IBN TAYMIYYA FETWA DES MOINES TRADUCTION FRANÇAISE ET INTRODUCTION PAR YAHYA MI
IBN TAYMIYYA FETWA DES MOINES TRADUCTION FRANÇAISE ET INTRODUCTION PAR YAHYA MICHOT E-version « dés-actualisée », considérablement abrégée mais enrichie d’addenda, de : Ibn Taymiyya. Le statut des moines. Traduction française, en référence à l’affaire de Tibéhirine, par Nasreddin LEBATELIER (Rubbân al-ghâriqîn fî qatl ruhbân Tîbhirîn), Beyrouth, El-Safîna, « Fetwas d’Ibn Taymiyya, II », 1417/1997. AVERTISSEMENT La polémique qui suivit la publication d’Ibn Taymiyya. Le statut des moines en 1997 m’obligea de le retirer du commerce. De ce travail n’ont été retenues ici que la traduction du texte même d’Ibn Taymiyya et les pages dans lesquelles j’étudiais la monachologie de l’Islam classique. De menues modifications ont été apportées à ces pages pour les présenter en une introduction constituant un ensemble cohérent. Diverses additions résultant de la poursuite de mes recherches sur le sujet en 1997-1998 apparaissent après un double astérisque (**). Les illustrations ont parfois été déplacées en fonction des besoins de la mise en page. Certaines, nouvelles, sont aussi signalées par **. Les points diacritiques des translitérations ont été supprimés. La pagination et la numérotation des notes diffèrent de celles de la publication originale. Cet exemplaire en PDF peut être lu avec le programme Acrobat Reader. Il est protégé par un mot de passe. Oxford, 1425/2005 Couvent dans le désert, sur la rive gauche du Nil, vis-à-vis de Syene (Assouan ). D’après V. DENON, Voyage, pl. 73 (1802) INTRODUCTION Monachisme chrétien et rahbâniyya musulmane Al-Tawba - IX, 31 : « Ils ont adopté leurs docteurs et leurs moines comme seigneurs en deçà de Dieu, ainsi que le Messie, fils de Marie. Il ne leur avait pourtant été ordonné que d’adorer un Dieu unique. Point de dieu sinon Lui ! Glo- rifié est-Il, au-dessus de ce qu’ils Lui associent ! » Le statut des moines fut, dans l’Islam classique, tout sauf une problématique marginale. Pour l’explorer, on nous per- mettra de nous référer ici au Shaykh de l’Islam damascain aux avis canoniques duquel la présente collection est con- sacrée 1 ; d’autant plus qu’il existe justement un fetwa de lui sur la position à adopter vis-à-vis des moines, en ce cas des moines coptes d’Égypte, « qui s’associent aux gens dans la plupart des affaires du monde d’ici-bas ». Al-Tawba - IX, 34 : « Ô ceux qui croient ! Beaucoup d’entre les docteurs et les moines mangent les biens des gens par de vaines [opérations] et écartent du chemin de Dieu. Ceux qui thésaurisent l’or, l’argent, et ne les dépen- sent pas sur le chemin de Dieu, annonce-leur un tourment douloureux ! » Diverses sont les approches possibles du phénomène monastique en Islam et on peut aller jusqu’à parler de complexité, sinon d’ambiguïté, du regard de l’Islam sur ce phénomène. Cette complexité est d’ordre structurel en ce sens qu’elle est déjà manifeste dans le texte coranique. Quatre versets du texte révélé ont trait aux moines et au monachisme (rahbâniyya) : Al-Hadîd - LVII, 27 : « Puis Nous fîmes suivre leurs traces à Nos Messagers et Nous [les] fîmes suivre à Jésus, le fils de Marie. Nous lui donnâmes l’Évangile et Nous mîmes dans les cœurs de ceux qui l’avaient suivi de la clémence, de la miséricorde et de la dévotion (rahbâniyya), dont ils firent une nouveauté – Nous ne la leur avions prescrite que comme une recherche du contentement de Dieu ; or ils ne la prati- quèrent pas comme elle aurait été en droit d’être pratiquée. Nous donnâmes leur récompense à ceux d’entre eux qui croyaient, et beaucoup d’entre eux furent des pervers 3. » De ces quatre versets, le premier ne doit pas obligatoire- ment être considéré comme favorable aux moines, contrai- rement à l’interprétation qui en est couramment donnée dans le cadre du dialogue islamo-chrétien 4. Le deuxième et le 3. Sur les questions posées par l’interprétation et la traduction de ce verset, voir J. MICHOT, Roi croisé, p. 137-139, n. 54. Aux ré- férences alors citées, ajouter P. NWYIA, Exégèse, p. 52-56 ; Moines, p. 344-346 ; M. IBN ‘ÂSHÛR, Étude, p. 45-47. 4. Ce verset al-Mâ’ida - V, 82 peut en effet être pris en un sens très restrictif. Ainsi Muqâtil b. Sulaymân al-Balkhî (ob. à Basra, 150/767) considère-t-il qu’il « loue non pas l’amour (hubb) des chrétiens pour les Musulmans, mais leur empressement à embrasser la nouvelle religion » (P. NWYIA, Exégèse, p. 55). D’où le verset 83 : « Et lorsqu’ils entendent ce que l’on a fait descendre vers le Messager, tu vois leurs yeux épancher des larmes, du fait de ce qu’ils reconnaissent du Réel. « Notre Seigneur, disent-ils, nous croyons ! Inscris-nous parmi ceux qui témoignent ! » Deux moines coptes 2 Al-Mâ’ida - V, 82 : « Tu trouveras certainement que les gens à l’hostilité la plus intense envers ceux qui croient sont les Juifs et ceux qui donnent des associés [à Dieu]. Tu trou- veras certainement que les plus proches d’entre eux en affection, vis-à-vis de ceux qui croient, sont ceux qui disent : « Nous sommes Nazaréens ». Cela, du fait qu’il y a parmi eux des prêtres et des moines, et qu’ils ne se gran- dissent pas. » F. D. al-Râzî propose de ce verset une approche contextualisée également éclairante. « Les Juifs ont en propre une intense avidité de ce bas monde […] L’avidité est la source des mœurs blamâbles parce que celui qui est avide de ce bas monde rejette sa religion pour rechercher ce bas monde […] Son hostilité s’intensifie alors, immanquablement, vis-à-vis de quiconque acquiert des biens ou une position. Quant aux Nazaréens, ils se détournent pour la plupart de ce bas monde, se tournent vers l’adoration et renoncent à cher- cher à être les chefs, à se grandir et à s’élever. Or ceux qui sont ainsi ne jalousent point les gens, ne leur font pas de tort et ne sont pas leurs adversaires. Ils sont au contraire d’un tempérament doux dans leur recherche du Réel et s’y soumettent facilement […] La mécréance des Nazaréens est cependant plus dure que la mécréance 1. Sur Ibn Taymiyya, l’ouvrage de base en français reste H. LAOUST, Essai. Dans Intermédiaires, p. 21-27, J. Michot a don- né une chronique de sa vie de théologien militant. 2. V. DENON, Voyage, pl. 108 (1802). Sur les Coptes, voir C. CANNUYER, Coptes ; A. BRISSAUD, Islam, p. 103-135 (bon épi- tomé de l’histoire des relations de l’Église copte avec le pouvoir musulman, de l’entrée des Arabes en Égypte à nos jours). 2 FETWA DES MOINES troisième sont très critiques à leur égard. Le quatrième justifie la condamnation musulmane du monachisme chré- tien. remarquer, avant même d’avoir le sens technique de « monachisme » et de devoir être compris en référence au phénomène chrétien, rahbâniyya est un terme tiré de la ra- cine RHB, dont provient aussi le verbe rahiba, yarhabu, rahba, « craindre ». Ainsi Dieu parle-t-Il de « ceux qui craignent (yarhabûna) leur Seigneur » (al-A‘râf - VII, 154). Le Très-Haut ordonne aussi : « Ne craignez (fa’rhabûni) que Moi ! » (al-Nahl - XVI, 51). La rahbâniyya peut donc être, plus fondamentalement, un comportement empli de la crainte révérencielle de Dieu 4. À ce titre, elle cesse d’être spécifiquement chrétienne et, plutôt que d’être refusée par l’Islam, s’inscrit au cœur de la relation qu’il prône entre le serviteur et son Seigneur. Ce doit être cette forme de dévo- tion, on ne peut plus musulmane, que Jésus enseigna à ses disciples, au même titre que la clémence et la miséricorde, comme moyen de rechercher le contentement de Dieu, mais que les générations suivantes de Chrétiens, en inventant le monachisme, ne pratiquèrent plus comme elle aurait été en droit d’être pratiquée et transformèrent ainsi en une innova- tion. C’est cette rahbâniyya non innovée que l’Islam pro- pose comme voie et qui explique qu’il puisse apparaître sous divers aspects comme une religion « de type monastique » : la règle de vie, le rappel constant de Dieu, les journées ryth- mées par la prière, l’importance du jeûne et de l’aumône, l’invitation aux oraisons et pratiques surérogatoires, une cer- taine frugalité du vécu… Image de saint peinte sur le mur d’un ermitage du désert d’Esna 1 « Plus le lecteur non musulman fréquente le Coran et plus s’impose à lui l’impression que le substrat premier et l’essence de la religion visée par Mahomet furent de type monastique, et cela non seulement au début de sa prédica- tion, mais encore tout au long de son apostolat, aussi bien à La Mecque qu’à Médine 2. » L’Islam comme religion « de type monastique » ! A priori, un tel jugement apparaît comme une récupération christianisante, irrecevable, aux Musulmans à l’esprit desquels s’impose, dès qu’il est ques- tion de moines et de monachisme, le souvenir de la fameuse Tradition du Prophète « Point de monachisme en Islam (lâ rahbâniyya fî l-islâm) 3 ». Il vaut cependant la peine de le Il est donc évident qu’une totale consécration (ikhlâs) de l’existence à Dieu, telle que vécue par certains moines, er- mites ou reclus uploads/Litterature/ ibn-taymiyya-fetwa-des-moines.pdf
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- Publié le Aoû 04, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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