Philippe LANGLET Schibbole th Le blé du ciel Étude complète d’un mot de la fran
Philippe LANGLET Schibbole th Le blé du ciel Étude complète d’un mot de la franc-maçonnerie universelle Éditions de La Hutte BP 8 60123 Bonneuil-en- Valois www.editionsdelahutte.com Avant le passage au Grade de Compagnon, divers Rits anglais, et le RÉAA en France, transmettent au candidat un mot de passe (password) dont on lui apprend que, sans lui et sans la Grippe (the grip 1) qui l’accompagne, il ne pourrait aller plus loin. Le mot de passe est ensuite restitué au Garde extérieur (Tuileur) ou au Garde intérieur (Couvreur), lors de la demande d’entrée dans la Loge pour le passage. Les Rits écossais 2 et américains 3 connaissent une confi- guration légèrement différente, mais le mot y est aussi appelé mot de passe. À ces Rits, l’accès à la Loge est facilité par un autre type de procédure : un Guide (Conductor) indique que le candidat ne connaît pas le mot mais qu’il le donne « pour lui » 4, ou il se porte garant qu’il le possède 5. Dans ces deux cas, on fait confiance au 1. Appelée habituellement en français, « attouchement ». Pourtant, cette appellation ne décrit pas la réalité du processus qui est d’abord une poignée de main fortement assurée. Voir Langlet, 2006 : 17. 2. SCR, Goudielock, SWC, par exemple. Voir les abréviations dans la bibliographie. 3. RIF ; Duncan ; Lester ; Ronayne. 4. Cela se retrouve à la Maçonnerie de la Marque et à l’Arche royale. Existe aussi dans d’an- ciens rituels français. 5. Une sorte d’écho mémoriel de cette procédure se découvre lors de l’initiation RÉAA, où l’Ex- pert, revenu dans la Loge après avoir placé le candidat face à la porte et prêt à entrer, déclare : « Pour autant qu’un homme puisse se mettre à la place d’un autre et juger de ses pensées intimes, et que la sagacité de cette Respectable Assemblée n’ait pas été prise en défaut, je me porte garant que ce Postulant est libre et de bonnes mœurs ». 7 Schibboleth. Le blé du ciel Guide. On transmettra ensuite ce mot au candidat en même temps que les autres secrets, Grippe, signes et mot du Grade. Mot et Grippe sont ainsi situés, matériellement ou virtuellement, pour les Rits anglais et le RÉAA, dans un « entre-deux » rituel car, transmis à un Apprenti, à ce Grade, mais à un Apprenti qui va, immédiate- ment après, « passer » Compagnon ou à un Compagnon en train de recevoir les secrets 6. Cela ne fait donc pas partie, stricto sensu, du 2 e Grade, ni tout à fait du 1 er, mais d’un « espace » situé, mentalement 7, entre les deux. Ces éléments rituels constituent une charnière, d’une part une clôture du 1 er Grade, d’autre part une ouverture sur le 2 e. Leur place d’intermédiaire souligne le passage entre les Grades, mais révèle aussi un enseignement qui possède sans doute quelque intérêt. Parfois, des rituels le considèrent comme partie intégrante du 2 e Grade, mais aussi du 3 e, le Grade de Maître, ce que nous exami- nerons plus bas. 6. Jean de La Fontaine, utilisant encore des gérondifs français, aurait écrit : « il était recevant les secrets », ce qui aurait mieux décrit l’action et sa durée. Une autre sorte de passage, en somme. 7. Symboliquement. 8 I Hypothèses remarquables Dans un article de 1997, Pierre Guillaume s’interroge sur l’ori- gine de ce mot de passe 1 : viendrait-il de la maçonnerie opérative ou de la Maçonnerie spéculative ? Il n’en sait rien, mais il admet sans réserves la vulgate 2 selon laquelle la spéculative serait héritière directe de l’autre. Il considère ainsi que le Grade de Compagnon est « venu tout droit de la Maçonnerie Opérative » et, même, qu’il a constitué le « seul Grade de la Maçonnerie spéculative à ses débuts ». Quelle période constitue-t-elle, pour lui, les débuts ? Cela serait sans doute utile de le préciser car son affirmation n’est pas très exacte. Mais l’au- teur convient ensuite que, malgré tous les changements apportés au rituel, « il ne perdit pas en route Schibboleth, son maître mot ». En 2002, André Kervella ne s’interroge pas seulement sur le mot, il s’étonne, lui aussi : « Il est tout de même étrange que le mot 1. Guillaume, 1997. 2. Dachez, 1999. 9 Schibboleth. Le blé du ciel de Compagnon, dans les Loges spéculatives, soit Schibboleth 3 ». Qu’y a-t-il réellement d’étrange ? Ce mot l’est-il plus que les noms de colonnes ? L’auteur ajoute aussitôt, en s’étonnant toujours, qu’il « est également étrange que pendant longtemps, les Maçons issus de la mouvance stuardiste se traitent de Compagnons, sans nuances d’aucune sorte », avant d’ajouter : « Mais pourquoi Schibboleth ? Au vrai, ce mot est un apax (sic) dans les écritures vétérotestamen- taires. Il apparaît une seule fois au douzième verset du livre des Juges, dans un contexte qui, maintenant que nous connaissons les entours du paysage socioculturel britannique de la première moitié du dix-septième siècle, n’est pas sans provoquer une grande per- plexité 4 ». En effet, pourquoi Schibboleth ? Même en se fondant sur l’hypothèse d’une telle « mouvance », reconnaissons tout d’abord que n’importe quel groupement a le loisir d’adopter les mots qu’il désire, en les cherchant là où bon lui semble, pour l’usage qui lui paraît le mieux adapté. En outre, André Kervella mélange sans complexe, un élément extrait de la Bible et le « paysage sociocul- turel britannique ». Fonder sa réflexion sur une telle nébuleuse conceptuelle n’est pas sans provoquer la plus grande perplexité. À voir, en outre, des stuardistes tapis derrière chaque buisson, on risque d’établir, pour le coup, d’étranges relations entre les objets proposés à l’étude dans les rituels. C’est un point qu’il ne relève jamais, il sort apparemment de l’objet de son étude, car n’ap- partenant pas à un schéma qui serait à peu près « une Maçonnerie dont les rituels ne seraient qu’un détail ». Cela, seul, provoque une 3. Kervella, 2002 : 70. 4. Ibid. : 70-1. 10 Hypothèses remarquables grande perplexité. Il a raison de souligner quelques lignes plus bas : « mieux vaut se garder d’être péremptoire sur quoi que ce soit ». Ajoutons, surtout lorsque l’on n’est pas familier des techniques de l’exégèse biblique. En 2008, J.-J. Gabut fait deux courts paragra- phes sur le sujet en regroupant différentes notions sans en préciser la provenance et en y associant un « devoir sacré de l’homme libre 5 » qu’il est difficile de lier nettement à Schibboleth. Si la question de l’origine du mot et de son rôle dans le rituel nous préoccupent, nous ne pensons pas, comme P. Guillaume, que la maçonnerie de pratique ait joué un quelconque rôle dans son adoption par la Maçonnerie, ni même qu’il y ait une quelconque filiation entre les deux types d’organisation. Nous ne pensons pas non plus que cela soit dû à un quelconque contexte politique ou social. Au contraire d’A. Kervella qui affirme « Le fait que le mot se retrouve dans les bagages maçonniques de la modernité ne signifie pas de manière absolue qu’il est le fruit d’un emprunt délibéré à la geste biblique, par les familiers d’Ashmole, voir d’Adamson avant lui 6 », nous pensons d’abord que l’emprunt est délibéré, ensuite qu’il est utilisé dans une optique de transformation spirituelle, et enfin que l’on peut très bien se passer d’Ashmole, d’Adamson, ou de quelques autres, si vénérés soient-ils. Ce qui est renversant, c’est de penser qu’un mot, qu’il a donné quelques lignes plus haut comme un hapax, c’est-à-dire un mot si rare qu’il en est unique, puisse ne pas être choisi de manière déli- bérée. Il nous semble que l’on ne choisit jamais une telle rareté par 5. Gabut, 2008 : 74-75. 6. Ibid. : 71. 11 Schibboleth. Le blé du ciel mégarde, comme ce le serait d’un mot si ordinaire qu’il en devien- drait invisible. Toutes ses hypothèses renversent les données de la question, mais il est normal qu’il en soit ainsi lorsque l’on veut tout prouver par l’histoire factuelle et que l’on a élaboré un modèle où ce genre d’objet n’a pas réellement de place. Un rituel est un texte à double sens (au moins) où le factuel, lorsqu’il semble exister (c’est le cas de l’épisode de Juges), sert à enseigner quelque leçon spiri- tuelle. Les rituels n’empruntent pas au biblique pour parler à mots couverts de politique ou de social… Y en aurait-il d’ailleurs besoin ? Le langage politique est déjà obscur en soi, sans en ajouter dans l’énigmatique. Outre l’inversion du problème, cela nous semble révéler une incompréhension de l’axe de lecture. Schibboleth. Le blé du ciel Parole 76 (Annexe s) 77 Schibboleth. Le blé du ciel Schibboleth de la Bible anglaise aux rituels (Annexe s) Schémas de représentation possibles > Schibboleth Mot demeure retour Fleuve -------------------------------------------------------------- -- Galaad Éphraïm Mot Souffle Flux Vibration stabilité agitation paix conflit vie mort spirituel matériel divin humain + – vérité erreur révélation secret centre périphérie ch. du uploads/Litterature/ extraits-schibboleth 1 .pdf
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- Publié le Jul 17, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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