Jean Steinauer Le Fou du Rhône Documents sur la crise psychiatrique genevoise T

Jean Steinauer Le Fou du Rhône Documents sur la crise psychiatrique genevoise Tout Va Bien•hebdo ADUPSY Jean Steinauer LE FOU DU RHONE Documents sur la crise psychiatrique genevoise Tout Va Bien-hebdo ADUPSY Du même auteur Le Bruit et la Fureur, TV romande et liberté d'expression, Grounauer, Genève 1976(en collaboration avec Gabriel Hirsch). Le Saisonnier inexistant, Que Faire?, Genève 1980. Tout Va Bien-Hebdo, cp 39, 1211 Genève 4 - Tél. (022) 20 63 77 ADUPSY, Association pour les droits des usagers de la psychiatrie, rue Neuve-du-Molard 22, 1204 Genève © Tout Va Bien-hebdo et Jean Steinauer A la mémoire d'Alain Urban Remerciements Ce livre étant, au fond, un recueil de documents, notre part d'auteur y est assez mince, et nous exprimons notre reconnais- sance à toutes les personnes qui nous ont éclairé sur le fonc- tionnement des Institutions universitaires de psychiatrie de Genève, objet des pages qui suivent. Nous remercions particulièrement l'ancien conseiller d'Etat Willy Donzé, président du Département cantonal de la santé publique jusqu'à fin 1980, et le professeur René Tissot, ci- devant directeur médical de la Clinique de Bel-Air. Fidèles à eux-mêmes jusqu'à la caricature, ils nous ont gratifié d'une passionnante leçon de choses par leur simple manière d'exercer leurs hautes fonctions : enseignement d'autant plus riche qu'ils nous l'ont dispensé involontairement. Nous avons une dette de même nature, sinon de même am- pleur, envers la plupart des responsables de la psychiatrie gene- voise, chacun dans sa sphère ayant avec beaucoup de naturel montré de quoi il était capable. Du politicien pusillanime au fonctionnaire arrogant, du notable faux-cul au patron ivre de pouvoir, la place nous manque pour les nommer tous, et le moindre oubli serait désobligeant. Leur modestie nous pardon- nera. Enfin, nous disons notre admirative gratitude à M. Rank Xerox, dont lès ingénieux appareils contribuent puissamment à la transparence des institutions. Beaucoup de savants s'atta- chent à vulgariser la psychiatrie, nul n'a fait autant que lui pour la démocratiser. J. St., octobre 1982 I L'ANNEE DES RUPTURES La crise des Institutions psychiatriques genevoises est offi- ciellement reconnue en 1980, lorsque le gouvernement canto- nal est contraint d'instituer une commission d'enquête. Le rapport déposé par les enquêteurs situe les sources de la crise au départ, en 1976, du professeur Julian de Ajuriaguerra, qui aurait mal - ou trop bien, c'est selon - réglé sa succession entre deux de ses élèves, les professeurs Gaston Garrone et René Tissot. Nous n'en croyons rien. Nous allons montrer que la crise est bien antérieure à cette organisation sommitale des IUP, et qu'elle ne se confond nullement avec des dysfonction- nements engendrés par celle-ci : elle tient à une conception et à une pratique abusives du pouvoir psychiatrique (chapitre II). L'année 1980, dont la chronique ouvrira notre démonstra- tion, offre - cela posé - un point de départ triplement inté- ressant. Cette année-là, de morts suspectes en internements arbitraires, et d'accusations publiques en dénonciations occultes, condense toute la problématique conflictuelle des IUP. Cette année-là, les digues ont sauté, qui avaient jusqu'alors tant bien que mal préservé les positions, sinon l'honneur, des hiérarques de la santé mentale. Cette année-là, enfin, un accident électoral allait déstabiliser pour un temps le contexte politique genevois, précipitant certains aspects de la crise psychiatrique. Notre chronique est très incomplète. A la suivre, on com- prendra que nous en sommes presque heureux. 1er janvier L'affaire des infirmiers Henry Dunant et Florent Nightin- gale1 commence vers 17 h. 30, lorsqu'un jeune homme accom- pagné de sa mère et d'un parent se présente à Bel-Air. Il est 1 Pseudonyme. 1 muni d'un certificat d'entrée volontaire, délivré par le Dr Bucher, du Centre psycho-social universitaire (service ambu- latoire des IUP). Mais après quelques minutes, le jeune homme déclare qu'il renonce à son hospitalisation et entend quitter immédiatement la clinique : son certificat n'étant valable que pour une entrée volontaire, il se dit prêt à répondre par la force au cas où l'on porterait la main sur lui. Le médecin de garde, le Dr Beutler, n'arrivant pas à le convaincre d'entrer quand même en clinique, et jugeant vers 18 heures que le patient est dans un état trop grave pour être admis en pavillon ouvert, demande à l'infirmier Nightingale de le conduire dans un pavillon fermé. L'infirmier, lui, considère qu'il n'a pas le droit d'enfermer un patient contre son gré s'il se présente volontairement. Il déclare donc qu'il ne va pas se battre contre le patient pour le boucler, tant que le statut d'entrée volontaire ne sera pas transformé en statut d'internement. Il y faut un autre certificat médical ? Eh bien, suggère l'infirmier, le Dr Beutler n'a qu'à téléphoner à son collègue "de l'extérieur" Bucher pour le lui demander d'urgence. Et Nightingale, quittant les lieux, retourne à son service. Le patient, lui, déchire son certificat d'entrée volontaire pour bien manifester qu'il n'entend pas rester une minute de plus dans cette boîte. Notons qu'au "dispatching" du centre des entrées, où se passe la scène, la porte est fermée sur les protagonistes. Arrive alors l'infirmier Dunant, qui constate la situation et juge, comme son collègue, impossible de boucler le patient contre son gré. On attend donc que quelque chose se passe. Arrive, autour de 19 h. 15, un coup de fil du Dr Bucher : il va faire le papier demandé (internement d'urgence) et l'enverra par la poste. Ce qu'apprenant, les infirmiers ne voient plus d'obstacle à conduire dans un pavillon fermé le jeune homme, qui les suit finalement sans violence. L'affaire a duré deux heures, ses suites s'étalent sur trois ans - et le dossier n'est pas encore clos au moment où paraît ce livre. Les suites ? Le professeur Tissot, directeur médical de la clinique, prend le 23 janvier des sanctions disciplinaires 2 contre Dunant et Nightingale, qui reçoivent un blâme écrit "pour qu'il soit bien clair que je (Tissot) ne puis tolérer ce type de comportement qui est incompatible avec la bonne marche d'un établissement hospitalier." Aux yeux du directeur, en effet, précise-t-il à Nightingale, "Quels que soient les motifs que vous puissiez évoquer et si louables soient-ils, ce qui resterait à prouver, il n'est pas admissible qu'un infirmier, après avoir fait valoir son opinion, refuse d'exécuter un ordre médical." Et si l'ordre médical est contraire à la loi ? Les infirmiers, épaulés par leurs organisations professionnelles et syndicales, demandent au Conseil de surveillance psychiatrique (organe chargé de contrôler la légalité des internements) si les formes prescrites étaient bien observées dans ce cas. Le Conseil répond le 12 mai que le coup de fil du Dr Bucher suffisait, puisqu'il venait d'examiner le malade, et que même sans papier il était "du devoir et de la responsabilité du médecin de garde (Dr Beutler)... de prendre les mesures qui lui paraissaient oppor- tunes." Et le président du Conseil de surveillance, le Dr Gilbert Meyrat, concède in fine : "Toutefois il est regrettable que le médecin de garde ait donné l'ordre d'emmener de force le malade avant d'assurer les infirmiers que le statut légal de celui-ci devait être régu- larisé." Insatisfaits de cette réponse, les infirmiers font recours au Tribunal administratif et lui demandent de constater l'illé- galité de l'internement du jeune homme. Ce recours date du 11 juin 1980. Deux ans et demi plus tard, le Tribunal n'a toujours pas statué. Telle est la première affaire de l'année 1980. Pouvoir du médecin sur les infirmiers, pouvoir de l'institution sur le pa- tient; hiatus entre la précision, la rigueur des procédures lé- 3 gales, et une pratique médicale plus souple ou plus désinvolte; bonhomie, pour ne pas dire complaisance, du contrôle en première instance et lenteur de la justice au stade du recours -le ton est donné. 10 janvier Avec l'internement de Mme Jeanne Hachette1, on pénètre plus avant dans l'arbitraire. La patiente est internée à 11 heures, et saisit immédiatement le Conseil de surveillance psy- chiatrique : décision non fondée, dit-elle, et dont les motifs ne lui ont au reste été exposés ni par oral ni par écrit. Le Dr Charles Taban, membre du Conseil, prend tout de suite con- naissance du dossier, examine Mme Hachette et justifie l'inter- nement (14 janvier). La patiente recourt au Tribunal adminis- tratif qui - c'est une première dans l'histoire psychiatrique genevoise, applaudit l'ADUPSY - "ordonne la levée immé- diate de l'internement" le 23 janvier. Le Tribunal réserve sa décision sur le fond, mais c'est une victoire d'étape. L'avocat de la patiente prévient sans retard le professeur Tissot : laissez- la sortir, d'ordre du juge. Aigre réponse du patron : "... j'ai l'honneur de vous informer qu'en tant que méde- cin directeur de la Clinique de Bel-Air, je suis le médecin traitant de nos patients et non leur geôlier." Le professeur a tenté de convaincre Mme Hachette de rester à la clinique, sous statut volontaire cette fois; en vain. Et nous verrons, traitant des relations du psychiatre et du juge (chapitre V), que le premier grince, dans le cas d'espèce, devant "les entraves que peut mettre le Tribunal administratif à (son) rôle de thérapeute". Mais enfin, la patiente uploads/Litterature/ fou-du-rhone-pdf.pdf

  • 48
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager