UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Faculté de philosophie et lettres Langues et litt

UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES Faculté de philosophie et lettres Langues et littératures françaises et romanes ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008 LA FEMINISATION Thérèse Moreau et le débat sur la féminisation ESTENNE Céline Travail réalisé dans le cadre du cours : Grammaire descriptive II (Roma-B-304) 2 Introduction Pour une éducation épicène commence comme suit : « Cet ouvrage est destiné à celles et ceux qui rédigent et composent des manuels et documents scolaires. Il se veut une aide à l’enseignement et à la rédaction non sexiste » (p. 15). L’objectif est clair, et situe l’ouvrage dans une démarche tant politico-sociale – de par son ancrage dans le combat féministe – que linguistique – volonté de rénover la langue et la grammaire. Ou plutôt, la linguistique se trouve, dans le cadre de cet ouvrage, subordonnée à un engagement socio-politique, elle est mise à son service. On mesure donc l’écart qui sépare la démarche de l’autrice1 de ce Guide de rédaction et de ressources pour documents scolaires s’adressant aussi bien aux filles qu’aux garçons, Thérèse Moreau, de celle de grammairiens comme Damourette et Pichon et, dans une moindre mesure, Ferdinand Brunot, qui envisagent la langue pour elle-même, et pas – ou pas seulement – comme outil d’une lutte sociale. En effet, Thérèse Moreau, bien que docteur ès lettres, fonde une partie de son ouvrage sur des considérations sociologiques. Elle explique que le sexisme, comme attitude discriminatoire fondée sur un stéréotype, est un élément socioculturel qui, comme tel, s’apprend très tôt. En renvoyant à des analyses sociologiques et statistiques – que nous examinerons dans une première partie, elle montre comment l’école et les manuels scolaires véhiculent les valeurs d’une génération dans une société précise, et tentent de les inculquer à la génération suivante. Et, offrant au lecteur de brèves synthèses sur l’histoire de la famille et de l’émancipation des femmes, y compris à un niveau légal, elle situe son livre dans un combat ; elle en fait une arme. Arme d’ailleurs renforcée par ce qu’elle appelle ses « conseil pratiques de rédaction » (p. 47), tournures de phrases, pistes langagières permettant de redonner à la femme une légitime visibilité dans la 1 Cette dénomination, bien qu’encore absente des dictionnaires, est recommandée par Thérèse Moreau (cf. 3.2). Nous avons jugé bon de lui être fidèle sur ce point. 3 langue. C’est sur ce dernier point que nous nous arrêterons plus longuement, dans nos deuxième et troisième parties. 4 1. L’école et les manuels scolaires : foyer et outils de la reproduction 1.1 L’école Dans un premier chapitre (pp. 19-26), qu’elle intitule « L’école miroir social », Thérèse Moreau s’applique à démontrer que l’école n’est pas seulement un lieu où s’acquièrent les connaissances et les savoir-faire indispensables à la vie sociale et professionnelle. Que cela soit conscient ou non, elle constitue également une instance de reproduction des aspirations de la société dans laquelle elle s’ancre et, par conséquent, contribue de plusieurs façons à la pérennisation des valeurs dominantes sur la hiérarchisation des sexes, des « races », etc. Tout d’abord, en tant que modèle réduit de la société, l’école reproduit souvent les mêmes schémas hiérarchiques à plus petite échelle. Notre autrice note que, dans les pays de l’Union Européenne, si les femmes forment la majorité du corps enseignant à l’école primaire, leur nombre diminue dans le secondaire inférieur et plus encore dans le secondaire supérieur, pour ne former qu’une petite minorité des professeur-e-s de l’université2. D’autre part, filles et garçons sont confrontés dans le cadre scolaire à une inégalité de traitement, et ce dès leur plus jeune âge. Thérèse Moreau soutient en effet que les garçons « bénéficient d’un traitement préférentiel inconscient de la part des enseignant-e-s » (p. 20) : plus soutenus, plus complimentés, les garçons sont également plus souvent invités à participer. Leur réussite est attribuée à leur intelligence et à leurs talents, contrairement à celle des filles, qui, semble-t-il, tient de la chance ou d’un travail sérieux. Ainsi, « le langage et les comportements 2 Notre auteur renvoie ici à des statistiques tirées d’ouvrages datant pour la plupart de l’avant 1990, c’est pourquoi nous n’avons pas jugé pertinent de les reproduire ici. 5 éducatifs indiquent aux filles qu’elles doivent adopter le modèle masculin » (Ibid.), en s’attachant par exemple à corriger leur ‘coquetterie’. Enfin, l’enfant lui-même transpose à l’école le système de valeurs dont l’imprègnent sa famille, les médias, sa culture. C’est ainsi que les garçons ont tendance à monopoliser l’espace de la cour de récréation et peuvent se montrer agressifs envers celles et ceux qui ne respectent pas cette domination tacite. 1.2 Les manuels scolaires Mais selon Thérèse Moreau, les manuels scolaires peuvent aussi constituer, et à bien des égards, des agents de reproduction du système en place (pp. 35-39). Ils participent en effet d’une dévalorisation de la femme, tant quantitative que qualitative. Tout d’abord, les femmes y sont très nettement sous- représentées. Notre ouvrage réfère à une analyse de l’ADF-Lausanne3 qui montre qu’en 1985, le pourcentage d’occurrences féminines est de 10% au maximum, et prend pour exemple le manuel Recherches en vocabulaire4 qui mentionne quarante-trois garçons pour une fille seulement. Thérèse Moreau rappelle en outre que les jeunes élèves trouvent dans les manuels des modèles qui orientent de façon consciente et/ou inconsciente leur psychisme en construction, et façonnent leur représentations mentales des rapports hommes – femmes. Or ces modèles, dit-elle, se calquent souvent sur les stéréotypes existants, et par là limitent au lieu d’élargir le champ des possibles offert aux élèves. Les stéréotypes sont en effet essentiellement discriminatoires. En tant que « modèles rigides et anonymes sur la base desquels sont reproduits, de 3 ADF-LAUSANNE 1984, cité par MOREAU 1994. 4 Thérèse Moreau précise en note que cet ouvrage a fait partie du corpus analysé par l’ADF- Lausanne, mentionné ci-dessus, mais n’en fournit cependant pas les références bibliographiques. 6 façon automatique, des images ou des comportements »5 (p. 27), ils incitent à se couler dans un moule, rejettent celles et ceux qui ne se conforment pas à la conduite imposée et par là limitent le développement personnel de chaque individu. Les stéréotypes sexistes reposent ainsi sur une représentation de la « femme en tant que groupe dont les membres sont indifférencié-e-s » (p. 27), offrant une image de la femme faible, craintive, instable et surtout biologiquement destinée à s’occuper du foyer et des enfants. Thérèse Moreau propose ici de nombreux exemples de stéréotypes sexistes trouvés dans les manuels scolaires : dans les illustrations, tout d’abord les filles sont toujours représentées comme plus petites, plus fragiles que leurs camarades garçons. Les femmes y sont très souvent caricaturées et, les enfants étant pour la plupart incapables de saisir l’ironie d’un discours et par là son rôle subversif, le message, reçu dans sa plus plate dimension, finit par renforcer le stéréotype. Le sexisme est par ailleurs présent dans le corps même du texte. Notre ouvrage évoque par exemple le manuel Latinissimo6 (p.36), où l’on propose aux élèves de traduire des phrases comme : « Je suis grand, tu es petite » ou « nous n’avons pas été assez courageuses ». Les auteurs Silvie Durrer, Jean-Luc Giddey et Jean-François Sonnay, eux, offrent dans leurs manuels les phrases d’exercices suivantes : « Caroline a eu de la peine à suivre le cours de russe : le professeur parlait trop vite pour elle »7 ; « Bien qu’elle soit trop lente de l’avis de professeur pour traduire simultanément, Madeleine voudrait bien devenir interprète dans la diplomatie »8 ; « Madame Manivelle a téléphoné au médecin au milieu de la nuit. Elle voulait lui dire qu’elle allait un peu mieux » (p. 36). On voit donc, avec de tels exemples, comment est esquissée une femme inférieure physiquement et 5 DUNNIGAN 1978, cité par MOREAU 1994. 6 Anonyme 1976, cité par MOREAU 1994 (Thérèse Moreau ne fournit pas le-s nom-s du-des auteur-s du manuel Latinissimo). 7 DURRER 1990 : p. 17, cité par MOREAU 1994. 8 Ibid. 7 intellectuellement, confinée à la vie privée, exclue de la vie sociale qui reste évidemment l’apanage de l’homme. Et par conséquent se dessine le répondant de ce cliché sexiste : le stéréotype de la famille normée, « avec un père au travail, une mère aux fourneaux, un fils aîné capable et débrouillard, et une petite fille pleurnicheuse » (p. 39). Les familles monoparentales, divorcées, reconstituées, les pères au foyer, les enfants adopté-e-s, et les familles multiraciales ou pluriculturelles sont tout bonnement absentes du monde merveilleux des manuels scolaires. 8 2. « Conseils pratiques de rédaction » (p.47) : un langage non sexiste Dans une deuxième partie (pp. 47-61), Thérèse Moreau expose une série de procédés permettant de faire des manuels scolaires un lieu d’égalité et de développement, pour tous, conformément aux diverses politiques éditoriales qui ont d’ailleurs été adoptées en la matière – l’ouvrage renvoie ici à l’article 10 de la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes. Pour qu’un manuel scolaire ne soit pas sexiste, nous dit-on, il faut qu’un certain équilibre y soit respecté dans la représentation uploads/Litterature/ feminisation-therese-moreau.pdf

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