurgien astronaute de s’entraîner avant d’opérer l’un de ses coéquipiers au cas où il lui arriverait quelque chose lors d’une longue mission spatiale vers Mars ! Pour équilibrer mon budget, je m’engage en parallèle sur une autre activité : adapter en français le logiciel de gestion de centres d’appels téléphoniques que la jeune startup Blue Pumpkin1 est en train de développer. Des étudiants arrêtent leurs études en cours d’année pour lancer leur startup ou bien ils se font recruter par Larry Page et Sergey Brin, les fonda­ teurs de Google, qui viennent de quitter le campus pour s’installer juste à côté et siphonner un maximum de talents de mon Master en science informatique. Sur le campus, on utilise donc Google beta, le moteur de recherche qui répertorie tous les documents de l’université. Le ton est donné : dans la Silicon Valley, tout est possible. Sous un ciel bleu immaculé et un soleil qui donnerait à beaucoup des envies de vacances, on voit loin, on tente tout, on travaille dur pour créer les innovations de demain et on leur donne des noms loufoques ! Wow, je ne m’attendais pas à cela ! Je suis tombé dans un chaudron à startups, je ressens les vibrations entrepreneuriales de toute une région. J’ai le vertige, je suis attiré par le futur : c’est normal, ici, tout le monde semble déjà y vivre ! u Stanford, NASA, Google… tu étais au bon endroit et au bon moment ! À l’époque, sur le campus, Google n’était qu’une startup parmi des centaines d’autres. Pour ma part, je découvrais cet univers. Je découvrais aussi leurs méthodes ouvertes de coconstruction avec les utilisateurs. En effet, cela semblait normal pour tout le monde qu’un produit ne soit jamais parfait quand on le lance. Avant d’être performant, il ne fonctionne pas tout à fait. Mais peu importe ! 1. « Citrouille bleue ». Créer et Grandir 3 Des utilisateurs bêta-testeurs sont invités à rapporter les problèmes rencontrés et à suggérer des améliorations sur les fonctionnalités. C’est pourquoi les équipes de Google appelaient tout simplement leur produit « Google beta », qui est la première version publique testée par les utilisateurs, juste après la version alpha qui est testée en interne par l’équipe de développement. Ce concept de version bêta permettait de modérer les attentes des utilisateurs, le temps de faire les derniers réglages. u Est-ce là-bas que toi aussi tu as fait les derniers réglages et bêta-testé de nouvelles idées ? Avant Stanford, je n’avais jamais vraiment vu une startup de près. En créer une ne faisait donc pas partie de mon champ des possibles. Je ne peux pas dire que cela ne m’avait jamais traversé l’esprit, mais en tout cas au cours de mes études en France, personne ne m’avait indiqué que créer une startup était un débouché possible. Et encore moins, que pour le faire on avait le droit d’arrêter ses études ! Mais, une fois plongé dans l’ébullition du campus, ma machine à idées s’est mise en marche ! Elle a produit des idées plus ou moins ambi­ tieuses, plus ou moins insolites : pourquoi les gens passent-ils des heures coincés à ne rien faire dans des cabines de bronzage alors qu’ils pourraient bronzer tout en travaillant devant leur écran ? J’ai imaginé des écrans bronzants ! Je suis musicien et j’ai appris à retranscrire la partition de n’importe quel morceau que j’entends. Pourquoi un logiciel ne saurait-il pas faire pareil ? J’ai profité de mes classes de traitement du signal appliqué à la musique au CCRMA1 de Stanford pour m’y pencher. Lorsque j’ai appris que les pneus des avions n’avaient une durée de vie que de quelques centaines de kilo­ mètres, car ils s’usent énormément à l’atterrissage en passant de 0 à 200 km/h en une fraction de seconde, j’ai cherché s’il était possible de les faire durer plus longtemps en ajoutant un petit moteur sur les 1. Center for Computer Research in Music and Acoustics : Centre de recherche en musique et acoustique par ordinateur. 4 Mission BlaBlaCar roues, ou bien de petites ailettes pour exploiter la vitesse de l’air et les faire tourner avant l’atterrissage. u Pourtant tu as fini ton Master et tu es rentré en France… Oui, mais le moulin à idées ne s’est pas arrêté ! Un problème avec le service client d’un fournisseur d’accès à Internet ou d’une com­ pagnie aérienne ? Je construis « Clientissime », une plateforme sur laquelle les clients peuvent partager leurs lettres de réclamation adressées aux marques et éviter aux autres de perdre trop de temps à rédiger les leurs. Des millions de gens se prennent de passion pour le Sudoku ? Je conçois un jeu qui lui ressemble mais plus modulaire en formes et en règles. Je dépose le concept et je code un moteur de génération de grilles. Un ami est fan de paris hippiques ? Je développe avec lui des algorithmes pour essayer de comprendre et prédire les résultats (en vain !)… Rien de tout cela n’a vraiment marché, mais au moins, « j’ai essayé » ! u Ça tire dans tous les sens ! On dirait un enfant qui explore à tâtons le monde qui l’entoure… En effet, d’ailleurs fréquenter des enfants est un vrai bol d’air frais en termes de créativité. Ils découvrent, questionnent et inventent tout le temps. Ils n’ont pas peur de poser des questions magiques comme « Elle est où la batterie du robinet ? Est-ce que l’écho c’est un perroquet ? » ou encore « Est-ce que Mamie elle était née au Big Bang ? ». Ce qui est particulier avec la créativité, c’est qu’elle ne s’apprend pas, et même elle se désapprend ! Depuis les études de George Land dans les années 1970, on l’a mesurée à différents âges et le constat est sans appel1. Si 98 % des enfants de 5 ans peuvent être considérés comme des génies de la créativité, seulement 2 % des adultes de plus de 25 ans entrent dans cette catégorie. Dans ces tests, on demande par exemple ce que l’on 1. Voir Breaking Point and Beyond : Mastering the Future Today, G. Land et B. Jarman, San Francisco, Harper Business, 1993. Créer et Grandir 5 peut faire avec un trombone. Les enfants imaginent facilement plus de 200 usages différents, alors que la majorité des adultes en imagine 10 à 15 maximum. Nos sociétés et notre éducation nous apprennent beaucoup plus à reproduire des choses ou à restituer des informations qu’à en créer. On stigmatise aussi l’erreur, alors que pour construire quelque chose de nouveau, il ne faut pas avoir peur de se planter sinon on s’arrête avant même d’avoir essayé ! Au fil des années, notre cerveau se construit des réponses toutes faites et des raccourcis basés sur l’expérience. Il s’autocensure. Cela nous permet d’être plus rapides dans nos décisions de tous les jours mais, en contrepartie, nous perdons beaucoup de notre capacité de questionnement et d’étonnement. Picasso résumait cela très bien lorsqu’il disait : « Dans chaque enfant il y a un artiste. Le problème est de savoir comment rester un artiste en grandissant. » u Un entrepreneur, c’est donc un adulte qui a su conserver son âme d’artiste ? Un entrepreneur combine un regard d’enfant avec une rationalité d’adulte. Les projets entrepreneuriaux sont par définition en devenir et passent, tous sans exception, par ce processus d’expérimentation créative. Comme un enfant, on doit s’autoriser à poser des questions farfelues sans avoir peur d’une quelconque sanction ni craindre de remettre en cause le statu quo. C’est en effet une attitude d’artiste ou de chercheur créatif. L’art et la recherche procèdent beaucoup par expérimentation. Écouter de la musique1, chanter sous la douche (et inventer des chansons !), cuisiner, marcher beaucoup, etc. : toutes ces activités aident à stimuler la créativité de manière douce. Mais il existe des méthodes plus volontaires, comme celle que le groupe de musique électronique britannique Underworld2 s’est uploads/Litterature/ extrait-bertrand-jouvenot.pdf

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